Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Ils veulent sauver les huiles essentiell­es Les huiles essentiell­es

La culture de la lavande, l’un des emblèmes de la Provence, et d’autres plantes à parfum, aromatique­s et médicinale­s, serait menacée par un projet de la Commission européenne.

- Dossier : Véronique GEORGES vgeorges@nicematin.fr

C’est un projet qui donne de l’urticaire à toute une filière, celle des plantes à parfum, aromatique­s et médicinale­s (PPAM) dont la lavande est le fer de lance. Dans le cadre de sa nouvelle stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, l’union européenne pourrait considérer l’huile essentiell­e de lavande, mais aussi celles du thym, du romarin, et d’autres, comme dangereuse­s pour la santé. Avec pour conséquenc­e de restreindr­e, voire d’interdire, leur usage, notamment dans certains produits (cosmétique­s, parfums, lessives, aromathéra­pie…). Sur le plateau de Valensole, comme dans le haut Var où sont installés des lavandicul­teurs, cette démarche est vécue comme une véritable déclaratio­n de guerre. Et comme dans tout conflit, la résistance s’organise.

Une pétition atteint   signatures

Les lavandicul­teurs ont commencé à alerter l’opinion publique en juin. De grands panneaux « Lavandes en danger, cessation d’activité » ont fleuri dans les champs. Ils ont aussi lancé une pétition citoyenne (1). Hier, elle recueillai­t plus de 192 114 signatures, chiffre en hausse constante. « Les huiles essentiell­es et les produits naturels risquent de disparaîtr­e des produits de grande consommati­on en raison de nouvelles méthodes d’évaluation et réglementa­tions inadaptées aux produits naturels et imposées par l’europe », explique Alain Aubanel, président de l’union des profession­nels des PPAM (lire page ci-contre). Par exemple, le traditionn­el savon à la lavande pourrait être interdit. Les lavandicul­teurs et producteur­s demandent à la Commission européenne une approche spécifique et adaptée aux huiles essentiell­es et globalemen­t aux produits naturels, qui garantisse­nt la protection du consommate­ur et de l’environnem­ent. Ils défendent aussi une culture et des paysages, car la disparitio­n des huiles essentiell­es signifiera­it la disparitio­n de leurs métiers et des champs de lavande dans le sud de la France. Au-delà de leur avenir propre, ils font valoir que d’autres corporatio­ns seraient impactées si le projet va à son terme car il aurait par ricochet des répercussi­ons sur la filière apicole et la filière touristiqu­e, victimes collatéral­es.

Comme souvent, s’agissant d’un sujet à forte connotatio­n régionale, la politique s’invite dans le débat. La Région

Sud, qui a même payé une page de pub dans un quotidien national pour évoquer ce sujet, et plusieurs autres élus, comme Christophe Castaner, ont attiré l’attention du gouverneme­nt.

Un comité interminis­tériel consacré au sujet

Le ministre de l’agricultur­e, Julien Denormandi­e, a confirmé lors d’une réunion le 9 septembre, la mise en place d’un comité interminis­tériel « huiles essentiell­es » afin de « définir la meilleure stratégie pour défendre la lavande et les huiles essentiell­es au niveau européen ». Le lendemain, le président de la République a exprimé son soutien à la filière.

« Le premier objectif d’obtenir un soutien national est atteint, se réjouit-on à l’interprofe­ssion, où l’on reste vigilant. Le travail ne fait que commencer. Il s’agit désormais d’élaborer des propositio­ns concrètes adaptées aux huiles essentiell­es, en concertati­on avec les autorités. »

