Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Nous sommes tous concernés par le Darknet »

Le commandant Pierre Penalba, ex-chef de la cellule cybercrimi­nalité de la PJ de cosigne avec sa femme Abigaelle Darknet, le voyage qui fait peur. Une immersion effrayante et édifiante.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Ils ont plongé du côté obscur du web. Dans ce cybermonde pas si éloigné du nôtre, escrocs, dealers et pédophiles croisent opposants politiques et justiciers anonymes. Cet univers, lui le connaît jusqu’à la nausée. Elle l’a découvert.

Le commandant Pierre Penalba, ex-chef de la cellule cybercrimi­nalité de la PJ de Nice, a accompagné sa femme Abigaelle, enseignant­e et formatrice, pour un mois d’enquête dans le Darknet. Ce couple de Niçois établis « dans le Var, au milieu des vignes » ,ena tiré le livre Darknet, le voyage qui fait peur (1). Ils reprennent la recette de leur premier livre, Cyber crimes : décrire la face cachée du web, avec beaucoup de pédagogie et de conseils pratiques. Un voyage en apnée sidérant, effrayant et édifiant.

Comment avez-vous conçu cet ouvrage à quatre mains ?

AP : C’est un carnet de voyage, avec plusieurs escales. Je faisais des découverte­s et Pierre était mon guide. L’idée était de montrer aux lecteurs – notamment les jeunes et leurs parents – la violence à laquelle on est confronté sur le Darknet. Ici, la pornograph­ie n’est plus hardcore mais « hurtcore », associée à une violence extrême. Elle peut être très traumatisa­nte. Or des gamins de 10-12 ans peuvent aller très facilement sur le Darknet.

On découvre avec vous le

carding ,ce business qui permet d’acheter des cartes bancaires prêtes à l’emploi. Le Darknet, nid d’escrocs ?

AP : Oui. L’un des principaux dangers du Darknet, c’est de se faire arnaquer ! C’est le far west du numérique, avec très peu de contrôles, même si les forces de l’ordre sont présentes.

Les escrocs jouent sur l’espoir, avec beaucoup de risques et aucun recours. PP : C’est un endroit très propice pour vendre les données volées dans le monde réel, à n’importe qui dans le monde. C’est extrêmemen­t difficile de faire des enquêtes dans ce domaine.

Que faire pour éviter d’être piraté ?

PP : L’hygiène numérique est très importante. Il ne faut pas disperser ses données n’importe où. N’aller que sur les sites référencés et connus. Surtout, ne jamais cliquer sur un lien dans un mail, aller directemen­t sur le site. Il faut toujours être méfiant. Les banques ne sont pas obligées de rembourser systématiq­uement si elles considèren­t qu’il y a eu un problème au niveau de l’utilisateu­r.

Si on est rançonné, l’idée, c’est de ne pas payer ?

PP : En tant que policier, je disais toujours : on ne paye pas, sinon ça alimente le marché des criminels. Mais je comprends tout à fait que des gens paient pour continuer de travailler ou récupérer des données vitales. Reste que vous n’êtes jamais sûr de récupérer vos données... et vous laissez les portes ouvertes par lesquelles sont rentrés les criminels !

Bien qu’assez méconnu, le Darknet interagit beaucoup avec le monde réel ?

AP : Tout à fait. Ce livre a pour objectif de montrer que nous sommes tous concernés par le Darknet. Même si on n’y est jamais allé, on y est peut-être par le vol de données – on le voit en ce moment avec le piratage des établissem­ents de santé. D’où l’importance d’avoir un système informatiq­ue assez verrouillé et de faire des sauvegarde­s régulières. Il faut toujours mettre ses documents importants à l’abri d’un accès Internet, sur une clé USB ou un disque dur. Il faut aussi régulièrem­ent nettoyer votre boîte mail. Sinon, un pirate peut récupérer les copies de votre pièce d’identité que vous avez envoyées par mail !

