Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Rue de la liberté, Jacky le « boss » s’en va

Durant plus de 40 ans, rue de la Liberté, Jacky Toledano a fait des vêtements masculins et de la marque Hugo Boss, des incontourn­ables de la mode. Avec une humanité jamais décousue.

- CHRISTINE RINAUDO crinaudo@nicematin.fr

Il a au fond de la voix et du coeur cette même douceur enveloppan­te, que des génération­s d’hommes ont appréciée dans ses tissus de laine froide et légère. Tissus mis en scène sous forme de vestes, pantalons, costumes... griffés Hugo Boss.

« J’ai aimé ce métier comme personne »

Désormais, il faudra faire sans : Jacky Toledano vient de fermer sa boutique au 4, rue de la Liberté. « J’ai 85 ans. J’ai aimé ce métier comme personne, mais il arrive un moment, où on n’a plus envie. J’ai bien fait mon travail d’acheteur, de gestionnai­re, de relation avec la clientèle, avec les fournisseu­rs. J’ai décidé de vendre. » Un accessoiri­ste va s’installer à la place des vêtements qui furent des incontourn­ables de la mode masculine, attirant des nuées de notables niçois, azuréens, venus d’ailleurs dans la boutique aux élégantes boiseries. Mais il n’y a pas eu que cette vertu vestimenta­ire pour expliquer la popularité de l’enseigne.

Il y a aussi la personnali­té de Jacky. Un homme simple. Un homme bon. Un chic type. Qui raconte son odyssée textile et tactile. Avec parfois des larmes dans les yeux et des silences trop émus.

Jacky est né à Meknès, au Maroc. Là où un certain Monsieur Jama, lui aussi très connu à Nice pour ses vêtements et ses fourrures, lui confie deux affaires. «Un genre de bazar, que j’ai géré pour lui pendant 5 ans. » Les deux hommes se retrouvent à Nice. Travaillen­t à nouveau ensemble. Place Magenta, où, en 1966, Jacky

lance une affaire de vêtements pour hommes, toujours pour le compte de Jama. « C’était l’époque de Claude François et j’avais composé des vitrines de chemises brodées ou à jabots comme en portait le chanteur. Plus des vestes en velours. » Un succès fou. Renforcé par des marques telles que Ted Lapidus, Yves Saintlaure­nt. « Cela marchait tellement bien que j’ai demandé à Monsieur Jama d’acheter le salon de coiffure d’à côté pour s’agrandir. J’ai fait appel à un décorateur afin de chiffrer les travaux. » C’est alors qu’un des meilleurs clients de Jacky, directeur de banque dans le quartier, entre en jeu. Il lui propose de monter sa propre affaire. De le soutenir. Un local est justement à vendre 4, rue de la Liberté. Affaire

conclue. Trois mois de travaux. « Le 25 novembre 1979, on a ouvert. Tous mes clients m’ont suivi. »

« Clientèle exceptionn­elle »

Jacky n’a pas la grosse tête. « J’ai tout appris de moimême du métier. En autodidact­e. J’ai toujours aimé cette profession. Tout jeune, j’admirais déjà les vêtements dans les vitrines. » Son sens de l’accueil, du service, sa volonté de satisfaire le client ont rajouté leur bonus à ce commerçant ne manquant pas d’étoffe. Et qui a su imposer Hugo Boss en devenant un des premiers clients de cette marque allemande alors inconnue (lire par ailleurs).

Il en a fait un fer de lance. Sans être franchisé : « J’avais un statut multimarqu­e... monomarque. J’ai développé une telle qualité de relation avec les responsabl­es de chez Hugo Boss, que ces derniers me laissaient tout faire. »

En 2001, la décoration du magasin est renouvelée avec L’ADN Boss. Depuis, les dressings, les casiers en bois clair n’ont pas changé et ont servi de codes à la clientèle de Jacky. Une clientèle qualifiée par Jacky « d’exceptionn­elle. Tous mes clients ont été et restent des amis de plus de 40 ans. On a su installer une confiance pour créer une ambiance conviviale ». Les clients, des médecins, des avocats, des étrangers en villégiatu­re sur la Côte d’azur, des hommes politiques fidélisés, n’allaient pas chez leur tailleur de la rue de la Liberté mais disaient : « On va chez

Jacky. » Il y a eu aussi les mariages : « La plupart se sont faits ici grâce au bouche-à-oreille. On habillait le marié, les témoins, les parents, les amis...»

Affaire de famille

Tout un aréopage appréciant l’esprit de famille, car Jacky a été rejoint par son épouse, Laurette, « qui a développé l’associatio­n Carré d’as avec le bijoutier Lepage ». Puis Martine, une de ses deux filles, est venue à son tour durant 30 ans avant d’ouvrir sa propre affaire de robes de mariées somptueuse­s,

rue de l’hôtel-des-postes. Agnès, l’autre fille, est restée 24 ans. « J’ai embauché Jérôme qui est devenu un vendeur exceptionn­el. On a travaillé ensemble 18 ans. » Une fidélité à toute épreuve. Celle des clients, de la famille, de l’employé. Martine est là. Protectric­e. Aimante. Lucide : « Ce que mon père a de capital en lui, c’est sa bonté naturelle, sa bienveilla­nce, sa douceur. » Un grand monsieur qui a su tisser des relations humaines uniques, jamais effilochée­s.

 ?? (Photo Dylan Meiffret) ?? Après 45 ans dans la rue de la Liberté, Jacky Toledano, fer de lance de la marque allemande Hugo Boss, a vendu son affaire. Un accessoiri­ste va le remplacer.
(Photo Dylan Meiffret) Après 45 ans dans la rue de la Liberté, Jacky Toledano, fer de lance de la marque allemande Hugo Boss, a vendu son affaire. Un accessoiri­ste va le remplacer.

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