Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
La vallée de la Vésubie défigurée prête à se relever
Sans téléphone, ni eau, ni électricité, les sinistrés de la vallée, dont très peu ont pu être évacués, fondaient hier soir beaucoup d’espoir sur la réparation d’une route pour rompre leur isolement
Valérie est en pleurs, rongée par l’angoisse, frissonnant dans son anorak sur la place principale de Roquebillière. «Je n’ai pas de nouvelles de ma fille, de mon gendre et de leurs enfants depuis vendredi. Ils sont à Saint-Martin-Vésubie. » Elle exhorte le lieutenant des sapeurs-pompiers Eric Ballester à lui donner une information qu’il n’a pas. Sont-ils encore en vie ? « Je peux revenir quand ? », insiste-t-elle. L’absence de liaisons téléphoniques ajoute au désarroi de cette femme. Même les quelques téléphones satellitaires qui ont pu être distribués à certains maires pour permettre aux habitants de rassurer leurs proches, fonctionnent de manière aléatoire. Le commandant Jean Giudicelli prend à part Valérie et tente de la rasséréner. Pas simple. Lui-même enchaîne les nuits sans sommeil. Il pense avoir vu le nom de cette famille sur le recensement des personnes saines et sauves, mais il ne peut s’avancer sans vérifier. Depuis la déflagration météorologique de vendredi soir, seule la voie des airs permet à la Vésubie d’être reliée au reste du monde. A Roquebillière, le monument aux morts et une partie du cimetière ont été emportés par les flots déchaînés. « Si l’église est épargnée, c’est sans doute dû à un très ancien canal qui a fait office de dérivation », analyse le maire, Gérard Manfredi.
Distribution de bouteilles d’eau
Pas de téléphone, pas d’eau, pas d’électricité .... 48 heures après la catastrophe de vendredi soir, la situation
Sur la place de Saint-Martin, le député Eric Ciotti et le maire Ivan Mottet ont tenté de rassurer la population, hier. Tout est mis en oeuvre pour rompre au plus vite l’isolement du bourg.
reste critique dans la vallée. A Saint-Martin-Vésubie, l’ambiance sur la place De-Gaulle est incroyablement calme. Seules les rotations des hélicoptères viennent troubler la quiétude d’habitants encore abasourdis par ce qu’ils ont vécu. Les premiers packs d’eau ont été distribués mais il est clair que c’est un pis-aller. Le député Eric Ciotti, originaire de Saint-Martin, vient au chevet de son bourg. Il est sollicité de toutes parts : «Ilnous faut une station de production d’eau potable. » « Je m’en occupe », promet l’élu, aussitôt appelé à poursuivre un état des lieux terrifiant. Gérard Gareau, pâtissier, interpelle le député : «Il nous faut un groupe électrogène pour faire du pain. C’est important. » Les rescapés attendent, eux, patiemment dans une longue file d’attente de recevoir un repas chaud alors qu’un fumet de viande grillée envahit la place. « Chacun a vidé son congélateur. J’ai essayé de cuisiner avec les moyens du bord une sorte de paella », explique Sylvain, tout en remplissant généreusement les assiettes.
« Ça me rappelle l’ancien temps »
Sur un banc, Eglantine, 86 ans, et Choupette, sa chienne, attendent une hypothétique évacuation. Ils sont près de deux cents, comme elle, à piaffer d’impatience sous un vaste chapiteau. « J’aimerais rejoindre ma fille et mes petites-filles à Nice », indique l’octogénaire, dans un sourire. « Au début, on m’avait dit que je ne pouvais pas prendre l’hélicoptère avec mon chien, et finalement si. » L’appareil, un
Puma de l’armée, censé embarquer quinze personnes à la fois, se fait attendre. Des évacuations vers la Roya et un ciel trop menaçant l’après-midi contraignent Saint-Martinois et touristes naufragés à patienter. «Je ne mange pas depuis deux jours. Je n’ai pas d’électricité. On se retrouve comme à l’ancien temps », observe Eglantine.
«Jen’aipas de mots »
D’autres personnes âgées craquent. Laetitia prend par le bras une mamie en pleurs, désespérée. Laetitia a pourtant été frappée de plein fouet par la catastrophe. « On m’a prêté des habits. Je suis partie de ma maison vendredi à 14 h40, j’avais de l’eau jusqu’aux genoux. Un chalet s’est détaché et a arraché une partie de ma maison. (Photos Christophe Perrin) Je n’ai pas de mots...» Jamais elle n’oubliera le fracas de ce 2 octobre 2020. « J’ai pu sauver le doudou de mon fils et mes papiers avant d’être hélitreuillée. C’est tout. » Yelena, l’une de ses amies, employée au parc Alpha, se demande où sont les treize loups. Le survol de la zone confirme ses craintes : les clôtures ont été très endommagées, tout comme les bâtiments attenants (lire en pages suivante).
Huit disparus
Dans la mairie de Saint-Martin-Vésubie transformée en PC de crise, le commandant Jean Giudicelli tente avec René Dies, le chef des sapeurs-pompiers des AlpesMaritimes, de recenser les disparus. « On arrive à sept dans la Vésubie à 15 heures mais il faut rester très, très prudent », précise l’officier. Il a raison. Trois heures plus tard, un homme est retrouvé décédé dans sa voiture. Il ne faisait pas partie de la liste des « disparus très inquiétants ». Dans « la petite Suisse niçoise », le surnom de SaintMartin, soixante-dix maisons auraient été soit abîmées, soit complètement détruites. Par endroits, quand la route n’a pas purement et simplement disparu, il ne reste que quelques centimètres de goudron. Les travaux à venir sont considérables et prendront des années, affirment des agents de la Métropole.
Piste de fortune de Berthemont
Michel Hauuy, chef de Force 06, apporte enfin une bonne nouvelle dans ce marasme ambiant : « Avec une pelle de 2,5 tonnes et les sapeurs de Force 06, on va mettre le paquet pour reconstituer une voie d’accès. » Une fois sécurisée, la piste de fortune, route de Berthemont, pourra être empruntée par des véhicules. Une étape décisive dans l’amélioration de la situation à Saint-Martin-Vésubie. « Beaucoup de gens me demandent, inquiets, si le village sera sauvé. Mais bien sûr qu’il le sera », affirme Eric Ciotti. Trois amies saint-martinoises y croient aussi : « Tout le monde fait le maximum. C’est rassurant On se serre les coudes et grâce à Dieu, nous sommes en vie », se félicite Fadi. Saint-Martin est tellement prisé, les gens reviendront. » « Et puis il y a un point positif, plaisante Sylviane : On ne nous embête plus avec la Covid. »