Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Le président de Renault EN VISITE À SOPHIA ANTIPOLIS

Pénurie des semi-conducteur­s, hausse des matières premières, véhicule électrique, transition énergétiqu­e... Jean-dominique Senard fait le point sur les enjeux qui attendent le groupe.

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE WENGER kwenger@nicematin.fr

Délocalisé hors de Paris pour la première fois depuis la Covid, le conseil d’administra­tion du Groupe Renault s’est tenu à Renault Software Labs, le centre de R&D logiciel implanté depuis 2017 à Sophia Antipolis. L’occasion pour son président Jean-dominique Senard de faire le point sur l’industrie automobile qui, bien que fortement ébranlée par la pénurie mondiale des semiconduc­teurs et la hausse des prix des matières premières, accélère sa transforma­tion écologique.

Est-ce la première fois que vous venez à Renault Software Labs ?

Oui et cette visite est un signal fort de l’intérêt de la gouvernanc­e du groupe aux opérations de Renault dans son ensemble et en particulie­r aux éléments qui sont les plus en pointe quand on considère l’avenir de l’industrie automobile et de Renault. Cela fait partie de Renaulutio­n, le plan stratégiqu­e dévoilé en début d’année par Luca de Meo, le DG du Groupe Renault. Nous passons d’une entreprise automobile travaillan­t avec la technologi­e à une entreprise technologi­que travaillan­t avec des voitures.

Quelles sont les conséquenc­es de ce plan stratégiqu­e sur les véhicules que vous concevez ?

Cela veut dire que les voitures sont plus vertes, électrique­s, plus sobres, plus durables, autonomes, connectées... La mobilité change de nature et le véhicule est la synthèse de toute cette transforma­tion. Connecté, il devient une extension de l’habitation du conducteur. Il change aussi dans sa motorisati­on et son architectu­re électroniq­ue. Ici à Sophia, se déroule cette recherche qui porte notamment sur l’améliorati­on de la performanc­e de la connectivi­té – hardware et software. Le groupe a mis en place la Software Factory qui emploie quelque  personnes dont  à Renault Software Labs.

Des gens de talent, en pointe sur la gestion des données et des algorithme­s que l’on n’avait pas dans l’industrie automobile il y a quelques années encore. J’ai une très grande confiance dans le niveau de technologi­e que nous sommes en train de concevoir. Les échéances sont courtes et les enjeux phénoménau­x. Nous vivons un moment totalement unique dans l’histoire de l’automobile. Cela demande de porter une grande attention à la formation et à la transforma­tion des métiers dans l’entreprise. Dans les deux ans qui viennent, on envisage d’avoir formé   personnes aux nouveaux métiers de l’automobile. C’est un énorme investisse­ment et une course pour permettre l’employabil­ité des salariés qui sont confrontés à ce changement.

Luca de Meo, le DG du groupe, veut faire de la France le coeur du véhicule électrique…

Cela se fera notamment au travers du pôle Electricit­y, un complexe industriel que Renault installera début  dans les Hauts-defrance autour de trois usines existantes. Elles fabriquero­nt, entre autres, la nouvelle R électrique. Entre Douai et Maubeuge, on produira   unités : ce sera l’un des plus gros centres de véhicules électrique­s en Europe. C’est un pari énorme et on a besoin d’être accompagné pour cela. Je le dis souvent aux politiques : on n’y arrivera que si notre écosystème public-privé fonctionne harmonieus­ement. La technologi­e interne au véhicule se fera aussi en écosystème : c’est la Software République voulue par Luca de Meo : Renault collaborer­a avec des acteurs comme Dassault Systèmes, Stmicroele­ctronics, Thales, Orange, Atos… pour créer une mobilité intelligen­te et durable.

Les ventes de voitures se sont effondrées à la fin de l’été. À imputer à la pénurie des semiconduc­teurs ?

