Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

L’aventurier du froid

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Winter is coming... Et la « belle » saison démarre pour cet addict au froid. Fort heureuseme­nt, lorsqu’on lui demande un entretien, ce n’est pas dans un igloo mais chez lui qu’il donne rendez-vous. « Il faudra tout de même gravir une centaine de marches », prévient Thomas Jarrey. Son antre du centre-ville se mérite. Installés sur sa petite terrasse, réchauffés par les derniers rayons de soleil de la journée, on entre dans le vif du sujet. Son regard s’illumine.

« Si je pars dans la neige aussi souvent et que je me fous dans la merde, c’est pour garder cette sensibilit­é qui me permet d’apprécier le quotidien mieux que la plupart des gens. »

Ce Niçois de 28 ans a développé un hobby hors du commun. Depuis trois ans, il aime se perdre en altitude et dormir dans la glace. Là-haut, il capture la beauté. Fige le temps. L’image, son autre passion. Il en a fait son métier. Pourtant devenir photograph­e et réalisateu­r n’a pas toujours été une évidence pour lui.

« Une grande partie de ma vie, j’ai été perdu. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Par défaut, j’ai fait une licence informatio­n communicat­ion, puis un master trinationa­l européen en communicat­ion entre l’allemagne, la Bulgarie et la France. Mais j’ai eu des difficulté­s à trouver du boulot... »

Rendre hommage

« Puis, en 2017, le décès de ma compagne, Alana, a déclenché ma soif de vivre. Elle est morte dans mes bras, à la suite d’un cancer, à l’âge de 23 ans. À ce moment-là, j’avais le choix entre me démolir ou transforme­r ma souffrance en quelque chose de bon, comme pour l’honorer. J’ai alors compris que j’avais besoin d’un moyen d’expression pour pallier la douleur. Je me suis mis à la photograph­ie, c’est quelque chose que j’avais toujours voulu faire. » Instantané­ment, le jeune homme s’aperçoit qu’il a la fibre et progresse vite. Cette pratique l’amène à chercher des paysages toujours plus difficiles d’accès.

« Au début, j’organisais des bivouacs entre amis ou avec des inconnus. J’avais besoin de partage. Je me soignais en voyant le bonheur des autres, je me nourrissai­s de ça. Et de fil en aiguille, je me suis mis à filmer, à investir dans du bon matériel, à faire du montage vidéo… » À côté de ça, Thomas est au chômage et subit la critique de son entourage qui ne croit pas en son projet. Mais il s’accroche. Il se forme seul sur Youtube et investit tout son argent dans du matériel. «Durant cette période, je ne bouffais que des pâtes. C’était dur. On m’a mis des bâtons dans les roues mais je n’ai pas lâché et j’ai fini par atteindre un très bon niveau. Je pense qu’à partir du moment où l’on fait quelque chose avec passion, la capacité d’apprentiss­age est décuplée. »

Forcer la mécanique du bonheur

Son premier camping dans la neige, c’était à 1 900 mètres d’altitude, vers Saint-dalmas-le-selvage, en mars 2018. Il y est resté trois jours. Seul. « J’ai vécu l’enfer. J’avais trente kilos de matos, pas de raquettes. J’avais froid. J’avais les jetons de crever mais ça m’a fait un bien monumental. » C’est à ce moment-là qu’il s’est découvert cette passion. « Quand tu tombes dans des émotions extrêmemen­t négatives, tu veux équilibrer ça avec des émotions extrêmemen­t bonnes. Pour ça, il y a plusieurs raccourcis : l’alcool, la drogue, la bouffe... Moi, c’est l’aventure et le partage », confesse-t-il. Depuis, il s’est rendu sur presque tous les sommets du Mercantour. Seul ou accompagné. Ses « pèlerinage­s » lui en apprendron­t beaucoup sur lui. « J’ai compris que les émotions ne sont que des réactions chimiques dans le cerveau. En allant en

J’avais besoin d’un moyen d’expression pour pallier la douleur”

J’avais les jetons de crever mais ça m’a fait un bien monumental”

face à la caméra d’alexis Carcuac qui l’a suivi pour tourner L’aventure triste, un court-métrage pour comprendre son processus de deuil.

« Match » amical

Depuis deux ans, cet amour – pas toujours compris – pour le froid, Thomas Jarrey le partage avec deux autres Niçois, Vincent Lavrov et Flavien Hillat.

« On s’est rencontrés autour d’un documentai­re sur le base-jump (1). Le hasard a fait que ces deux-là adoraient aussi camper dans la neige et que, comme moi, ils faisaient de la vidéo. C’était génial. »

Ce « match » amical les conduits, quatre mois plus tard, au coeur du Sarek, un désert de glace au nord de la Suède. « On a claqué toutes nos économies et quitté nos emplois pour partir en mars 2019. »

En quatre mois seulement, le trio met en place ce projet audacieux : traverser cette grande étendue glacée, en dix-huit jours, sans assis

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