Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Jouer un spectacle où je ne dis rien, c’est génial ! »

Monstre sacré de la scène, Pierre Richard incarne un aussi hilarant que touchant dans cette pièce écrite pour lui par Mathilda May. Un voyage sans parole, musical, poétique, dont il est le prophète.

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Il pleut sur Paris. Du coup, Pierre Richard a laissé sa meule au garage. S’est rendu en bagnole au théâtre. C’est donc avec une demi-heure de retard qu’il compose notre 06. Mais que ne pardonnera­it-on pas à ce vieil enfant de Molière ? Surtout que, même si à 85 ans le temps presse, il le repousse des deux mains. Et qu’importe si la pendule dit je t’attends. L’acteur lui tire la langue. Comme l’enfant qu’il est resté. Qu’il est dans cette pièce, taillée à sa démesure par Mathilda May. « Avant d’écrire, elle m’a rencontré, se souvient le galopin. On se connaissai­t peu. J’ai lu six, sept pages sans dialogue – ça se lit vite – et j’ai tout de suite dit oui ! » Au fil des semaines, Monsieur X a pris du muscle. Au fil des répétition­s, le comédien a trouvé des idées. Entre silences et musiques signées Ibrahim Maalouf, il a changé de peau. Franchi le Rubicon. Jusqu’à son univers au corps animé. En noir et blanc... « Jouer un spectacle où je ne dis rien, c’est génial. Moi, mon école, ce sont les Chaplin, Tati, Keaton. C’est un vrai plaisir. » À chaque représenta­tion, c’est donc jour de fête. Car pour lui, pas de textes, pas de trac. « Une fois, j’étais tellement décontract­é que j’ai failli m’endormir avant le lever de rideau ! » Même pas vrai, comme on braillait à la récré. Quoiqu’avec ce compère, tout soit envisageab­le. À tel point qu’avec ses longs cheveux blancs et sa barbe peignée, on le prendrait presque pour le père Noël. D’ailleurs, le voir papillonne­r sur les planches est un cadeau tombé du ciel. Et pas question de plier les gaules. M’enfin, la retraite, c’est pour les vieux. puis je ne suis pas encore adulte... » Il est plutôt rêveur. À l’image de son personnage. Capable de donner vie aux objets. Des amis. Peuplant son imaginaire. Comblant sa solitude.

Le coeur et les zygomatiqu­es

« Quelle solitude ? Il n’est jamais seul. Parfois, on est moins seul, tout seul, qu’à deux », devise l’incorrigib­le marmonneur des lilas. « C’est vrai, je peux marmonner sur scène et laisser même place à l’improvisat­ion dans le marmonneme­nt... » Le scrogneugn­eu, son unique marge de manoeuvre. Pour le reste, la maîtresse May veille au grain en coulisses. paye cash. Au moindre écart, Mathilda monte dans ma loge et me fait des remarques. Ah ! Elle ne me passe rien... » Mon oeil ! Ce joyau, elle l’a taillé comme un diamant pour ce monument. Ce chef-d’oeuvre auquel on pardonne tout. Tant il nous flingue les zygomatiqu­es et nous chamboule le coeur. Unique à l’instant de s’emparer de ce monde surréalist­e. Drôle. l’imprévu, relève-t-il à fond sur le périph’ des mots. D’ailleurs le public est très étonné... » À Draguignan, à Antibes, il lui emboîtera le pas. À en oublier le baiser du masque pour mieux rigoler de concert. « J’espère que ça ne va pas me foutre la trouille tous ces gens masqués. Surtout s’il y en a un en veste blanche, j’aurais l’impression d’aller au bloc... » Il débloque, parfois, ce fugitif de l’ennui. À moins qu’il ne soit juste heureux de partager, les trois coups retentis, sa cavale du fou pas si fou. Qui ne lâchera rien aux morsures de la Covid. « Même si tout est chamboulé. Même si c’est un coup dur pour tout le monde – et particuliè­rement l’art, la culture – il faut avancer... »

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