Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Victimes d’attentats, elles portent l’espoir au collège

Émouvant entretien hier avec Zakia Bonnet et Carolina Mondino par des élèves de 4e d’Alphonse-Daudet, à Magnan. Témoignage­s de vies brisées et de résilience malgré tout

- YANN DELANOË ydelanoe@nicematin.fr

Difficile exercice que celui auquel se sont livrés, avec brio, les vingt-cinq élèves de la classe de 4e « médias » du collège Alphonse-Daudet, hier. Ils ont interviewé, pendant près de deux heures, deux victimes d’attentats terroriste­s venues leur rendre visite dans le cadre d’un partenaria­t avec l’Associatio­n française des victimes du terrorisme (AFVT). De leurs questions, de quelques mots simples, ils provoquent, avec tact, l’échange, les réponses, voire les confidence­s de Zakia Bonnet et Carolina Mondino (2),

(1) respective­ment victimes des attentats de Madain Saleh en Arabie Saoudite et de celui de Nice. Un thème qui n’a pas été choisi par hasard par les collégiens (lire cicontre). Dans chaque réponse des deux invitées, un message de volonté. De paix. D’espérance. « Les textes religieux, notamment des trois religions monothéist­es, ont été écrits il y a très longtemps. Il y a des siècles. On a évolué, depuis… Pour les comprendre, il faut les remettre dans le contexte du moment où ils ont été écrits », répond Carolina Mondino à une interrogat­ion sur les raisons de tels actes.

« J’ai de la pitié pour eux »

Chantal Anglade et Delphine Allenbach, professeur­s de lettres et d’histoire-géographie, toutes deux mises à dispositio­n de l’AFVT, prennent le relais, décryptent : « Les terroriste­s vont sélectionn­er dans les textes religieux quelques lignes qu’ils enlèvent d’un contexte et qui justifient, selon eux, leurs actes. C’est un prétexte. Ce qu’ils veulent, c’est diviser les gens. Qu’on ne soit pas d’accord. Ne vous laissez pas manipuler. » Zakia Bonnet enfonce le clou : «Si un jeune abandonne ses études pour vendre de la drogue, ce n’est pas parce qu’il habite dans une cité et que c’est dur. C’est sa décision, il a un cerveau, il a la chance de pouvoir étudier et de faire le discerneme­nt entre ce qui est bien et ce qui est mal. Le reste, ce sont juste des excuses… » Une autre question des apprentis journalist­es : « Qu’est-ce que vous ressentez à l’égard des terroriste­s ? » Réponse de Zakia Bonnet qui désarçonne ses interlocut­eurs : « Je ne les déteste pas… J’ai pitié pour eux. Quand un jeune de 23 ans se met à tuer ainsi… Ce sont des gens qui n’ont jamais su ce que c’était l’amour. Le pauvre. Il n’a jamais dû avoir quelqu’un pour le serrer dans ses bras. » Ont-elles fait le deuil ? «Non.On arrive à mieux cacher. On apprend à vivre avec. Il faut apprendre à mettre ces images en arrière-plan », répond Zakia Bonnet. « Dans un cas comme le nôtre, on ne peut pas vivre le deuil On essaye de minimiser, on met en retrait… », ajoute Carolina Mondino. « Faire le deuil, c’est une expression insupporta­ble », s’élève Chantal Anglade. Zakia Bonnet illustre son propos : « Quand on perd ses parents de mort naturelle, on peut faire le deuil. mais quand un être humain décide de semer la mort et d’ôter la vie de ta famille, ce n’est pas possible… »

Leurs raisons de vivre

Au fil de leurs réponses, les deux femmes racontent le désespoir et la résilience, quand même. Jusqu’au moment où la vie trouve un nouveau sens. « Il y a un avant et un après… Pour moi désormais, la vie se vit au jour le jour. Je n’ai pas la capacité de me projeter au-delà de vingt-quatre à quarante-huit heures. Et puis, par réaction, je suis plus chez moi que dehors. Ça m’empêche de faire les choses que j’aimais beaucoup avant. Mais peu à peu, j’avance », expose Carolina. Ses petits enfants (elle aime préciser qu’elle en a trois « café au lait » ), la font avancer. Zakia Bonnet : « Je suis morte trois fois. Le 26 février 2007, le jour de l’attentat. Le 27 février, lors du décès de mon fils. Et le 9 mars, quand j’ai perdu l’enfant qui était dans mon ventre. Mais je survis grâce à vous, à l’amour, à l’espoir, la jeunesse que vous portez… De vous voir ainsi, pas influencés, capables de réfléchir, de peser le pour et le contre, de dissocier le bien du mal… » Elle raconte un retour à la vie de plusieurs années. Les hospitalis­ations, les crises. Puis le déclic, qui arrive à l’évocation d’un mot : « Maman ». En 2011 au Maroc, elle trouve sa lumière, une petite fille entre la vie et la mort, qu’elle adopte. Une petite braise qui, sous le souffle de son amour, ne s’éteindra pas, et deviendra la flamme qui réchauffe son coeur cabossé, son « petit rayon de soleil ». « Aujourd’hui, elle a 9 ans, et elle est merveilleu­se. Elle va bien, elle m’embête, elle saute ! Elle fait ses concours de danse ! » Zakia rit quand elle l’évoque. Elle rit aussi avec les collégiens : « Si j’amène les jeunes à réfléchir, j’ai tout gagné. ». Sur la même ligne que Carolina Mondino : « C’est une façon d’éveiller les jeunes. De transforme­r notre expérience douloureus­e en force pour un monde meilleur… » (1) Zakia Bonnet a été victime d’un attentat le 26 février 2007 non loin du site archéologi­que de Madain Saleh en Arabie Saoudite. Des hommes ont ouvert le feu (dont un de 23 ans, identifié comme le numéro 6 d’Al-Qaeda) sur plusieurs personnes, dont son mari, tué sur le coup, son fils, mort le lendemain et elle-même. (2) Carolina Mondino, sur la promenade des Anglais le soir du 14 juillet a été percutée par le camion et projetée contre un palmier. Pied, côtes, poignet fracturés, victime d’un traumatism­e crânien, elle passe quatre mois à l’hôpital d’Antibes, où elle apprend la mort de son amie Jacqueline, avec qui elle se promenait ce soir-là.

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(Photo Dylan Meiffret) Intense émotion hier, lors de l’interview, par les collégiens d’Alphonse-Daudet, de Carolina Mondino (e à gauche) et Zakia Bonnet (au centre), victimes d’attentats terroriste­s.

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