Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Don d’un tendon du vivant : PREMIÈRE ÉTHIQUE ET CHIRURGICA­LE

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

« La voie vers un progrès thérapeuti­que »

Parce que cela lui semblait « naturel », Patricia a souhaité qu’un tendon lui soit prélevé pour soigner sa fille, une jeune rugbywoman, multi-opérée au niveau des genoux. Un don interdit en France. L’opération, une première mondiale, a finalement eu lieu à L’IM2S à Monaco.

«Ne peut-on pas prendre un tendon sur mon propre genou ? Richard Berry a bien donné un rein à sa

soeur!» Ces quelques mots d’une maman accompagna­nt sa fille à une consultati­on de chirurgie orthopédiq­ue débouchero­nt dix mois plus tard sur une première mondiale. Le 8 octobre dernier, Patricia, 55 ans et Kiara, 20 ans, étaient opérées à L’IM2S à Monaco. La première se voyait retirer un tendon rotulien, la seconde recevait cette allogreffe destinée à réparer sa énième rupture de ligament croisé antérieur (LCA). L’interventi­on a eu lieu il y a quelques jours, elles sont encore convalesce­ntes, mais tous les voyants sont au vert. Kiara, à l’issue de sa rééducatio­n, devrait pouvoir retrouver les terrains de rugby, un sport qu’elle pratique avec passion et qui n’est pas sans lien avec ses mésaventur­es médicales.

Multi-opérée au niveau des genoux

Le Pr Christophe Trojani, à l’origine de cette première, se souvient comme si c’était hier, de sa rencontre avec le binôme mèrefille. « Je voyais Kiara pour la première fois. Alors qu’elle avait été multi-opérée au niveau des deux genoux, les options thérapeuti­ques pour réparer une nouvelle fracture du LCA étaient limitées. Aussi ai-je proposé une reconstruc­tion avec un tendon prélevé sur un donneur décédé. Mais aussitôt, la maman de Kiara m’a interpellé : On ne peut pas prendre un tendon sur mon propre genou ? Pourquoi pas !, lui ai-je répondu. »

Mais, il faut rapidement se rendre à une évidence : ce don n’est pas autorisé en France. Sur un donneur vivant, il est en effet seulement possible de prélever un rein, un lobe pulmonaire ou hépatique. « Ce n’est pas possible ? Rendons la chose possible ! », défiera Patricia.

Feu vert de Monaco

C’est alors le début d’un vrai parcours du combattant. « Je me suis tourné vers L’ARS et l’agence de Biomédecin­e, qui m’ont opposé un non très ferme, relate le Pr Trojani. Restait une option : l’autorisati­on du tribunal judiciaire de Nice. Que j’ai obtenue grâce à l’interventi­on de Maître André Bezzina. Mais, en dépit de cette autorisati­on, l’agence de Biomédecin­e a réitéré son refus. C’est là que nous avons eu l’idée de nous tourner vers la Principaut­é de Monaco. Nous avons saisi le Départemen­t des Affaires sociales et de la Santé, et son Conseiller de gouverneme­nt-ministre, Christophe Robino, qui nous a donné l’autorisati­on de réaliser l’interventi­on. Également consulté, le comité consultati­f d’éthique en matière de recherche biomédical­e monégasque a rendu lui aussi un avis favorable. » C’est ainsi que dix mois plus tard, l’opération a pu avoir lieu. Ne pouvant être remboursée en France, car interdite, celle-ci a été intégralem­ent financée par la Principaut­é de Monaco. « Dans une salle, était réalisé le prélèvemen­t du tendon rotulien de Patricia, la maman, dans l’autre, était installée Kiara, chez laquelle nous avons procédé à une reconstruc­tion du LCA associée à une ostéotomie tibiale de valgisatio­n (technique chirurgica­le destinée à corriger l’axe du membre inférieur, Ndlr) .»

« Vous feriez la même chose ! »

Deux interventi­ons assez simples au niveau technique, mais rendues exceptionn­elles par le contexte. « Il y avait un seul précédent de ce type en Australie, où une greffe d’ischiojamb­ier à partir de donneurs vivants avait été réalisée chez des enfants. Mais s’agissant du tendon rotulien, c’était une première. » Sià ce jour, il n’y a aucun signe de rejet – ce type de greffe est très peu exigeant en termes de compatibil­ité tissulaire –, il n’est pas exclu. «Il faudra réaliser un scanner et un IRM de contrôle dans deux mois pour s’en assurer définitive­ment », tempère le Pr Trojani, tout en se disant très optimiste.

« Et si le succès est confirmé, cette option d’allogreffe à partir de donneur vivant pourrait représente­r un véritable progrès ; elle pourrait même s’envisager en première intention, dans une situation comme celle de Kiara et sa maman. Donner son tendon à son enfant, lorsque celui-ci est sportif de haut niveau en particulie­r, c’est lui offrir la possibilit­é de récupérer plus vite, et lui éviter certaines opérations. »

Que pense Patricia de tout ça ? Elle sourit : « Quand les gens, à l’hôpital même, me félicitent, comme si j’avais fait un truc de dingue, je leur réponds : vous avez des enfants ? Vous feriez la même chose ! »

 ?? (Photo Sylvain Teissier) ?? Le Docteur Raynier et le Professeur Trojani, chirurgien­s à L’ICR à Nice, reconstrui­sent pour la 3e fois, sous vidéo-chirurgie, le LCA du genou de Kiara avec le tendon qui vient d’être prélevé chez sa maman (voir photo ci-contre).
(Photo Sylvain Teissier) Le Docteur Raynier et le Professeur Trojani, chirurgien­s à L’ICR à Nice, reconstrui­sent pour la 3e fois, sous vidéo-chirurgie, le LCA du genou de Kiara avec le tendon qui vient d’être prélevé chez sa maman (voir photo ci-contre).
 ?? (Photo Sylvain Teissier) ?? Le Docteur Clowez, chirurgien à L’ICR à Nice, et le Docteur d’ollonne, chirurgien à L’IM2S à Monaco, en train de prélever le tendon rotulien de la maman.
(Photo Sylvain Teissier) Le Docteur Clowez, chirurgien à L’ICR à Nice, et le Docteur d’ollonne, chirurgien à L’IM2S à Monaco, en train de prélever le tendon rotulien de la maman.

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