Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Surdouance : un trouble à diagnostiquer au plus tôt
Un point sur les difficultés et les troubles associés éventuels s’impose pour accompagner au mieux les enfants à haut potentiel intellectuel. Le test du QI ne suffit pas
Quelques facilités scolaires et le voilà surdoué ! Les bons résultats, et même un QI élevé, ne suffisent pas à qualifier la surdouance. Un trouble dont on oublie trop souvent qu’il peut être à l’origine de souffrances sociales et scolaires multiples. Qu’est-ce qu’un enfant surdoué, ou à haut potentiel intellectuel ? Quelles sont les limites du calcul du QI ? À quelles difficultés est confronté l’enfant surdoué ? Comment l’aider ? Le tour de la question avec le Dr Philippe Garcia, pédopsychiatre, praticien hospitalier à l’hôpital de Pierrefeu et vice-président de l’École des parents et des éducateurs du Var.
Surdouance, précocité, haut potentiel intellectuel (HPI) : quelles définitions quelles différences ?
Ce sont trois termes qui désignent la même chose : un chiffre obtenu par un bilan psychométrique pour calculer le quotient intellectuel. La moyenne est autour de . Elle avait tendance à augmenter dans toutes les strates de la population, mais cette progression ralentit depuis quelques années. On parle de surdouance ou de HPI quand le chiffre final est supérieur à . Cela représente environ % de la population générale, adultes et enfants confondus, et c’est un taux à peu près stable dans le temps.
Comment calcule-t-on le QI ?
On utilise différentes échelles, avec des questions qui portent tantôt sur le maniement des chiffres, tantôt sur les dessins et les symboles ou sur les mots.
Le QI suffit-il à évaluer l’intelligence d’un sujet ?
On entend intelligence dans QI, mais ce chiffre ne peut pas résumer l’intelligence d’un sujet. C’est une mesure statistique et il serait dangereux de réduire un individu à ce seul chiffre. De plus, le QI mesure seulement l’intelligence logique. Or il y a d’autres formes d’intelligence : émotionnelle, corporelle, sociale, esthétique... Elles sont moins mesurables, les outils sont plus subjectifs, moins standardisés.
Quel risque à se limiter à cette seule appréciation ?
Le problème est que le QI est venu éteindre ces autres formes pour réduire l’intelligence à une seule forme qui est celle du raisonnement et de la logique. C’est là que cet outil trouve sa limite. Il ne peut évaluer totalement, de manière qualitative, un individu. On est très prudent avec la délivrance de ce chiffre du QI. Il doit être utilisé comme un outil d’évaluation, ce n’est pas une fin en soi. Au-delà de cette définition quantitative du haut potentiel intellectuel d’un enfant, il faut une définition qualitative. Il faut élargir l’appréciation des capacités et des difficultés de l’enfant en regardant son environnement.
Ces difficultés sont fréquentes ?
La surdouance est un trouble. Les enfants surdoués souffrent souvent d’hyperactivité. Ils sont hypersensibles, avec des débordements émotionnels très marqués. Ils semblent décalés par rapport aux autres, ce qui entraîne facilement des rejets. Ils sont par exemple rarement invités aux anniversaires. Leur rapport à l’autre est marqué par un certain perfectionnisme : ils ont une assez haute exigence vis-à-vis des autres, comme visà-vis d’eux-mêmes. Les difficultés affectives, sentimentales dès l’adolescence sont plus fréquentes.
Quelles peuvent être les conséquences ?
Si ces troubles sont importants, l’individu en souffre, que ce soit en milieu social ou scolaire. Ça le rend par exemple inadapté aux normes scolaires qui lui sont proposées. La conséquence, c’est une altération de l’estime de soi, une perte de confiance. Comme ils ont accès à un raisonnement assez élaboré, ils vont se remettre en cause, s’interroger et encore aggraver le décalage avec leurs pairs. À cause de ces questionnements, on note aussi chez ces enfants une plus grande fréquence des troubles du sommeil avec toutes leurs conséquences : plus grande irritabilité, difficultés de concentration, de réflexion qui pourront même être responsables de leur échec scolaire.
Quelle solution pour éviter cette souffrance ?
Il est important de diagnostiquer la surdouance le plus précocement possible car certains traits de caractère peuvent se fixer avec cette souffrance. Elle peut aussi générer d’autres troubles qui vont s’ajouter à la difficulté initiale qu’est la surdouance. Poser le diagnostic est aussi important car cela peut permettre de proposer à l’enfant des groupes de pairs potentiellement identificatoires.
Mesurer le QI ne présente-t-il pas malgré tout le risque d’étiqueter l’enfant et de le confronter à une pression, des attentes encore plus fortes liées à son potentiel ?
Le risque, c’est effectivement de regarder cet enfant qui est un sujet en construction avec un regard orienté, performatif. L’enfant va suivre l’orientation du regard adulte. Mais ce regard performatif concerne tous les enfants, pas seulement ceux qui ont un QI élevé...
Cela dit, assez souvent le diagnostic de la surdouance vient a posteriori, avec un motif de consultation initial autre : échec scolaire, difficultés sociales... C’est ensuite qu’on va diagnostiquer la surdouance.
Et quand le diagnostic est tardif ?
On voit des adolescents ou des jeunes adultes qui n’ont pas été diagnostiqués à temps et qui souffrent de comorbidités. Des troubles se sont ajoutés au trouble initial, par exemple l’anxiété ou la dépression, et peuvent nécessiter une prise en charge spécialisée.
Quelle prise en charge proposer à ces enfants ?
La première question, c’est bien sûr la question scolaire. Trouver sa place à l’école, avoir des résultats satisfaisants, avoir des amis sont des marqueurs positifs dans le développement d’un enfant. Il existe des sections spécialisées pour les enfants précoces. Elles peuvent avoir un intérêt, quand l’enfant est déjà en souffrance vis-à-vis de sa surdouance, pour l’aider à développer toutes les fonctions de son individualité. Pour d’autres, ce ne sera pas nécessaire. Il faudra peut-être simplement informer les professeurs pour adapter le projet scolaire afin qu’il soit le plus vertueux possible. Il faut noter que la famille peut aussi être aidée et trouver des conseils pour s’adapter au mieux à cette plus grande sensibilité et au besoin de raisonnement de ces enfants. Ils sont comme des petits adultes et ils ont besoin de trouver du répondant !
« Le QI doit être utilisé comme un outil d’évaluation, ce n’est pas une fin en soi. » Dr Philippe Garcia
Pédopsychiatre, vice-président de l’école des parents du Var