Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

À Monaco, Geluck installe son Chat au Larvotto

Le dessinateu­r belge a sorti son personnage fétiche de la feuille de papier pour le décliner dans une galerie de sculptures loufoques en bronze, pleines d’humour, qui égayent la promenade du Larvotto.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CEDRIC VERANY cverany@monacomati­n.mc

Panama sur la tête, chemise ample et chaussures bateau, il arrive en trottinett­e dans la torpeur de l’après-midi sur la plage. La dégaine est celle d’un vacancier, mais Philippe Geluck est à Monaco pour travailler. Après les Champs-élysées, Bordeaux, Caen, Genève et avant Montreux et Bruxelles, ses chats ont pris leurs quartiers d’été en Principaut­é. Vingt sculptures monumental­es de 2,7 mètres de haut (2,5 t chacune) installées sur la promenade du Larvotto. Dans cette galerie loufoque, le célèbre Chat est dans les postures les plus incongrues qui prêtent instantané­ment à sourire. C’est la force de la signature Geluck, capable avec son double félin de convoquer l’humour d’un coup de crayon ou d’une saillie verbale. Le style Geluck séduit d’ailleurs jusqu’au Palais princier. En février dernier, par l’entremise d’amis, Philippe Geluck a soumis une propositio­n d’exposition au prince Albert II. Ce dernier l’a reçu en audience. « On a passé une heure ensemble dans son bureau. On a ri. J’ai rencontré une personne très à l’écoute, très enthousias­te, qui avait une répartie formidable sur les vannes que je lançais, car je reste moimême », se souvient le dessinateu­r. Au terme du rendez-vous, le prince donne le feu vert au dossier, pris en mains par la direction des Affaires culturelle­s, pour organiser en quatre mois le projet dont Philippe Geluck peaufine l’installati­on depuis plusieurs jours en plein air. Avant l’inaugurati­on princière ce soir.

Après Genève, vos chats prennent le soleil sur la promenade du Larvotto jusqu’en octobre. Vous êtes content du résultat ?

Totalement, d’autant que nous avions envisagé divers endroits à Monaco, mais le prince a souhaité que ce soit sur la promenade du Larvotto rénovée. Ce qui fait que je suis la première exposition en ces lieux, c’est assez émouvant. Et quand je vois les sculptures avec la mer et un bout de palmier en fond c’est plutôt pas mal, non ? Certaines personnes en se promenant m’ont déjà dit qu’il faut les laisser ici pour toujours !

Ça va être difficile car le principe de cette exposition, c’est que toutes ces sculptures monumental­es sont à vendre...

En effet, dans un but très louable, car il s’agit de créer un musée en Belgique auquel je dois apporter 8 millions d’euros. Lorsque je me suis fait lâcher par mes principaux sponsors, qui n’ont pas tenu leur parole, j’ai réfléchi à trouver quelque chose à moi pour être libre. J’ai eu l’idée de cette exposition. Tout en prenant un risque considérab­le…

Pourquoi ?

Je sculpte depuis plusieurs années, j’avais déjà douze oeuvres dans mon atelier, en taille originale de 50 centimètre­s. Je les ai imaginées en version monumental­e pour ce projet. J’ai trouvé un fondeur à côté de Bruxelles et j’ai lancé ce chantier sans savoir si j’allais vendre le premier orteil de la première sculpture. Mais j’y croyais. Rétrospect­ivement, en produisant vingt bronzes monumentau­x, si je n’en avais pas vendu un, j’étais dans une merde noire. Je devais revendre ma maison, et je n’aurais plus eu de jardin pour stocker les statues (rires). Mais la première a été vendue à un avocat, et une dizaine ont suivi. J’ai fixé le prix à

250 000 euros, mon collaborat­eur m’a dit que j’étais fou. Après les dix premières ventes, on a augmenté le prix et ça continue à se vendre. Elles sont désormais à 380 000 euros et ça risque de monter encore. Comme nous pouvons produire deux exemplaire­s par modèle, on en a déjà vendu 25 sur les 40, c’est énorme. Et je précise que je ne prends pas un centime sur ces transactio­ns.

Qui sont vos clients : des collection­neurs d’art ?

Des fans du Chat ?

Les deux, mon général ! La famille Tintin par exemple, qui, je précise, n’a aucun lien avec la famille Hergé – on croit rêver mais c’est vrai (!) – en a acheté quatre pour le parc de son domaine. Des fans du Chat, des mécènes, des entreprise­s se sont portés acquéreurs. Tout le monde joue le jeu car il y a ce challenge.

