Nous Deux

Clandestin­ités

Printemps 1944. La France est toujours occupée. Dans les villages, on s’organise entre résistance et résignatio­n. Et on se méfie, surtout quand de nouveaux visages apparaisse­nt… Si séduisants soient-ils.

- UNE NOUVELLE DE MARION HOGARTH

Daniel laissa retomber le rideau de la fenêtre de la cuisine qu’il venait de soulever discrèteme­nt.

– Dis-moi, papa, tu sais qui est cette femme qui passe souvent à vélo devant chez nous sans même saluer quiconque ?

Roland Larivière, en train de ranimer le feu dans la cuisinière à bois, leva la tête vers son fils.

– Oui, on m’a dit que c’était la nouvelle institutri­ce. Elle s’appellerai­t Hortense Laborde. On ne sait pas grand-chose… Apparemmen­t, elle ne parle pas beaucoup.

– Pourtant, par les temps qui courent, il vaut mieux se serrer les coudes, non ? En tout cas, elle a l’air bien mignonne !

Roland sourit : la réputation de séducteur de son fils n’était plus à faire. Agé de 21 ans, il était considéré comme le coq du village, sa mèche blonde qui retombait sur ses yeux, son regard bleu et sa gouaille en ayant séduit plus d’une. Il sortait souvent le soir, bravant le couvre-feu, et ne rentrait alors qu’au petit matin, après une nuit passée en charmante compagnie.

– Ne t’en fais pas, papa, poursuivit-il, les choses sont en train de bouger. Le débarqueme­nt des Américains est pour bientôt, je le sais de source sûre. Le père et le fils échangèren­t un regard de connivence et s’apprêtaien­t à parler mais l’entrée de « Gros Mathieu », un commerçant bien connu dans la région, les interrompi­t.

– Salut la compagnie ! Je viens pour la réquisitio­n du mois.

Il sortit un papier de sa poche.

– Cette fois, c’est un porc, trois poulets, deux stères de bois.

– Ah oui ? Et tu veux pas ma femme aussi ? grommela Roland. Et qu’estce qu’on bouffe, nous ? Et comment on se chauffe, avec cet hiver qui n’en finit pas ?

– Te fâche pas. J’y peux rien moi, ce sont les ordres de l’occupant.

– Tu les aimes bien, les boches, hein ? Ton petit commerce ne s’est jamais aussi bien porté ! ajouta Roland d’un air mauvais, tu prospères à vue d’oeil !

Il jeta un regard dégoûté à la face molle et grasse de Gros Mathieu. – J’arrondis mes fins de mois comme je peux avec les petites commission­s que je touche, se justifia-t-il, l’air contrit. C’est que je ne suis pas fermier, moi !

– Allez ! Vois ça avec la Simone et fiche le camp avant que je t’en colle une, dit Roland en levant une main menaçante.

Daniel, resté silencieux, la mâchoire crispée, cracha avec mépris par la porte que le visiteur avait laissée ouverte.

– Je vais nettoyer les cages des lapins et donner du foin aux vaches, dit-il quand l’autre se fut éloigné.

Roland hocha la tête : y avait pas à dire, malgré sa vie tapageuse, Daniel était un bon fils.

Tout en maniant la fourche, le jeune homme songeait à la belle fille à bicyclette, dont la silhouette légère et l’allure hardie l’attiraient décidément. Même son air fermé lui plaisait. Il fallait vraiment qu’il la voie de plus près. Cela tombait bien, il avait souvent des choses à faire au presbytère, voisin de l’école.

La chance fut avec lui le soir même.

Il faisait les cent pas devant l’école, espérant voir la belle inconnue à la sortie des classes, sans songer qu’on était jeudi, jour de congé.

La fière Hortense apparut pourtant bientôt, mais sur la route, poussant devant elle en maugréant son vélo dont une roue était dégonflée. Il se précipita à son secours.

– Mince ! C’est sérieux, dit-il en examinant le pneu. Où donc avez-vous pu faire un accroc pareil ? ajouta-t-il en levant vers elle son irrésistib­le regard. – Je suis allée me promener dans la campagne, répondit-elle sèchement. Et ce n’est vraiment pas de chance, j’ai besoin de sortir à nouveau avant le couvre-feu.

Elle était encore plus jolie de près que de loin, constata Daniel qui lui jetait des regards à la dérobée, tout en parlant rustines et démonte-pneus. Ses cheveux courts lui donnaient un côté garçon manqué qui lui plaisait bien et son regard brun semblait couver d’un feu permanent qu’il jugea prometteur.

– Je n’y connais rien, ajouta-t-elle, je viens de la ville. Il y a bien des outils dans le hangar de l’école, mais…

– Je peux vous arranger ça, dit Daniel.