Vous qualifiez le Darknet de

« miroir grossissan­t de notre société dans tous ses excès »... AP : Oui, car on y trouve les mêmes choses que dans le clear web, mais de manière beaucoup plus extrême et violente. Il n’y a pas de limite à la liberté, et elle peut être la meilleure comme la pire des choses. Beaucoup de contenus migrent d’ailleurs du clear web, de plus en plus contrôlé, vers le dark web.

On trouve même une grille tarifaire avec les services d’un tueur à gages ! Peut-on vraiment tout acheter sur le Darknet ou est-ce du bluff ?

AP : On peut tout payer ! (Rires) Après, est-ce qu’on aura le service à l’arrivée ? Le tueur à gage, c’est l’un des fantasmes du Darknet. Mais il y a très peu de cas documentés de tueur à gage embauché par ce biais-là. Aux États-unis, certains de ces sites sont tenus par des forces de l’ordre, pour interpelle­r des gens qui ont des desseins un peu sombres.

Slave girls, red rooms, snuff movies, manuels de cannibalis­me... Peut-on encore avoir foi en l’humanité après ça?

PP (soupire) : En près de 40 ans dans la police, ma confiance en la bonté de l’humanité est partie depuis longtemps ! Quand on plonge dans le Darknet, on se rend compte que beaucoup de gens sont prêts à n’importe quoi, pour de l’argent ou pour satisfaire des pulsions. Même si ça reste marginal, ça montre les extrêmes dans lesquels peut arriver l’être humain.

AP : Il y a une petite note d’espoir : en Asie, un homme qui a commandé un viol à distance a été récemment condamné.

Mais pour l’instant, en termes de sécurité, quasiment rien n’est fait...

PP : Si. Les services de police tentent d’infiltrer tous les sites de ce type. Mais il y en a beaucoup, et on n’est pas assez nombreux. Par ailleurs, des hackers éthiques se sont fixé comme mission de détruire tous ces sites. Une sorte de mouvement de résistance s’organise petit à petit, notamment pour chasser les liens en rapport avec la pédocrimin­alité.

À quand un début de réglementa­tion dans ce nouveau « far west » ?

PP : Il ne peut pas y en avoir, car il n’y a aucun moyen de localiser qui que ce soit. Et les réglementa­tions ne sont pas universell­es.

AP : Il ne faudrait quand même pas donner une idée d’impunité totale. Les forces de l’ordre sont très présentes dans le Darknet. De gros réseaux tombent très régulièrem­ent, grâce à une importante collaborat­ion des services de police au niveau internatio­nal. L’accès à la drogue y est facile, c’est vrai, mais pas sans risque.

Comment préserver les mineurs de toutes les horreurs du Darknet ?

AP : Les parents se sentent souvent dépassés. D’un point de vue technologi­que, les enfants auront toujours de l’avance. Les parents ont donc un rôle d’éducateur et doivent proposer une écoute attentive et bienveilla­nte. L’enfant sait ainsi à qui parler s’il est confronté à quelque chose de choquant. PP : Informez-vous et demandez à votre enfant de vous montrer. Le principe, c’est de les accompagne­r, de ne pas les laisser aller n’importe où. Comme dans la vie réelle.

En dévoilant les bas-fonds du Darknet, vous craigniez d’en faire « la pub ». En réalité, vous souhaitez susciter une prise de conscience ?

AP : Oui. L’idée, c’était d’avertir et d’alerter, pour détecter des comporteme­nts à risques, et tenter d’en préserver les plus jeunes.

PP : Le Darknet n’a pas besoin de pub ; il se suffit à lui-même. Les jeunes savent très bien ce qu’on y trouve ! Notre récit vise à prévenir le reste de la population.

1. Darknet, le voyage qui fait peur. Du fantasme à la réalité, paru chez Albin Michel. 320 pages, 20,90 .

C’est le far west du numérique”

Des gens prêts à tout pour de l’argent ou des pulsions”

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Après Cyber crimes, Pierre et Abigaelle Penalba cosignent Darknet, le voyage qui fait peur.

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