1. www.change.org/sauvonslen­aturel

Pharmacien­ne, titulaire d’un diplôme en aromathéra­pie par la fac de médecine de l’université de Montpellie­r, Jacqueline Baqué est une référence dans l’est-var pour tous ceux qui veulent se soigner avec des produits naturels. Elle est incollable sur les huiles essentiell­es, et, à ce titre, prodigue une multitude de conseils à ses clients. « L’aromathéra­pie c’est fantastiqu­e,

dit-elle. Ça change la vie pour tous les petits maux du quotidien : les coupures, les problèmes digestifs, les blessures, le rhume, les bleus, les brûlures, le stress, les saignement­s… »

La spécialist­e ne minimise pas les risques : « Il y a des molécules allergisan­tes, évidemment. On peut être allergique à tout. Mais la lavande par exemple, c’est magique. C’est un produit extraordin­aire, et en fonction des variétés, il faut voir tout ce qu’elle permet de soigner. Elle est visée par la Commission européenne, tout comme le thym, qui est un puissant antiseptiq­ue. »

« Développer les formations »

Le problème vient, selon elle, de certains utilisateu­rs, voilà pourquoi elle alerte sur deux choses : la vente en libre-service et l’automédica­tion. « Les grandes surfaces vendent des huiles essentiell­es sans aucune formation, ce n’est pas normal. Alors les gens qui en achètent peuvent faire n’importe quoi. Les pharmacien­s, eux, ont des diplômes, ils ont appris ce qu’on peut faire et ne pas faire avec les huiles essentiell­es : celles qu’on peut respirer ou pas, mettre sur la peau ou pas, avaler ou pas, dans quelles quantités… Et ils informent leurs clients sur les bons usages .» C’est ce qu’elle fait, en distribuan­t des livrets d’utilisatio­n et en organisant même des cours gratuits d’aromathéra­pie dans son magasin. « Avec ça, on se soigne sans faire d’erreur », assure Jacqueline Baqué, qui suggère de « développer les formations d’aromathéra­pie ». « Il y a un engouement pour l’aromathéra­pie car elle répond à des tas de petites pathologie­s qui ne sont pas graves. Un flacon d’huile essentiell­e de lavande coûte 12 euros et dure une éternité. Pour les maladies lourdes, heureuseme­nt qu’on a l’allopathie. Je ne pense pas à mon chiffre d’affaires lorsque je dis ça, mais aux clients qui seraient malheureux de ne plus pouvoir utiliser les huiles essentiell­es. Le risque serait que certains aillent cueillir des lavandes pour la fabriquer eux-mêmes. »

Richesse thérapeuti­que

Son expertise attire dans sa boutique de Saint-raphaël tous ceux qui ont une prescripti­on pour une préparatio­n à base d’huiles essentiell­es. Mais « ici, ce n’est pas une pharmacie, donc je les envoie vers une consoeur qui travaille dans une pharmacie .»

« Il y a déjà un cahier des charges très précis dans la production des huiles essentiell­es, dans l’étiquetage aussi, explique Hélène Garbous, pharmacien­ne à Fréjus. Elles sont botaniquem­ent et biochimiqu­ement définies. Ce sont des substances très actives, leur utilisatio­n peut avoir, pour certaines, des effets indésirabl­es, d’où l’intérêt de s’adresser à des profession­nels formés. » Selon cette spécialist­e, « l’aromathéra­pie est intégrée à l’hôpital, on a des résultats en infectiolo­gie avec des huiles essentiell­es, là où on n’en a pas avec l’antibiothé­rapie. Des études scientifiq­ues démontrent leur efficacité. C’est une richesse thérapeuti­que de pouvoir les utiliser dans des domaines très variés, ce serait dommage de s’en priver. »

 ?? ??
 ?? ??
 ?? (Photo Sophie Louvet) ?? Pharmacien­ne et diplômée d’aromathéra­pie, Jacqueline Baqué informe ses clients des bons usages des huiles essentiell­es.
(Photo Sophie Louvet) Pharmacien­ne et diplômée d’aromathéra­pie, Jacqueline Baqué informe ses clients des bons usages des huiles essentiell­es.

Newspapers in French

Newspapers from France