Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Roschdy Zem

« C’EST MA FAÇON DE RACONTER MA FRANCE »

- MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr

Réalisateu­r et acteur de son propre film, Les Miens, l’acteur de 57 ans raconte son intimité à travers l’histoire d’une famille attachante bousculée par un accident.

Quelle est la genèse de cette histoire ?

C’est un accident qui est arrivé à mon jeune frère. Il a chuté lourdement et a eu une commotion cérébrale qui a eu pour effet de changer complèteme­nt sa personnali­té. Quand on s’abîme le lobe frontal, on finit par ne plus avoir de filtre et on dit tout ce que l’on pense avec beaucoup d’agressivit­é. Il est devenu ce personnage odieux que l’on voit au début du film, c’est le point de départ de mon histoire.

Pourquoi avoir voulu partager ça avec le public ?

C’était nécessaire, on est là pour raconter des histoires originales. Plutôt que d’inventer une histoire, j’ai voulu raconter quelque chose qui se produisait autour de moi et, ensuite, décliner cet accident pour raconter ma famille. C’est ma façon de raconter ma France, celle que j’ai ressentie et vécue pendant 57 ans, c’est aussi une forme d’hommage à ma famille.

Est-ce facile de raconter sa famille ?

La grande difficulté, c’est de prendre la décision. Il y a, aussi, une démarche thérapeuti­que que j’assume. J’ai évoqué ce projet avec ma famille, ils étaient perplexes mais aussi excités. C’est paradoxal car j’ai toujours été discret sur ma vie privée et là, je la livre quasiment en pâture à travers une fiction.

Ryad, votre personnage, est-ce vous ?

C’est une image de moi, celle, notamment, que ma famille a de moi. C’était intéressan­t de mettre en abîme tout ce qui m’a souvent été reproché, comme mon statut au sein de ma famille. C’est une façon de me faire pardonner, de faire mon mea culpa et de leur dire : “Je vous ai entendu, je sais ce qui a pu vous déranger”. C’est une écriture qui agit comme une catharsis, c’est ma façon de me dévoiler.

Vous vous infligez des choses difficiles, notamment dans les mots de Sami Bouajila à votre personnage.

C’est dur mais c’est la vérité. L’idée était d’être le plus honnête possible. Quand je lui dis : “Je vous aime”, et qu’il me répond, “ça ne se voit pas”, ce sont typiquemen­t des échanges que j’ai eus avec des membres de ma famille.

Dans le drame, il y a une part d’humour.

Quand je racontais ce qui était arrivé à mon frère et l’attitude qui était la sienne, il y avait des gens choqués mais, parfois, des « C’est une écriture qui agit comme une catharsis, c’est ma façon de me dévoiler » rictus. J’ai été bercé par les comédies italiennes comme

Affreux, sales et méchants, qui raconte le quotidien de gens dans la misère la plus totale avec beaucoup d’humour.

Cette famille est celle de tout le monde, notamment dans les scènes de repas, c’est voulu ?

Je voulais une famille dans laquelle tout le monde pouvait se retrouver. Dans le cinéma français, quand on évoque une famille nord-africaine, on la traite souvent à travers le prisme de la culture ou de la religion. J’ai l’impression qu’on en a fait le tour et je trouve ça pesant, pour ne pas dire agaçant, qu’on essentiali­se ces familles autour de ça. J’ai voulu raconter ma famille, cette joie, ce bordel, ce brouhaha quand on se célèbre autour d’un repas. La famille est notre garde-fou à tous, parfois ça peut vous faire très mal. Ma famille m’est nécessaire, elle m’a toujours soutenu et j’ai senti son regard bienveilla­nt sur l’homme que je suis mais également l’acteur.

Quand on raconte son intime, on a besoin de s’appuyer sur un casting de confiance.

J’ai voulu recréer une famille alors je me suis entouré de gens de confiance et que je connaissai­s. Sami (Bouajila), c’était une évidence. Quand on cherche un acteur de ma génération, suffisamme­nt aguerri et expériment­é, ça ne court pas les rues. J’ai une admiration sans faille pour l’acteur et l’homme. Rachid Bouchareb, qui n’est pas acteur, je le connais très bien car j’ai fait cinq ou six films avec lui, et il m’a toujours rappelé mes grands frères. Il est à cheval entre deux cultures. Mes grands frères, contrairem­ent à moi, sont nés au Maroc, ils sont arrivés en France à 8 et 10 ans. J’ai le sentiment que dans leur comporteme­nt, il y a un déracineme­nt ancré en eux. Il y a quelque chose de digne qui me bouleverse, je voyais ça chez Rachid. Mon grand frère a une particular­ité, il ne parle jamais, il est dans l’écoute, il s’intéresse à tout le monde mais on ne connaît ni son avis ni son point de vue. Rachid me dit : “S’il ne parle jamais, c’est bon, je peux le faire”, et finalement Rachid a pris le plaisir de jouer, il a fallu que je le coupe car il était drôle et inventif. Et puis j’ai fait tourner ma fille, qui n’est pas comédienne. J’avais besoin de quelqu’un d’apaisé pour ce rôle. Ma fille n’a pas connu le monde ouvrier des parents, le racisme, la galère, le système D. Elle n’est pas en colère, c’est ça que j’attendais du personnage. J’ai aussi découvert ma fille en tournant avec elle.

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