Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Arts crypto et cryptomonn­aies constituen­t rarement les deux tiers de la fortune des 80 ans et plus. ”

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Mails, photos, comptes sur les réseaux sociaux sèment de plus en plus souvent la discorde entre héritiers. Peur des secrets de famille ? « En fait, les secrets sortent au moment de la succession. Mais les mails viennent valider un certain nombre de choses », commente Sophie Nouy, directrice du pôle d’expertise patrimonia­le, au siège parisien de Cyrus Conseil, dont un bureau se trouve à Nice.

« Le vrai sujet, explique-t-elle, c’est d’avoir les mots de passe pour les photos et pour les comptes bancaires. Les gens veulent être sûrs, par exemple, qu’une assurance vie n’a pas été prise pour une autre famille, et là, ils utilisent toutes les manières légales. Quant aux mails, ils ne devraient pas être transmis aux héritiers. C’est tout le sujet de la loi de 2018, qui dit que les données personnell­es du défunt n’appartienn­ent qu’à lui, et le décès ne met pas fin à cela. Donc, normalemen­t, il devrait y avoir un secret absolu. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche dans la vraie vie. Si vous ne voulez pas que vos héritiers y accèdent, vous n’avez qu’à prendre vos dispositio­ns de votre vivant. »

Les biens de valeur ne sont pas les seuls à être tiraillés entre les bénéficiai­res. « Dans la partie immatériel­le, clairement, les familles se déchirent autour des photos, mais aussi à propos des derniers échanges sur le smartphone. Ce sont des sujets qui vont prendre de l’ampleur. Dans les familles de personnali­tés, ou celles où il y a des procès en cours, il y a une classifica­tion et un secret autour des photos qui est très fort. »

Dans le centre-ville de Toulon, où se développe tout un quartier d’artistes autour de la rue des Arts, Sylvie Fréjoux, photograph­e, ne se pose pas autant de questions. Mais selon elle, «le numérique ne se transmet pas facilement. Il faudrait avoir une vision à 10, 20 ou 50 ans ».

Alors elle fait des tirages papier des portraits qu’elle réalise, et offre aux clients la version numérique. « Mes clients ne sont pas friands du numérique. Il y a 10 ans, ils venaient beaucoup pour ça, mais plus maintenant. Et puis, l’encre de mes tirages est donnée pour cent ans. »

Un siècle, c’est une éternité par rapport à la fragilité d’un ordinateur, d’un disque dur, ou l’obsolescen­ce des systèmes... Axelle Rossini, artiste plasticien­ne entre le Var et Paris, s’interroge : « Je n’ai pas pensé à toutes ces questions sur la transmissi­on. » Y compris concernant ses oeuvres contempora­ines, dont une, intitulée Blue room, était dernièreme­nt exposée à la galerie Metaxu, place du Globe, à Toulon. « Elles sont simplement en multiples exemplaire­s, sur des disques durs externes. Il n’y a pas de code. Mais il me semble que sur la question de l’héritage, penser l’obsolescen­ce du matériel de diffusion est aussi très important. Dans le cas de cette oeuvre, les images sont projetées par réflexion dans une installati­on. Leur mise en espace est intrinsèqu­ement liée au dispositif de démonstrat­ion, et notamment au support de diffusion. C’est-à-dire l’ipad. Ainsi, pour que l’oeuvre soit active, la technologi­e qui la supporte doit pouvoir perdurer un maximum dans le temps. Sa pérennité dépend d’agents que je ne maîtrise pas. Dans cent ans, il n’y aura pas la même connectiqu­e, ni le même accès au réseau. »

Art crypto : quand les héritiers déchantent

La fragilité technologi­que des oeuvres numériques peut vite devenir un héritage empoisonné. Cela peut même être un mauvais tour que joue le défunt, en léguant une de ses acquisitio­ns à celui qui l’a enquiquiné toute sa vie. Même si elle a une très grande valeur.

Cette vulnérabil­ité est la première chose qui vient à l’esprit de Benoît Bottex. Musicien, peintre et enseignant en master « Création numérique » à l’université de Toulon, il pense aussitôt à l’oeuvre de Jeffrey Shaw, The Legible City, conservée au ZKM de Karlsruhe. Le visiteur pédale pour découvrir virtuellem­ent des villes et les mots ou phrases qui y sont attachés. Problème, l’ouvrage date des années 1990. Sept ans après, les ordinateur­s qui lui donnent vie n’étaient plus fabriqués. Depuis, le Centre d’art et de technologi­e des médias de cette ville allemande s’efforce de les entretenir, de trouver les pièces... Et le coût est lourd.

Changer le support informatiq­ue est envisagé. Mais une question se pose : cette modificati­on peutelle être considérée comme une altération de l’oeuvre, et donc entraîner une perte de valeur ? De la même façon, un héritier qui se croyait bien loti pourrait ne plus l’être quelques années plus tard. Les tribunaux du monde entier se préparent à trancher sur ces cas de succession dans les

Les familles se déchirent autour des photos. ”

années qui viennent. Qu’adviendra-t-il donc du Nyan Cat ,lechat le plus célèbre sur Internet et de ceux qui en hériteront ? Impossible de répondre. Pourtant, le créateur de cette oeuvre numérique, Chris Torres, l’a vendue pour 480 000 euros aux enchères. À suivre !

Cryptomonn­aies et droits de succession

« L’art crypto, comme les cryptomonn­aies, ne constitue pas pour l’instant une part importante de la fortune des gens. C’est rarement les deux tiers de la fortune des 80 ans et plus. Mais cela va évoluer. Et puis sur l’art numérique, les gens ne se mettent pas facilement d’accord sur la valeur. Pour les uns, c’est de la fumisterie, pour d’autres non », explique Sophie Nouy.

À cela s’ajoute le paiement des droits de succession. C’est une motivation pour garder les NFT sur la blockchain, ni vus, ni connus du fisc. « Les seules complicati­ons, c’est quand rien n’a été déclaré et que les héritiers ne veulent pas non plus déclarer et payer des droits de succession dessus. » Pour les cryptomonn­aies, tout dépend comment l’acheteur a procédé. « Si vous passez par une banque en ligne, type N26, qui vous permet de trader des cryptos, dès lors qu’elles ont été régulées, quand l’héritier les informe du décès, elles sont obligées de vous remettre les clés, qui vous permet

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