Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« PPDA a eu un permis de violer pendant des années »

Comme une vingtaine d’autres femmes, Hélène Devynck a accusé publiqueme­nt la star du 20 Heures, Patrick Poivre d’arvor, de l’avoir violée. Elle raconte tout dans son livre, « Impunité ».

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE DOUET (ALP)

Dans un livre qui vient de paraître, l’ex-journalist­e de TF1 Hélène Devynck dénonce «le système » qui a protégé l’agresseur et permis les faits. Elle donne également la parole à d’autres femmes victimes de l’ancien présentate­ur vedette, elles aussi déterminée­s à briser le silence malgré les attaques qu’elles subissent.

Votre plainte contre PPDA, pour un viol commis en 1993, comme celles des sept autres femmes, a été classée sans suite, majoritair­ement pour prescripti­on. Est-ce cela qui a déclenché le besoin d’écrire ce livre ?

Oui, il était temps de parler des victimes, de tourner un peu la caméra vers nous, plutôt que vers cet homme très connu, protégé pendant si longtemps. Il n’y avait que la littératur­e pour cela. J’ai voulu raconter de l’intérieur ce que nous, les femmes qui avons subi ces agressions de la part du même homme, avons vécu. Ce n’est pas de ma part une démarche vengeresse, mais bien solidaire.

Quelles sont les réactions àcerécit?

Les gens me disent qu’ils l’ont lu d’une traite, parce qu’on y découvre la profondeur de l’affaire. Mais il y a aussi des réactions très insultante­s, de la part de gens qui trouvent que je me réveille un peu tard, trente ans après les faits, que je n’ai rien dit pour ne pas sacrifier ma carrière, que je n’ai fait qu’accepter une promotion canapé. C’est très violent. Beaucoup de ceux-là, en réalité, n’ont pas lu le livre. De toute façon, dès que j’ai rendu publique cette histoire, j’ai essuyé des insultes. J’étais la « star fuckeuse », « pas farouche avec les hommes », « pas une oie blanche », etc. Être victime, c’est être déniée, réduite, effacée.

De nouvelles victimes présumées vous ont-elles contactée depuis la publicatio­n ?

Oui. Régulièrem­ent, depuis que l’affaire a été rendue publique, des femmes témoignent. Depuis la sortie d’impunité, une poignée m’ont encore contactée pour me dire qu’elles aussi avaient été victimes de cet homme.

Ce que vous dénoncez, c’est tout un système qui protège les agresseurs quand ils sont puissants…

Oui, car ce qu’il se passait était connu. Le journal Minute avait même publié un papier sur « Un satyre à TF1 », mais il ne s’est rien passé derrière. Si l’on prend les témoignage­s le plus ancien et le plus récent, les faits s’étalent de 1981 à 2016. C’est-à-dire que cet homme a sévi pendant 35 ans, auprès de femmes répondant plutôt au profil « jeune, mince, voire anorexique et ayant fait des études supérieure­s ». PPDA était couvert d’or et de compliment­s pendant qu’il agressait à tour de bras. Ce qui a permis ces agressions, c’est d’avoir un malade au sein d’un système malade.

Pensez-vous que ce « système » a évolué ?

Non, d’ailleurs, à TF1, personne ne nous soutient. Il n’y a pas eu de réaction à nos témoignage­s. Le problème, c’est que tous ceux qui savaient ce qu’il se passait ne peuvent l’avouer aujourd’hui : ils seraient considérés comme complices, s’ils le faisaient. Certes, les gens qui étaient à TF1 à mon époque me disent : «Jetecrois». Mais ils ne le font pas publiqueme­nt. Et on continue aujourd’hui à protéger des agresseurs sexuels, dans les médias et, on l’a vu encore récemment, en politique… L’état même protège ces hommes-là. Ce système à un nom : c’est le patriarcat. Et il y a plus de bénéfices à en faire partie qu’à l’attaquer.

Ce livre est-il une façon de faire bouger les lignes ?

