Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Le 14 juillet, on est arrivés dans le pays des bisounours »

Les membres de deux groupes qui devaient se produire à la Prom’ Party, après le feu d’artifice ont témoigné de leurs vies abîmées et de la sécurité ce soir-là. Une sécurité de « bisounours ».

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

21 juin 2016, fête de la musique : police partout... 14 juillet 2016, Prom’ party, police nulle part, ou presque ?

« Naïvement », « inconsciem­ment » et pourtant « sans crainte particuliè­re », c’est ce qu’ont remarqué, immédiatem­ent, les musiciens du groupe Glamory, mandatés par la Ville de Nice, pour les deux événements à moins d’un mois d’intervalle.

Les rockeurs ont déposé à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris. Tous, marqués. Plus jamais comme avant. Avec le pudique besoin de se distinguer des victimes, « des vraies victimes », pensent-ils, celles qui ont perdu un proche sur la promenade des Anglais, il y a 6 ans.

« Le 21 juin, le public doit se soumettre à un contrôle que je dirais aéroportua­ire. (...) [Le soir du 14 juillet] J’arrive par une rue perpendicu­laire, rue du Congrès, Je constate un simple contrôle piéton. Je sais qu’il n’était pas effectué sur d’autres perpendicu­laires. J’ai dit à un autre membre du groupe, mais qu’est-ce qui se passe ? Comment expliquer un tel gouffre abyssal dans l’approche sécuritair­e de deux événements similaires ? », articule, imperturba­ble, Lionel Aubert, le guitariste.

« Je n’ai vu ni policier, ni militaire »

Alban Sibilia, l’autre guitariste, abonde : « Le 21 juin, on avait même fouillé mes guitares. Ça ne m’était jamais arrivé avant. Le 14 juillet, on est arrivés dans le pays des bisounours. »

Le batteur, Jean-baptiste Pol, confie, lui aussi : « J’ai été frappé par la différence de moyens mis en oeuvre par rapport au 21 juin. » Même partition, pour le groupe Sound of Dixie qui se produisait sur un autre podium, face au Negresco, un peu plus loin de la rue Meyerbeer, où jouait Glamory.

« En arrivant sur la Prom’, j’ai regardé sur la droite, je n’ai vu aucune police qui barrait la route, côté Gambetta. J’ai remonté la

Prom’ et continué jusqu’à la scène. Je n’ai croisé personne pour contrôler mon matériel, je n’ai vu aucun policier ou militaire sur ce trajet. (...) Sachant que quelques jours avant, on ne pouvait pas faire 15 minutes en ville sans être contrôlés, en raison de l’euro », confie Sophie Desvergnes, la contrebass­iste.

Ensuite, un grand costaud s’effondre à la barre pris d’une crise d’angoisse. Avant, il avait évoqué, comme les autres, son étonnement en déboulant à la Prom’ Party le soir de l’attentat. «Ily avait seulement deux barrières et deux policiers municipaux », dit-il. Lui, c’est Valéry Luczynski, le trombonist­e. « Artiste accompli avant », ses tournées musicales sont devenues des « tournées de médocs ». « Je me sens coupable de ne pas avoir pu aider. Je demande pardon aux victimes de ne pas avoir pu faire plus. Que cet être immonde brûle en enfer »,

lâche-t-il.

Sophie Desvergnes ne va pas mieux que lui. La jolie quadra est plongée dans un océan « de solitude ». « J’ai toujours été une fille positive jusque-là. Ma vie était remplie de couleurs. Ce jour-là, cette fille lumineuse est morte, ma vie est devenue complèteme­nt noire. J’ai perdu le sommeil et le goût de vivre. »

Perdu le plaisir de jouer de son instrument, sa passion. Et comme pour demander pardon d’aller aussi mal, elle lâche : « Pourtant, ce jour-là je n’ai perdu personne et mon corps est entier. »

« Ça s’appelle de la discrimina­tion »

Elle jette un oeil à son conseil, Me Nicolas Gemsa. Sourit. « À part mon avocat, c’est la première fois que je peux déposer mon fardeau à quelqu’un. Ma constituti­on de partie civile a déjà été rejetée deux fois par le juge d’instructio­n, et je ne comprends pas pourquoi parce que c’est tellement important pour le début de ma nouvelle vie », jure-t-elle.

« Des victimes dans des situations différente­s ont été traitées de manière différente. Sur la même scène que Sophie, le trompettis­te a été accepté comme partie civile, alors qu’il n’était qu’à un mètre de Sophie. Ça s’appelle de la discrimina­tion », tranche Me Gemsa.

 ?? (Photo d’archives Sébastien Botella) ?? La Prom’ Party sur la promenade des Anglais à Nice, en 2015, un an avant l’attentat du 14 juillet 2016, sur la promenade des Anglais à Nice.
(Photo d’archives Sébastien Botella) La Prom’ Party sur la promenade des Anglais à Nice, en 2015, un an avant l’attentat du 14 juillet 2016, sur la promenade des Anglais à Nice.

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