Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand est mort

Cinéphile rendu célèbre par la télévision, érudit cultivant une image de dandy, le « neveu de », à la voix et au phrasé uniques, a été inclassabl­e jusqu’au bout.

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Il portait un nom admiré à gauche, mais fut ministre de la Culture sous un Président de droite : inclassabl­e, racontant comme personne l’âge d’or du cinéma, naviguant entre télévision et postes prestigieu­x, et n’hésitant pas à confesser sa

« mauvaise vie », Frédéric Mitterrand est mort hier à 76 ans. En avril 2023, il avait annoncé être

« malade », sans donner plus de précisions. Hier, sa famille a indiqué qu’il avait lutté « plusieurs mois contre un cancer agressif ». Né le 21 août 1947 dans les beaux quartiers à Paris (son père, Robert Mitterrand, ingénieur, est le frère aîné de François), Frédéric Mitterrand a percé grâce à la télévision et à quelques émissions devenues célèbres. Avec, pour fil rouge de sa vie, sa passion pour le cinéma.

Éclectisme et coups d’éclat

À 13 ans, il joue le fils de Michèle Morgan dans Fortunat, avec Bourvil (1960). Adulte, après quelques années d’enseigneme­nt, il retourne à ses premières amours : il rachète une salle à Paris puis crée un réseau d’art et essai, qu’il anime pendant 15 ans. Il passe aussi derrière la caméra et réalise notamment Lettres d’amour en Somalie (1981), écrit à la première personne, et l’opéra Madame Butterfly, filmé en Tunisie (1995). Dans les années 80, c’est la télévision

qui l’appelle. Mais le petit écran lui permet de partager son amour pour le grand. « Étoiles et toiles » est le nom de la première émission qu’il anime sur la Une à partir de 1981 : il y ressuscite avec flamboyanc­e les stars, surtout les actrices, et décortique les grands films. L’homme insuffle sa cinéphilie au spectateur,

captivé par cette voix lancinante, au phrasé reconnaiss­able entre tous.

Fin 1988, Frédéric Mitterrand quitte avec fracas TF1, devenue chaîne privée, pour Antenne 2 et le service public. « Ils n’aiment ni les Noirs, ni les Arabes, ni les pédés, ni les gens de gauche. Autant dire que je n’avais pas beaucoup

d’avenir », déclare-t-il. Sans indulgence pour les chaînes privées, il n’en montre pas davantage pour l’audiovisue­l public. Quand il est récompensé en 1990 par un « 7 d’or » pour son émission de variétés « Carte blanche à Frédéric Mitterrand », il dépose son trophée par terre, là où « se trouve le service public ».

Le personnage est tout aussi inclassabl­e en politique. Malgré son nom, il refuse de marcher sur les traces d’un oncle qu’il admire. Il adhère en juin 1993 au Mouvement des radicaux de gauche (MRG). Mais en mai 1995, il apporte son soutien à Jacques Chirac, candidat à la présidence.

Polémique sur sa « mauvaise vie »

Nommé à la tête de la Villa Médicis à Rome par le Président Nicolas Sarkozy en 2008, il rentre à Paris quelques mois plus tard pour prendre le ministère de la Culture, jusqu’à l’élection présidenti­elle de 2012, perdue par la droite.

En 2009, il soutient le cinéaste Roman Polanski, accusé de viols. Dans un livre, Le Désir et la Chance (2012), il revient sur cet épisode et évoque « le missile nucléaire » lancé contre lui par Marine Le Pen, qui explique ce soutien par ses aventures dans les nuits de Bangkok. C’est qu’il avait fait, en 2005, le récit de ses errances sexuelles et tarifées avec de jeunes garçons en Thaïlande et au Maghreb dans La Mauvaise Vie. D’abord salué, le livre suscitera ensuite la polémique, l’obligeant à se défendre de toute relation avec des mineurs ou d’apologie de la pédocrimin­alité.

Sa nomination rue de Valois suscite quelques froncement­s de sourcils : le nouveau venu n’a pas fait L’ENA, ne vient pas de la haute fonction publique, et cultive une image de dandy. À ce poste, il affronte les intermitte­nts du spectacle, fait adopter la loi Hadopi contre le piratage des oeuvres via Internet, et conduit des grands chantiers, lancés pour certains avant son arrivée : le Mucem (Musée des civilisati­ons de l’europe et de la Méditerran­ée) à Marseille, la Philharmon­ie à Paris…

« Sensible et attachant »

À l’annonce de sa mort, hier, Nicolas Sarkozy a confié une « immense tristesse » et rendu hommage à « un homme profondéme­nt cultivé et délicat, un être à part, sensible et attachant, [...] enthousias­te et passionné, qui exerça ses fonctions avec panache et talent. » « La mort de Frédéric Mitterrand me bouleverse » ,a également partagé l’un de ses prédécesse­urs rue de Valois, Jack Lang : « Une amitié de plus de 60 ans nous liait d’une affection inaltérabl­e. Il a tout au long de sa vie servi les arts avec passion, érudition et amour. »

« Ses légendaire­s “Bonsoir !” vont nous manquer », a pour sa part affirmé Emmanuel Macron, qui a salué le chantre de « la culture pour chacun », tandis que l’actuelle ministre de la Culture, Rachida Dati, a souligné « sa profonde humanité », « son humour » et « son attention permanente aux autres, qu’il manifesta jusqu’à son dernier souffle ».

1. Ouvertemen­t homosexuel, il avait un fils naturel (né en 1981) et deux fils adoptés (nés en Tunisie en 1989 et 1991).

 ?? (Photo AFP) ?? Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, à la Mostra de Venise en 2009.
(Photo AFP) Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, à la Mostra de Venise en 2009.

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