Oui, c’est le but. Montrer qu’une entreprise a caché, protégé un agresseur et favorisé les faits. Cette structure, TF1, imposait le silence. PPDA a eu un permis de violer pendant toutes ces années. Il est là le fertilisat­eur de l’impunité qui fait qu’aujourd’hui moins de 1 % des viols sont jugés et leurs auteurs condamnés. Même quand il y a des preuves, il n’y en a jamais assez.

Pensez-vous que la société refuse de voir l’agresseur quand il s’agit d’un puissant ? Bien sûr. Le problème, c’est que pour la plupart des gens, le viol, c’est l’inconnu dans un parking. Il existe une image sociale du violeur (le pauvre type, l’air louche…) qui imprègne les esprits des gens.

On refuse le viol par l’homme puissant, inséré, bourgeois. J’aime bien cette phrase qui résume tout : « Violeur au-delà du périph, séducteur en-deçà »…

Le dépôt de plainte de PPDA pour « dénonciati­on calomnieus­e » a-t-il sonné comme l’ultime humiliatio­n ? Depuis le début, sa défense est violente. Elle consiste à dire que nous, ses victimes, sommes des femmes amères, à qui il n’a pas donné satisfacti­on, qui ont tout inventé pour nuire à ce grand séducteur. Or, est-ce qu’on peut sérieuseme­nt penser que des dizaines de femmes peuvent mentir ? Quel intérêt aurions-nous à le faire ? Je vous assure que nos vies à toutes étaient plus simples avant la dénonciati­on des faits. Après la violence du viol, il faut supporter ce que ça implique de parler. Être victime et le dire, c’est une montagne d’emmerdemen­ts.

Un lien indéfectib­le s’est tissé entre les victimes… Oui, nous sommes une vingtaine de femmes à nous voir désormais. Celles dont il est question dans mon livre ont été d’une grande générosité de m’autoriser ainsi, parfois anonymemen­t, à livrer ce qu’elles ont vécu. Ces femmes m’aident à parler, à écrire, à ne pas m’effondrer.

Je les porte, elles me portent.

Votre livre a fait réagir la défense de PPDA, présumé innocent. Son avocat Philippe Naepels a déclaré que vous en répondrez « devant un juge, à l’instar de toutes ces fausses victimes ». Avez-vous peur ?

Je m’y attendais. Cela fait partie du risque. C’est une façon pour l’agresseur de museler les victimes. PPDA brandit son impunité comme un trophée, il l’exhibe. Ce livre, c’est une façon de remettre le monde à l’endroit. Élisabeth Badinter, interrogée sur France Inter (le 28/09), s’est positionné­e contre l’imprescrip­tibilité du viol, car ce serait « indécent », dit-elle, d’« assimiler les violences sexistes aux crimes contre l’humanité » (seul crime imprescrip­tible dans la loi). La philosophe dit aussi des femmes qui témoignent publiqueme­nt qu’« on n’a pas la certitude de leur honnêteté ». Qu’en pensez-vous ?

Élisabeth Badinter est quelqu’un qui a eu une importance dans ma constructi­on féministe. Ces paroles m’attristent de la part d’une femme que j’ai estimée. Ses arguments sont ceux de nos adversaire­s : ils musellent les femmes et défendent les agresseurs.

À la fin de votre livre, vous livrez « ces quelques minutes poisseuses », le récit glaçant, clinique, de votre viol. Avez-vous hésité à écrire cette page ?

Je raconte dans le livre les viols subis par d’autres femmes, je ne pouvais donc pas occulter le mien. La difficulté, au moment de l’écrire, ça a été de ne pas en faire quelque chose d’érotique, d’excitant.

Il fallait que le récit soit bref et brutal, à l’image ce qu’il s’est passé. > Impunité, d’hélène Devynck, Éditions du Seuil, 19 euros.

“Être victime, c’est être déniée, réduite, effacée”

“Il fallait que le récit soit bref et brutal, à l’image ce qu’il s’est passé”

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