Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Ils sont partis ensemble après une vie d’amour » Roquebilli­ère

Emportés à par les flots déchaînés de la Vésubie, Léopold et Josette Borello sont toujours portés disparus. Eric, leur fils, revient sur la tragédie et raconte leur vie

- PHILIPPE CAMPS

Depuis samedi, tout le monde connaît la maison de Léopold et Josette Borello à Roquebilli­ère. Elle a fait la une de Nice-Matin, elle tourne en boucle sur les chaînes d’info. On la voit fracassée, désintégré­e, emportée par la Vésubie en furie. Ces images, Eric refuse de les voir. Fils meurtri par ce drame, il n’a plus d’espoir : « Mes parents sont portés disparus, mais je sais que c’est fini. Ils sont morts. J’ai compris quand j’ai eu confirmati­on qu’ils étaient dans la maison jusqu’au dernier instant. Ils sont partis ensemble après une longue vie d’amour. C’est ce que je me dis pour adoucir mon chagrin. »

« On prend des affaires et on va chez les voisins »

Eric Borello est anéanti. Il parle, surveille son portable, regarde Sabine,

son épouse. Il voudrait être là-bas. Mais il est ici. Dans son appartemen­t de Nice-Ouest. « Vendredi après-midi, j’ai eu ma mère au téléphone tous les quarts d’heure. Vers 15 h 30, elle m’a dit : ‘‘Eric, c’est catastroph­ique ! L’eau monte sur le chemin. On se sent en danger.’’ Un peu plus tard, j’étais en ligne avec elle quand les voisins leur ont dit de quitter les lieux pour aller chez eux. Puis ce sont des gens de la mairie qui sont venus leur demander d’évacuer. J’entendais : ‘‘Sortez, sortez !’’ J’ai crié : ‘‘Partez !’’ Ils s’étaient réfugiés à l’étage. L’eau commençait à monter. Ma mère m’a dit : ‘‘On prend quelques affaires et on va chez les voisins.’’ Il était 17 h 17. Après, plus rien. J’ai appelé les secours. Un pompier, sur place, m’a expliqué que la seule solution était l’hélitreuil­lage, mais il m’a dit que les hélicos ne pouvaient pas voler. Quand j’ai raccroché, j’ai compris que tout était fini. Certaines personnes affirment que mes parents n’ont pas voulu quitter la maison. C’est faux. Ils n’étaient pas suicidaire­s. Ils ont juste mis trop de temps à évaluer la situation et à préparer leurs affaires. Ils ont dû vouloir sauver certains papiers. Ce temps leur a été fatal. »

« Cette maison, c’était l’accompliss­ement de leur vie »

Léopold et Josette Borello aimaient follement leur maison. Ils avaient acheté le terrain en 1968. Lui n’avait pas oublié que c’est à Roquebilli­ère que ses parents s’étaient réfugiés pendant la guerre. L’endroit était devenu sacré. Plus tard, Léopold avait réalisé son rêve en dénichant ce petit coin de paradis. La maison est sortie de terre au début des années 70. « C’était l’accompliss­ement de leur vie. C’est mon papa qui a fait les fondations. Ensemble, ils ont fait les finitions. C’étaient des gens de peu. Chaque sou allait dans la maison », raconte Eric, la gorge serrée par la peine. Aujourd’hui, cette maison n’est plus qu’un souvenir. « C’est ça qui me fait mal. Cette brutalité. Cette tragédie. Tout s’est brisé en quelques heures. Il n’y aura plus de Noël, plus de grandes tables, de repas de famille. »

« Elle a un coeur énorme »

Mais il y a une histoire. Belle. Éternelle. Celle de Léopold et Josette. Lui est né à Nice, le 5 août 1932. Elle est arrivée un peu plus tard. En 1936. Du côté de la Nièvre. Ils se rencontrer­ont à Souppes-surLoing. Ça ne s’invente pas. Léopold

n’a pas vingt ans. Il est en permission. Monsieur est au Bataillon de Joinville. Privilège de footballeu­r. Il joue dans l’équipe réserve de l’OGC Nice. C’est un coup de foudre. Ils se donnent rendez-vous sur la Côte. Ils n’ont qu’une parole, qu’une vie, qu’un amour. Ils se retrouvero­nt à Nice. Ils habitent d’abord rue Molière chez les parents de Léopold, qui tiennent une boulangeri­e. Puis ils se marient, s’envolent, déménagent aux 2 Avenues, à Cessole, avant de s’installer dans le quartier du Ray. Léopold a rangé les crampons. Il travaille comme bottier. Josette fait des ménages avant de s’essayer à la couture des chaussures. Ils sont heureux. Ils ont un fils qui joue bien au tennis. Le temps passe. Léopold trouve une place à la SAD. Il réceptionn­e, trie journaux et magazines pour les diffuseurs de presse. Josette affiche les publicités dans les kiosques. Elle fait les tournées de Nice à Menton au volant de sa Renault 4. C’est un caractère. « Elle est d’une franchise désarmante. Mais elle a un coeur énorme », souffle son fils.

« Je n’en veux à personne »

Les Borello sont des gens simples. Des gens bien. Leur plaisir : monter à Roquebilli­ère. Là-haut, ils respirent, ils rayonnent. En 1990, ils quittent le littoral pour prendre leur retraite dans la vallée de la Vésubie. Sept ans plus tard, ils sont choqués par les intempérie­s. Léopold Borello témoigne même dans Nice-Matin : « Lorsqu’il pleut pendant la nuit, mon épouse n’arrive plus à dormir. Afin de limiter nos pertes, en cas de nouvelle catastroph­e, nous avons construit un collecteur pour récupérer les eaux de ruissellem­ent, mais face à une crue, nous sommes démunis ; car rien n’a été fait pour assurer notre protection. » Il alerte les pouvoirs publics. Sa crainte est partagée par bien des Roquebilli­érois. « Les pluies de 1995 et 1997 ont fait des dégâts. L’eau était parvenue jusqu’à la limite de la maison. Le garage avait été inondé, les clôtures arrachées. Mais mon père faisait confiance aux autorités. Il disait : ‘‘On m’a délivré un permis de construire. Ce n’est pas pour rien.’’ Aujourd’hui, je n’en veux à personne. Je n’accuse personne. Je suis juste effondré et triste de n’avoir eu aucun message de la part de la mairie de Roquebilli­ère… », explique Eric Borello, 56 ans, responsabl­e du complexe sportif des Combes à Nice. Eric, Sabine et leur fille Mathilda ne sont pas en colère. Le chagrin prend toute la place. Alors, ils évoquent le temps où pépé Léo allait aux champignon­s pendant que mémé Jo s’occupait du jardin. C’était hier. Aujourd’hui, le temps s’est arrêté. La vie est dans une parenthèse. Eric regarde son téléphone. Il redoute ce moment. Comme il craint les mots « corps », « deuil » ou « obsèques ». Il préfère « hommage ». Et il a raison. Léopold aimait le Gym, le bricolage et il commençait toutes ses journées en allant chercher son pain et son Nice-Matin au village. Josette était fière de ses fleurs et surtout de sa petite-fille. Tous deux vivaient main dans la main dans leur petite villa de Roquebilli­ère. Vendredi, la tempête Alex a emporté une maison, un couple, un amour. Mais Léopold et Josette Borello sont là. Face à nous. Dans les yeux et le coeur d’un fils dévasté.

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(Photos DR et Grégory Leclerc) Josette Borello ( ans) et son mari Léopold ( ans) ont disparu avec leur maison vendredi.
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La famille Borello au temps du bonheur

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