Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Interview express
Élie aura attendu près de 33 ans pour chercher auprès de Marine Amici, orthophoniste et déléguée départementale de l’association parole bégaiement (lire interview ci-contre), un soulagement à ce bégaiement qui perturbe sa vie depuis son plus jeune âge. Aussi loin qu’il s’en souvienne, le jeune Parisien installé à Nice depuis deux ans, a toujours bégayé. Son passé d’écolier est ponctué de moqueries de la part de ses camarades de classe. « En primaire, elles étaient suscitées par mon bégaiement. Au collège, c’était ma lenteur (en m’exprimant ainsi, je bégayais moins) qui provoquait les railleries. À l’adolescence, lorsque les relations sociales et amoureuses deviennent de plus en plus importantes, ce sont d’autres astuces que j’ai mises en place, comme l’utilisation de mots d’appui (lire plus loin)… » Des subterfuges épuisants et surtout des frustrations qui vont progressivement devenir insupportables. « Redouter de parler à des inconnus, même pour des motifs aussi banals que demander son chemin, ne pas être compris parce que les messages que l’on transmet ne sont pas bien formulés, fuir les regroupements pour ne pas avoir à s’exprimer, susciter l’exaspération – légitime – de ses proches quand les mots tardent tellement à venir… je n’en pouvais plus. »
Mais ce qui va être l’élément déclencheur de sa demande de prise en charge orthophonique, ce sera, il y a un an, ces nombreuses réponses négatives qui lui seront opposées suite à des entretiens d’embauche. Et en dépit d’un très beau CV et de ses expériences professionnelles en France et à l’étranger. « Même si ce n’était pas dit expressément, je savais que c’était la raison des refus. Seul un employeur m’a clairement fait comprendre que mon langage le heurtait. » Motif : l’utilisation très fréquente et inappropriée de certains mots qui sont en réalité des béquilles pour Élie. « Ils participent du processus d’évitement, en me permettant de ne pas bégayer en cas de stress. Je recours en particulier au mot « genre » ; il m’aide à entamer une phrase, surtout lorsque celle-ci commence par une voyelle. Je recours aussi très souvent à la locution « non, mais ». Ce qui irrite légitimement ma compagne qui a le sentiment que je contredis ainsi tout ce qu’elle dit. Sinon, je bloque… Mais, il est vrai que, répétés, ces mots d’appui, donnent à mes interlocuteurs le sentiment d’une pauvreté de langage. Et lors d’un des entretiens d’embauche, on m’a dit que c’était rédhibitoire. »
Pour Élie, c’est le déclic. Il est à bout. Fatigué par ses difficultés d’expression, qui pèsent également sur sa vie privée – « même avec ma compagne, les discussions sont parfois difficiles »– lassé par ses frustrations, il veut, alors même qu’il a trouvé un emploi dans lequel il se réalise, être pris en charge. Et Marine entend bien l’amener sur le chemin de la guérison.
Marine Amici est orthophoniste à Nice et déléguée départementale 06 pour l’association parole bégaiement (APB) (1).
Quelles sont les causes du bégaiement ?
La cause la plus fréquente du bégaiement est la génétique, et non le tempérament de l’enfant ou le stress.
À quelles difficultés les parents sontils confrontés ?
Il y a trop peu de professionnels formés au bégaiement. Ce qui retarde la prise en charge. Lorsque les parents perçoivent que leur enfant éprouve des difficultés à s’exprimer et font part de leur inquiétude, il faut les écouter, ils ne se trompent jamais.
Quand consulter ? Lorsque le bégaiement apparaît avant trois ans et demi, c’est moins inquiétant, mais il faut néanmoins consulter assez vite. De façon générale, la prise en charge orthophonique doit être mise en place avant l’âge de 6 ans.
Pourtant, on entend souvent : « Il faut attendre ».
Cette croyance est en partie véhiculée par la psychanalyse selon laquelle parler de bégaiement à l’enfant, c’est participer à le fixer. C’est faux. Et si l’on insiste sur l’importance d’une prise en charge précoce, c’est parce qu’avant six ans, il existe une forte plasticité cérébrale (capacité du cerveau à transformer ses connexions, Ndlr) qui permet de rétablir assez facilement une parole fluide. Audelà de cet âge, c’est plus complexe.
À quoi la prise en charge se résume-t-elle ?
Avant 6 ans, les parents sont impliqués pour augmenter l’efficacité. On utilise un programme créé en Australie, basé sur le renforcement positif et négatif. Le parent applique la majorité du traitement, sous la forme de jeux, 15 minutes par jour. Lors des thérapies hebdomadaires, l’orthophoniste enseigne le traitement au parent et suit l’évolution de l’enfant.
1. www.begaiement.org/