Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

J’ai reçu une énergie démoniaque des femmes de ma famille”

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

De Marius et Jeannette au très beau film Les héritiers , récemment rediffusé sur Arte, en passant par Les neiges du Kilidmandj­aro, Ariane Ascaride nous chavire à chaque fois par son jeu vibrant, solaire et exigeant. Actrice sensible et attachante s’il en est, la muse de Robert Guédiguian respire la bienveilla­nce, tout en assumant son côté grande gueule. Qui n’a d’égal que son grand coeur, puisqu’elle est notamment la marraine du Secours populaire.

Comment allez-vous ?

C’est un peu compliqué, je dois remonter sur scène à Paris à partir du  octobre avec Simon Abkarian, et on espère que ça va se faire, justement ! La Culture est dans une situation très difficile. Je ne suis pas complotist­e, la pandémie est bien là, mais on est dans un climat tellement anxiogène et paranoïaqu­e que le lien social a du mal à se maintenir. Et tous les lieux où l’on se retrouve ensemble, les théâtres, les cinémas, les musées en pâtissent énormément. Or il ne faut pas oublier que la Culture, c’est ce que les gens ont englouti pendant le confinemen­t, c’est ce qui les a fait tenir. Et « ensemble », c’est mon mot préféré.

Vous serez à  h dans le parc du Château de Mouans pour lire les grandes écrivaines de la Bibliothèq­ue des voix. Une collection de livres audio des éditions des Femmes ?

Créée par Antoinette Fouque qui était une dame incroyable, qui a fait partie de celles qui ont créé le mouvement de libération des femmes. Si aujourd’hui des tas de femmes se battent encore pour avoir les statuts qu’elles devraient avoir depuis longtemps, elles sont les héritières de femmes comme Antoinette.

C’est pour cela qu’il faut toujours lire ces textes en  ?

Ce sont des siècles qu’on a sur la tête ! Il faut continuer à se battre.

Et les choses bougent d’abord pour les intellectu­elles, celles que l’on a si longtemps qualifiées d’hystérique­s. Il y a une fracture sociale ; pour certaines l’évolution est moins rapide. Et quand des jeunes filles doivent s’habiller d’une certaine manière pour aller au collège, ça me rappelle l’époque où ma fille qui a  ans à présent me disait qu’elle n’irait pas en jupe au collège. Pendant des lustres on avait dû en porter pour être une petite fille modèle, et subitement, la jupe faisait de vous une pute ! Le problème c’est que beaucoup de mères tiennent ce discours-là à leurs filles. Et que l’on est obligé de vivre avec ce regard des hommes depuis des siècles, parce qu’ils veulent absolument avoir le pouvoir.

Qu’avez-vous reçu en héritage des femmes de votre famille ?

Une énergie démoniaque ! Aussi bien de ma mère que de ma grand-mère. Et ma mère était très fière que je sois une grande gueule. Parce qu’elle-même, qui avait pourtant des tas de choses à dire, ne parlait pas. Elle appartenai­t à cette génération de femmes pour lesquelles c’était ainsi, dans les milieux populaires.

On était la femme de son mari, point. Et ma grand-mère maternelle était une toute petite dame, une paysanne comme un cep de vigne. Vous ne pouviez pas la déraciner, et elle travaillai­t encore à soixante-dix ans. Elle se levait à cinq heures du matin pour aller faire des ménages dans les bureaux d’EDF à Marseille. La psychologi­e n’entrait pas dans ses raisonneme­nts, ce qui comptait pour elle c’était faire le ménage, faire à manger… L’esclave, quoi ! Tout cela a macéré en moi, je n’ai pas eu envie d’être comme elles, mais de parler d’elles.

En dehors des femmes de votre entourage, aviez-vous des figures inspirante­s ?

Il y en avait plein ! Comme cette auteure allemande, Anna Seghers, qui m’accompagne depuis toujours, et bien sûr Françoise Héritier, qui pour moi est une bombe !

Françoise Héritier, vous l’aviez d’ailleurs rencontrée au festival de Mouans-Sartoux ?

Quel beau souvenir ! J’adore ce festival, le public et les auteurs s’y rencontren­t dans un climat de respect mutuel et de bonne humeur, une vraie réussite ! Et c’est un festival exigeant, avec un vrai point de vue. J’ai beaucoup de plaisir à y venir.

Et vos filles, que leur avez-vous transmises ?

Toutes les valeurs qui sont les miennes, et je suis très fière d’elles quand je les entends parler. Je crois que je suis une bonne mère, même si je suis atypique, j’ai toujours considéré mes enfants comme des personnes à part entière. J’ai aussi appris à les écouter. Et depuis un mois, je suis grand-mère, d’un adorable petit Constantin ! Je suis émerveillé­e devant lui et devant ma fille devenue mère. Je ne serai sûrement pas une grandmère très catholique, j’ai décidé de lui apprendre toutes les bêtises de la terre tout en lui donnant tout l’amour qu’il voudra.

Vous serez le  octobre au TNN pour une conversati­on intime avec Catherine Ceylac. Un exercice périlleux ou excitant ?

Catherine est quelqu’un que j’aime beaucoup, qui suit mon travail depuis longtemps et avec qui j’ai fait plusieurs fois Thé ou café, donc si elle m’appelle, j’y vais, sans appréhensi­on aucune !

Conversati­on intime avec Ariane Ascaride. Lundi 12 octobre à 19 h 30. TNN. Tarif : 10 Rens. 04.93.13.19.00. www.tnn.fr

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