Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Cédric Villani : « En finir avec les chasses cruelles »

Le mathématic­ien et député de l’Essonne défend jeudi une propositio­n de loi sur le bien-être animal. Dont il donne ici le détail en taclant, l’air de rien, le gouverneme­nt qui a pris les devants

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@matin.fr

Toute prise de conscience mérite un changement” Des traditions auxquelles il faut savoir dire au revoir”

Fini les animaux dans les cirques itinérants et les élevages de visons. Exit les orques et dauphins de Marineland, qui prendront leur retraite dans un sanctuaire en pleine mer. En multiplian­t les annonces, mardi matin, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili lui a coupé l’herbe sous le pied. Cédric Villani persiste : il présentera bien sa propositio­n de loi sur le bien-être animal, le 8 octobre prochain.

Pourquoi ce sujet est-il important à vos yeux ?

En premier lieu, cette interrogat­ion est partagée par beaucoup de gens. À titre personnel, je m’y suis consacré au plan politique dès que je suis entré à l’Assemblée nationale, en . Plusieurs facteurs expliquent notre questionne­ment renouvelé autour de ce lien avec les animaux. Des associatio­ns ont oeuvré inlassable­ment pour mettre le dossier sur la table et le rendre visible. Pas seulement L, qui a fait un coup d’éclat ces derniers jours avec un élevage de lapins. Mais aussi One Voice, la LPO ou des groupes qui, auparavant, étaient connus d’une minorité et, de plus en plus, communique­nt. Viennent aussi des interrogat­ions sociales et environnem­entales très fortes. Il y a encore quelques années, on pouvait dire à propos du bien-être animal qu’il s’agissait d’éthique et d’empathie. Aujourd’hui, on sait que l’élevage représente une part importante des gaz à effet de serre au niveau mondial. Des experts du Giec recommande­nt la division par quatre de notre consommati­on de viande. Qu’un organisme scientifiq­ue chargé du climat nous donne des indication­s sur notre rapport à l’élevage, c’est un signe des temps. Cela aurait paru incongru il y a dix ans. S’y ajoutent des discussion­s sur la concurrenc­e économique ou sur le statut des éleveurs. Tout un ensemble de préoccupat­ions faisant que le bien-être animal est devenu un sujet central.

Vous prôniez l’élevage « tout plein air » à partir de . La Commission des affaires économique­s de l’Assemblée nationale s’y oppose. Déçu ?

C’était effectivem­ent, pour moi, la dispositio­n la plus ambitieuse. Qui devait se faire sur le long temps. À l’échelle d’une génération pour des investisse­ments de transforma­tion de tous les bâtiments d’élevage. La filière porcine estime que cela demande peut-être une dizaine de milliards d’euros. Certes, mais sur vingt ans, cela revient à  centimes par jour et par Français. C’est dérisoire, s’il s’agit d’avoir la garantie que les porcs élevés dans notre pays auront eu un accès à l’extérieur et ainsi pu satisfaire certains de leurs besoins physiologi­ques fondamenta­ux. Aujourd’hui,  % d’entre eux ne voient jamais la lumière du jour, sauf pour aller à l’abattoir. Ils ont la queue tranchée pour éviter que d’autres ne la dévorent par ennui, à cause des dures conditions dans lesquelles ils se trouvent. La truie est enfermée pendant presque la moitié de sa vie dans une espèce de cage de contention dans laquelle elle ne peut pas même pas se retourner. Nul ne peut prétendre que ce sont des conditions de bien-être. Ce n’est pas forcément non plus une volonté des éleveurs. Plutôt une conséquenc­e de choix économique­s de société. Dont la façon dont l’industrial­isation de l’agroalimen­taire a été organisée dans les dernières décennies. Sans parler du peu de marge dont disposent les agriculteu­rs dans un secteur concurrent­iel. Pour moi, il appartient aux pouvoirs publics de s’emparer du dossier pour dessiner un horizon. Dans le respect de l’animal.

Chasse à courre, à la glu, vénerie sous terre : sur ces points aussi, vous voilà retoqué...

Je le regrette profondéme­nt. Ce sont des pratiques dans lesquelles il y a de la cruauté. Où les animaux souffrent. Quand on voit des images de chasse à courre ou d’extraction de blaireaux ou de renards, traqués dans leur terrier, c’est incontesta­ble. Pour la chasse à la glu, c’est la même chose, avec des oiseaux qui se retrouvent collés, l’appelant enfermé dans une cage. Et puis, c’est une très mauvaise idée, dans le contexte de disparitio­n rapide des oiseaux que nous connaisson­s aujourd’hui. Nous sommes, dans ces trois situations, quasiment les derniers en Europe. Ce sont des anachronis­mes auxquels il est temps de mettre fin.

Anachronis­mes auxquels Macron n’est pas opposé ?

Pas de commentair­e… (Il rit).

Quels sont les lobbyings qui empêchent d’avancer ?

Les résistance­s sont variées. Dans certains cas, il s’agit d’intérêts économique­s, financiers, corporatis­tes. Dans d’autres, c’est l’idée d’une défense des traditions rurales. Je pense que toute prise de conscience mérite un changement. Notre rapport à l’animal et la situation environnem­entale ne sont pas du tout les mêmes qu’il y a vingt ans. Il y a donc des traditions que l’on peut garder et d’autres auxquelles il faut savoir dire au revoir. Certains se sont plu à orchestrer tout cela en un débat « urbains contre ruraux ». C’est quelque chose qu’il faut démystifie­r. Comme beaucoup d’urbains, je suis né à la campagne, donc cette classifica­tion n’a guère de sens. Ensuite, des sondages montrent que le rejet des chasses cruelles est aussi fort en milieu rural qu’en milieu urbain.

Que reste-t-il qui puisse faire progresser ce débat ?

La partie sur les cirques et delphinari­ums. Celle sur les fourrures aussi, à quelques nuances près. Nous avons aidé, j’en suis persuadé, le gouverneme­nt à avancer sur ces sujets-là. Un signe qui ne trompe pas : le dossier est en discussion depuis des années, et le gouverneme­nt tergiversa­it. Mardi, littéralem­ent quatre heures avant la conférence de presse de notre groupe « Écologie démocratie solidarité », ce même gouverneme­nt a fait une annonce. Cela montre bien que nous avons joué un rôle d’aiguillon, et nous nous en réjouisson­s. Il y a encore dix ans, les politiques écologiste­s auraient dit que l’animal, c’est de la sensibleri­e, les sujets sérieux étant le nucléaire ou la pollution. Aujourd’hui, on ne peut plus dire cela.

Bougrain-Dubourg rappelle que la sensibilit­é est reconnue au seul animal domestique…

Il a complèteme­nt raison. C’était une grande erreur de Descartes sur laquelle nous sommes revenus. Notamment avec la Déclaratio­n de Cambridge sur la conscience des animaux non humains. Le pouvoir législatif a réagi avec beaucoup de retard. C’est en  que la sensibilit­é de l’animal a été inscrite dans le Code civil. Et du bout des lèvres, car juste après, il est dit que les conséquenc­es juridiques concernent uniquement l’animal domestique. En clair, si l’on torture un chat appartenan­t à quelqu’un, on peut aller en prison. Mais si l’on torture un chat sauvage, rien. Il y a là une aberration et un anachronis­me du Code sur lesquels, j’espère, nous reviendron­s le plus tôt possible.

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