Oui ce n’est pas une crise de la demande mais de l’offre. C’est cocasse car d’habitude, c’est l’inverse.  sera encore marquée par cette pénurie. La dimension électroniq­ue et logicielle fait qu’on a de plus en plus besoin de semiconduc­teurs dans les voitures. Les fournisseu­rs étant concentrés dans une zone géographiq­ue, nous avons créé une dépendance qui a des conséquenc­es graves.

Pour le groupe Renault qui était en train de rebondir, c’est une grande frustratio­n car la demande est là et on ne peut pas livrer. Cela nous oblige à contourner le problème pour trouver des solutions. [Le groupe a ainsi décidé de ne plus équiper certains de ses modèles comme les Clio, Captur et Arkana de rétroviseu­rs rabattable­s électrique­ment, ndlr]. De toutes ces tempêtes, il en ressort toujours quelque chose. Une accélérati­on de l’histoire. Mais cette pénurie pose aussi la question de la souveraine­té européenne, de notre dépendance au monde extérieur. Ce mouvement est tellement fort que cela déclencher­a une réaction qui permettra de rééquilibr­er la situation. La réindustri­alisation de nos pays est en danger. La réintégrat­ion de la valeur ajoutée qui se traduit au bout par des emplois passe par la maîtrise des chaînes de valeur. Installer des usines de batteries électrique­s est certes fondamenta­l mais ne suffira pas à terme pour régler le problème dans sa globalité.

La hausse des matières premières comme l’acier induit des hausses de prix sur les voitures…

Cette transition énergétiqu­e dans le contexte que nous connaisson­s conduit à une hausse des coûts de production de nos véhicules. Toutes les nouvelles normes coûtent cher et rajoutent au prix de revient du véhicule. Pour la norme Euro  par exemple, c’est de l’ordre de  à  €. À cela s’ajoute la hausse des matières premières comme l’acier, l’aluminium.

Comment convaincre les consommate­urs d’acheter des véhicules plus cher ?

L’etat joue son rôle par le biais des primes de conversion et des primes aux véhicules électrique­s. Il faut aussi accélérer le déploiemen­t de   bornes de charge rapide sur tout le territoire. Le moteur thermique sera supprimé en  mais il faut préserver la motorisati­on hybride pendant encore quelques années. Si on va trop vite, les clients anticipero­nt et ne demanderon­t plus que de véhicules électrique­s. Ce qui risque d’avoir des répercussi­ons sociales en mettant en jeu de nombreux emplois de la filière, comme cela s’est passé de par le passé avec le diesel. Nous, constructe­urs automobile­s, sommes la solution au problème en étant les vrais moteurs de cette transition.

Comment voyez-vous le groupe en  ?

Je vois Renault dans le cadre d’une Alliance [Renault-nissan-mitsubishi,

ndrl] très renforcée. Renault en tant que tel va retrouver le rang qu’il mérite, son rôle de leadership de l’innovation qu’il a toujours connu depuis plus de cent ans. Plus généraleme­nt, l’industrie automobile ne sera pas considérée comme le mouton noir, ce qui a trop été le cas ces dernières années et de façon imméritée. Elle sera la solution majeure du problème de la transition énergétiqu­e et de la protection de l’environnem­ent dans les années qui viennent.

« Nous vivons un moment totalement unique dans l’histoire de l’automobile. »

 ?? (Photo K.W.) ?? Jean-dominique Senard, président du conseil d’administra­tion du Groupe Renault, et Bruno Bocaert, directeur de Renault Software Labs Sophia Antipolis, devant le cockpit de la nouvelle Megane E-tech qui sera fabriquée en série début .
(Photo K.W.) Jean-dominique Senard, président du conseil d’administra­tion du Groupe Renault, et Bruno Bocaert, directeur de Renault Software Labs Sophia Antipolis, devant le cockpit de la nouvelle Megane E-tech qui sera fabriquée en série début .

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