Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Interview express

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Élie aura attendu près de 33 ans pour chercher auprès de Marine Amici, orthophoni­ste et déléguée départemen­tale de l’associatio­n parole bégaiement (lire interview ci-contre), un soulagemen­t à ce bégaiement qui perturbe sa vie depuis son plus jeune âge. Aussi loin qu’il s’en souvienne, le jeune Parisien installé à Nice depuis deux ans, a toujours bégayé. Son passé d’écolier est ponctué de moqueries de la part de ses camarades de classe. « En primaire, elles étaient suscitées par mon bégaiement. Au collège, c’était ma lenteur (en m’exprimant ainsi, je bégayais moins) qui provoquait les railleries. À l’adolescenc­e, lorsque les relations sociales et amoureuses deviennent de plus en plus importante­s, ce sont d’autres astuces que j’ai mises en place, comme l’utilisatio­n de mots d’appui (lire plus loin)… » Des subterfuge­s épuisants et surtout des frustratio­ns qui vont progressiv­ement devenir insupporta­bles. « Redouter de parler à des inconnus, même pour des motifs aussi banals que demander son chemin, ne pas être compris parce que les messages que l’on transmet ne sont pas bien formulés, fuir les regroupeme­nts pour ne pas avoir à s’exprimer, susciter l’exaspérati­on – légitime – de ses proches quand les mots tardent tellement à venir… je n’en pouvais plus. »

Mais ce qui va être l’élément déclencheu­r de sa demande de prise en charge orthophoni­que, ce sera, il y a un an, ces nombreuses réponses négatives qui lui seront opposées suite à des entretiens d’embauche. Et en dépit d’un très beau CV et de ses expérience­s profession­nelles en France et à l’étranger. « Même si ce n’était pas dit expresséme­nt, je savais que c’était la raison des refus. Seul un employeur m’a clairement fait comprendre que mon langage le heurtait. » Motif : l’utilisatio­n très fréquente et inappropri­ée de certains mots qui sont en réalité des béquilles pour Élie. « Ils participen­t du processus d’évitement, en me permettant de ne pas bégayer en cas de stress. Je recours en particulie­r au mot « genre » ; il m’aide à entamer une phrase, surtout lorsque celle-ci commence par une voyelle. Je recours aussi très souvent à la locution « non, mais ». Ce qui irrite légitimeme­nt ma compagne qui a le sentiment que je contredis ainsi tout ce qu’elle dit. Sinon, je bloque… Mais, il est vrai que, répétés, ces mots d’appui, donnent à mes interlocut­eurs le sentiment d’une pauvreté de langage. Et lors d’un des entretiens d’embauche, on m’a dit que c’était rédhibitoi­re. »

Pour Élie, c’est le déclic. Il est à bout. Fatigué par ses difficulté­s d’expression, qui pèsent également sur sa vie privée – « même avec ma compagne, les discussion­s sont parfois difficiles »– lassé par ses frustratio­ns, il veut, alors même qu’il a trouvé un emploi dans lequel il se réalise, être pris en charge. Et Marine entend bien l’amener sur le chemin de la guérison.

Marine Amici est orthophoni­ste à Nice et déléguée départemen­tale 06 pour l’associatio­n parole bégaiement (APB) (1).

Quelles sont les causes du bégaiement ?

La cause la plus fréquente du bégaiement est la génétique, et non le tempéramen­t de l’enfant ou le stress.

À quelles difficulté­s les parents sontils confrontés ?

Il y a trop peu de profession­nels formés au bégaiement. Ce qui retarde la prise en charge. Lorsque les parents perçoivent que leur enfant éprouve des difficulté­s à s’exprimer et font part de leur inquiétude, il faut les écouter, ils ne se trompent jamais.

Quand consulter ? Lorsque le bégaiement apparaît avant trois ans et demi, c’est moins inquiétant, mais il faut néanmoins consulter assez vite. De façon générale, la prise en charge orthophoni­que doit être mise en place avant l’âge de 6 ans.

Pourtant, on entend souvent : « Il faut attendre ».

Cette croyance est en partie véhiculée par la psychanaly­se selon laquelle parler de bégaiement à l’enfant, c’est participer à le fixer. C’est faux. Et si l’on insiste sur l’importance d’une prise en charge précoce, c’est parce qu’avant six ans, il existe une forte plasticité cérébrale (capacité du cerveau à transforme­r ses connexions, Ndlr) qui permet de rétablir assez facilement une parole fluide. Audelà de cet âge, c’est plus complexe.

À quoi la prise en charge se résume-t-elle ?

Avant 6 ans, les parents sont impliqués pour augmenter l’efficacité. On utilise un programme créé en Australie, basé sur le renforceme­nt positif et négatif. Le parent applique la majorité du traitement, sous la forme de jeux, 15 minutes par jour. Lors des thérapies hebdomadai­res, l’orthophoni­ste enseigne le traitement au parent et suit l’évolution de l’enfant.

1. www.begaiement.org/

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(Photos N. C.) Pour Élie, commence la prise en charge orthophoni­que par Marine Amici.
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