Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Sous la plage Papaya d’èze, un pavé judiciaire
Conflit d’intérêts, élue écartée, pressions et manque de transparence... Les accusations fusent sur les conditions d’attribution d’une plage privée à Èze, bord de mer. La justice a été saisie.
Les concessions de deux plages privées du bord de mer ézasque sont en cours de renouvellement. Et, alors que la procédure de délégation de service publique (DSP) n’est même pas encore achevée, l’une d’elles fait déjà l’objet d’un contentieux. Depuis 32 ans, Papaya Beach était exploitée par la famille Ripoll. « En 1989 nous avions acheté le fonds de commerce avec ma mère, raconte Catherine Ripoll. Il y a trois ans, ma fille a quitté son boulot dans l’événementiel à Monaco pour nous rejoindre...» Mais la « saga familiale » vient de s’achever.
Ainsi en a décidé la commission métropolitaine de délégation de service public en désignant un nouvel exploitant pour les cinq prochaines années. C’est le jeu des DSP ? Sauf si les dés sont pipés... Me Gérard Germani « n’entend pas revendiquer un quelconque droit » de propriété sur le domaine publique maritime. « Tout ce que l’on demande, c’est le respect de la légalité », martèle l’avocat de Catherine Ripoll qui vient de déposer un référé devant le tribunal administratif de Nice pour stopper une procédure qui, selon lui, présente quelques incongruités.
« Choix étrange » : lettre ouverte des élus
L’exploitante évincée et son conseil ne sont d’ailleurs pas les seuls à le penser. Le 26 novembre dernier, le maire d’èze, Stéphane Cherki, et ses cinq adjoints ont adressé une lettre commune au président de la Métropole Nice Côte d’azur pour dénoncer «un choix étrange ». Les élus ézasques expliquent ne pas vouloir « cautionner à » ce qu’ils n’hésitent pas à qualifier « d’injustice ».
Initialement, c’est pourtant Stéphane Cherki qui devait lui-même présider la commission d’attribution aujourd’hui mise en cause. Mais à l’ouverture des plis, au printemps dernier, le maire d’èze se rend compte qu’il y a potentiellement conflit d’intérêts.
L’un des cinq candidats qui postulent pour la reprise de la gestion de la plage Papaya est en fait... sa locataire ! En effet, la société Da Rossana al Panta Reï, qui est sur les rangs, exploite déjà un restaurant voisin dont le maire d’èze possède les murs.
Pour Stéphane Cherki cette candidature doit donc être écartée ! Mais ce n’est pas ce que prévoit le code de la commande publique. Et c’est lui qui est contraint légalement de quitter la présidence de la commission d’attribution. Jusque-là rien d’anormal sur le plan du droit.
La présence en pointillé de la représentante d’èze
Le maire de Beaulieu-sur-mer, Roger Roux, est appelé à palier la défaillance administrative de son voisin. La commune d’èze sera malgré tout représentée par sa quatrième adjointe, Virginie Soulier... Du moins en partie. Car, dans leur courrier, les élus ézasques assurent avoir bel et bien été « mis sur la touche ».
Le compte rendu de la séance de négociation qui s’est déroulée le 10 juin le prouve selon Me Germani : « À chaque fois que la commission a abordé des questions financières il a été demandé à cette élue de quitter les débats. » Contactée, Virginie Soulier, la quatrième ajointe d’èze, membre de la fameuse commission de délégation de service publique, confirme : « Le président de la commission m’a dit que, comme le maire d’èze était en pleine audition par la chambre régionale des comptes, il valait mieux que je ne participe pas à ces questions financières pour préserver mes propres intérêts et ceux de la commune. Je me suis exécutée, mais je reconnais que c’est très bizarre. Comme j’étais tenue par la confidentialité de l’appel d’offres je n’en ai parlé à personne, pas même au maire, jusqu’à l’attribution de la plage. Mais aujourd’hui je suis en colère. J’ai le sentiment d’avoir été le dindon de la farce, qu’on a voulu me tenir à l’écart...»
Le maire de Beaulieu « droit dans ses bottes »
De quoi faire bondir le président par substitution de la commission, le maire de Beaulieu : « Elle n’a été exclue de rien ! », assure Roger Roux qui se dit « droit dans ses bottes » et « assume parfaitement ». « Nous étions dans une situation tout à fait atypique, exceptionnelle, unique même, d’un maire qui se retrouve écarté pour un conflit d’intérêts. Nous avons proposé à l’adjointe qui représentait la commune d’èze de quitter la salle sur certaines phases, financières, précisément en raison de ce conflit d’intérêts, à la fois par souci de la protéger à titre personnel ainsi que pour garantir la parfaite transparence de la procédure. » À entendre le maire de Beaulieu, celle-ci ne serait en rien entachée : « Le Maire d’èze devrait au contraire nous remercier, la Métropole et moi-même en tant que président, d’avoir procédé avec autant de prudence. » C’est en réalité tout l’inverse qui se passe puisque les élus ézasques se sont fendus d’une lettre ouverte. « C’est la première fois que je vois ça, souligne Roger Roux, que des élus se permettent de contester le choix d’un délégataire en estimant qu’il fallait en choisir un autre ! » Ce n’est évidemment pas la question que sera amenée à trancher la justice. Plus que le fond de l’affaire c’est de la forme dont a été saisi le tribunal administratif de Nice : il va devoir dire si la légalité a été respectée dans cette procédure. La balle est désormais dans le camp des magistrats.