Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Joséphine Baker, de Monaco au Panthéon

L’artiste, inhumée à Monaco, sera la cinquième femme ainsi honorée, juste après Simone Veil. Cette figure du music-hall était avant tout une militante et une très grande résistante.

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

« C’est une immense fierté pour mes frères et soeurs, pour moi. » Attablé en terrasse face au Cap Martin, Luis Bouillon-baker, l’un des douze enfants de Joséphine Baker, savoure la nouvelle du jour révélée par nos confrères du Parisien. Sa mère entrera au Panthéon en novembre.

« C’est oui ! », a dit le chef de l’état le 21 juillet à l’élysée. Un comité de soutien comptant plusieurs personnali­tés, dont le romancier Pascal Bruckner, le chanteur Laurent Voulzy, l’entreprene­use Jennifer Guesdon, l’essayiste Laurent Kuperman et son frère Brian Bouillon-baker a convaincu Emmanuel Macron.

Née dans le Missouri et enterrée à Monaco, elle sera la première femme noire à reposer dans la nécropole laïque. Alors forcément, les souvenirs de Luis, qui habite Menton, affluent. Avec l’aide de la princesse Grace et du prince Rainier, Joséphine Baker avait pu être hébergée avec tous ses enfants adoptés – sa « tribu arc-en-ciel » – dans la villa « Maryvonne » à Roquebrune-cap-martin.

« Elle a toujours défendu de nombreuses causes »

L’artiste sortait d’une faillite financière. Remonter sur la scène du Sporting, chanter au bal de la Croix-rouge relancera alors sa carrière.

Luis se souvient qu’elle lui demandait de la conduire alors qu’il n’avait pas encore passé le permis. « Je pilotais sa Volkswagen­porsche 914 blanche. Elle avait dans les 70 ans et faiblissai­t. Elle voulait que je l’amène de Roquebrune à Monaco, c’était un peu limite », sourit-il. Voix calme, douce, Luis raconte sa mère.

Il attend de cette panthéonis­ation qu’elle redresse une injustice. « Ce qui me choquait un peu jusque-là, c'est qu'on représenta­it ma mère comme l'actrice, la danseuse avec des bananes, alors qu'elle était tellement plus que ça. On n'a jamais suffisamme­nt mis en avant son action résistante durant la guerre. »

Et pourtant, la chanteuse n’est pas uniquement l’interprète de J’ai deux amours. La militante noire, antiracist­e, a combattu le nazisme dès la première heure. En 1939, elle s’engage dans le contre-espionnage. Lors de sa première mission à destinatio­n de Lisbonne, elle cache dans son soutien-gorge un microfilm contenant une liste d’espions nazis, qu’elle remet à des agents britanniqu­es.

Un microfilm dans son soutien-gorge

S’engageant pour la Croix-rouge, elle rejoint les services secrets de la France libre, cachant des messages de la plus haute importance dans ses partitions. Au Panthéon, elle rejoindra Jean-moulin. Dans sa lutte pour les droits civiques, elle a défilé avec Martin Luther King. « Elle a toujours défendu de nombreuses causes. Même les derniers temps, quand elle chantait, c'était pour mettre en avant la misère du monde, pour défendre les enfants victimes de famine en Afrique. »

Luis a vécu 23 ans avec cette maman parfois contemplat­ive. « À Roquebrune, elle pouvait nous réveiller tous en pleine nuit parce qu’elle avait vu une étoile filante. Il était évidemment trop tard quand nous arrivions ». À quelques centaines de mètres du lieu de notre interview, sa mère a une esplanade à son nom, à Roquebrune Cap-martin. Elle est rehaussée d’une oeuvre d’art de Paul Pacotto, inspirée du visage de Joséphine Baker et de celui de ses quatre premiers enfants adoptés, dont fait partie Luis.

Un autre de ses frères est aujourd’hui en retraite à Monaco. Le reste de la famille se partage entre la région parisienne, Newyork, Saint-etienne, l’italie, l’argentine. Un de ses frères est décédé. Les onze autres, dont deux filles, se retrouvent de temps à autre. Ce fut le cas l’an dernier en Dordogne pour le mariage d’une nièce. Cette Dordogne où Joséphine Baker hébergea tout ce petit monde dans un château, avant de connaître une déroute financière.

Déroute financière, l’appel de Brigitte Bardot

Touchée, Brigitte Bardot avait à l’époque lancé un appel pour lui venir en aide. La princesse Grace exaucera ce voeu, installant tout ce petit monde à la villa Maryvonne à Roquebrune-cap-martin. « C’était à la fois très grand, mais petit pour quinze, car nous y étions avec ma tante, mon oncle, ma cousine. »

« Une femme noire qui a lutté contre le nazisme »

De cette mère hors normes, Luis retient ses principes éducatifs. « C'était une mère aimante, très proche de nous. Nous avons reçu une éducation formidable, ouverte sur le monde, que je souhaitera­is à beaucoup de gens. Cette éducation, j'ai essayé de la transmettr­e à mes enfants. Elle me disait de toujours écouter les gens, qu’on les aime ou pas. »

Luis attend cette panthéonis­ation avec beaucoup de fierté. « Dans cette époque de montée de l’antisémiti­sme, de pertes de repères, cela veut dire beaucoup d’accueillir au Panthéon une femme noire qui a lutté contre le nazisme. »

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(Photo DR) Emmanuel Macron a dit oui à la panthéonis­ation de Joséphine Baker.
 ?? (Photo Jean-françois Ottonello) ?? Luis Bouillon-baker, hier, sur l’esplanade Joséphine-baker, à Roquebrune-cap-martin.
(Photo Jean-françois Ottonello) Luis Bouillon-baker, hier, sur l’esplanade Joséphine-baker, à Roquebrune-cap-martin.
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