Ce challenge de créer un musée qui ne sera pas que le Musée du Chat ?

Ce sera le Musée du Chat et du dessin d’humour. J’entends y célébrer des grands dessinateu­rs humoristes historique­s, actuels et futurs.

Et je vais aussi consacrer une partie du musée, à l’histoire du chat, l’animal, dans la culture humaine. Depuis l’égypte ancienne jusqu’à «lol cat» sur Internet. En passant par l’affiche publicitai­re du XIXE siècle qui regorge de chats.

Est-ce aussi simple de faire rire avec une feuille et un crayon qu’avec un bronze sculpté ?

La démarche est la même. Depuis toujours, je considère d’ailleurs, même si j’ai produit une oeuvre plutôt bavarde, que le meilleur dessin d’humour est celui qui se passe de parole et de texte. Le type qui glisse sur une peau de banane, ça fait rire depuis la Préhistoir­e. D’ailleurs quand on a déchargé les sculptures à Monaco, des touristes étrangers étaient présents, et je n’ai pas identifié leur langue. Quand le mec a vu une des sculptures, il s’est mis à rire, je n’avais jamais vu ça. Il a appelé sa famille, il est reparti en fou rire.

La première exposition était sur les Champs-élysées au printemps 2021, vous envisagiez déjà cette tournée en Europe ?

J’avais annoncé une dizaine de villes, en me disant que certaines voudraient bien nous accueillir. D’autres se sont ajoutées comme Monaco. Mon rêve serait ensuite de présenter l’exposition à New York. C’était un voeu pieux jusqu’à ce que je rencontre, il y a quelques semaines à Genève, un homme qui a été séduit par l’exposition et qui s’est proposé de me nouer des contacts pour, peut être, rendre le rêve possible.

La force du Chat tient aussi sur votre extraordin­aire popularité en France, qui ne faiblit pas. * Comment l’expliquez-vous ?

C’est magique. C’est une chose que je n’ai jamais recherchée. J’ai commencé profession­nellement par être comédien dix ans, tout en dessinant. Puis j’ai fait de la télé, de la radio en Belgique. Laurent Ruquier, ensuite, m’a appelé, puis Michel Drucker. On m’a proposé énormément de projets à la télévision, mais j’ai toujours fait ce qui me plaisait, tout en ne renonçant pas à ma vie de famille. Et aujourd’hui, j’ai quitté la télé pour lancer mes projets artistique­s. Certaines personnes n’auraient pas pu s’en passer, moi ce n’est pas ma came, même si la télévision crée une proximité avec les gens. Cette proximité je l’ai aussi par Le Chat. Quelque chose s’est noué avec le public, qui passe de génération en génération. Ça me bouleverse d’ailleurs de voir des gens qui ont communiqué leur passion à leurs enfants, à leurs petits-enfants. Je suis impatient, non pas d’être mort, mais de savoir si ça continuera à parler au public dans les décennies futures.

Vous aimeriez que Le Chat vous survive ?

J’ai pris mes dispositio­ns officielle­ment en demandant qu’on ne continue pas Le Chat après ma disparitio­n, car c’est l’émanation de mon « moi » profond, il n’y a pas de raison que quelqu’un se l’approprie. En revanche, si des auteurs de talents, qui ont une patte reconnaiss­able, veulent faire le chat à leur manière, pourquoi pas…

Vous êtes en Principaut­é depuis quelques jours, qu’est-ce que la vie monégasque, justement, pourrait inspirer au Chat ?

Je vais attendre d’être sorti des frontières pour faire tous mes commentair­es (rires). J’ai rencontré des gens charmants, mais je suis effaré par le côté bling bling. Même si je gagne très bien ma vie depuis quelques années, je n’ai pas changé, je vis simplement, j’ai une vieille bagnole d’occasion, un Sharan qu’on a acheté avec ma femme pour y asseoir tous nos petits-enfants. Elle est garée dans un parking et j’ai presque honte de rouler avec dans Monaco, où on voit une Maserati qui suit une Ferrari, qui suit une Bentley, qui suit une Rolls-royce, en accélérant dans un vacarme entre deux passages pour piétons sur cinquante mètres. Ça, ça me fait un peu poiler !

Mon rêve serait de présenter l’exposition à New York”

 ?? (Photo Jean-françois Ottonello) ?? Le dessinateu­r et son double félin, hier sur la promenade du Larvotto.
(Photo Jean-françois Ottonello) Le dessinateu­r et son double félin, hier sur la promenade du Larvotto.

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