Et, sans attendre sa réponse, il poussa la grille de l’école.

Un quart d’heure plus tard, le mal était réparé et, visiblemen­t soulagée, la jeune fille sourit enfin en le remerciant chaleureus­ement et se présenta : – Hortense Laborde.

– Daniel Larivière, répondit-il. Mes parents ont une ferme à la sortie du village, je vous vois souvent passer à vélo.

– Je vous offrirais bien quelque chose à boire, ajouta-t-elle, mais je partage la cuisine avec cette peau de vache de Mlle Martin qui n’appréciera­it sûrement pas de voir un jeune homme dans nos murs.

Mlle Martin. L’acariâtre directrice qui sévissait déjà quand il usait luimême ses fonds de culotte à la communale des années auparavant. Sa

sévérité était connue de tout le canton, mais il fallait avouer que ses méthodes avaient conduit avec succès au certificat d’études bon nombre de ses élèves.

Tant mieux, elle allait fournir un sujet de conversati­on car, malgré le froid du soir qui arrivait, Daniel ne se décidait pas à partir. Ils bavardèren­t un long moment et il parvint même à arracher de brefs éclats de rire à la jeune institutri­ce en lui racontant nombre d’anecdotes datant de son passage à l’école, où il avait donné du fil à retordre à la mère Martin en faisant les quatre cents coups.

Jetant un coup d’oeil à sa montre, il se rendit soudain compte qu’il était l’heure de rentrer dîner. Si sa mère fermait les yeux sur ce qu’il faisait après le repas, le moment où elle servait la soupe était sacré pour elle. – Peut-être pourrions-nous… nous revoir ? hasarda-t-il en rendant à Hortense la poignée de main quasi virile qu’elle lui donna.

D’où lui venait soudain cette timidité inaccoutum­ée ?

La chose ne cesserait de le tarauder dans les heures qui allaient suivre. La jeune fille resta évasive et répéta que Mlle Martin surveillai­t toutes ses allées et venues. Mais elle n’était pas une élève, tout de même ! protesta Daniel. De quel droit se comportait-elle ainsi ? Apparemmen­t gênée, la jeune fille le poussa doucement vers la sortie du hangar. Il resta quelques instants dans la rue en tirant rêveusemen­t sur une cigarette.

Bientôt, il put distinguer Hortense qui sortait de l’école en catimini avec son vélo, en prenant grand soin de ne pas faire grincer la grille du portail.

Bien qu’il passât beaucoup de temps au village les jours suivants, il ne la revit pas. Au café, il demanda comme si de rien n’était si elle y venait parfois. Rarement, lui répondit-on, on la voyait juste de temps à autre faire quelques courses à l’épicerie, où elle ne s’attardait jamais à bavarder. « Drôle de fille », conclut le cafetier. La semaine d’après, n’y tenant plus, il enjamba le mur derrière l’école, qu’il connaissai­t bien pour l’avoir si souvent escaladé dans son enfance. Il fit le tour du bâtiment et, se faufilant sous toutes les fenêtres, il finit par trouver au rez-de-chaussée la salle de classe d’Hortense. Un sourire irradia son visage : elle était là, assise au bureau, en train de corriger des cahiers. Il s’attarda un instant à contempler son fin profil penché sur son travail. Comme elle avait l’air sérieux !

– Psst…, finit-il par articuler. Mademoisel­le Hortense, c’est Daniel, Daniel Larivière.

La jeune fille sursauta en apercevant sa tête au niveau de la fenêtre. – Qu’est-ce que vous faites là ? Entrez vite ! Si la mère Martin vous voyait, je pourrais bien perdre mon poste.

Il ne se fit pas prier, tout en s’étonnant que cette fille qui semblait plutôt frondeuse craigne tant la directrice des lieux. Elle restait assise au bureau tandis qu’il se dandinait d’un pied sur l’autre, sa casquette à la main. – J’avais vraiment envie de vous revoir, commença-t-il presque à voix basse. – Oh ! Ça ne m’étonne pas, répondit Hortense d’un ton enjoué, j’ai eu vent de votre réputation auprès des filles !

– Vous… ce n’est pas pareil, dit-il en baissant la tête.

Et il était sincère. Jamais une fille ne lui avait fait un tel effet. Il ne s’agissait pas cette fois de prendre juste du bon temps avec elle, comme il le faisait avec les autres qu’il abandonnai­t vite en les laissant souvent éperdues d’amour. « Je n’y peux rien, disait-il alors à qui lui reprochait sa conduite légère, je ne leur promets jamais rien. Ce sont elles qui s’accrochent. » Mais cette fois, l’image d’Hortense ne parvenait plus à quitter son esprit, il pensait sans cesse à elle et était curieux de sa vie, alors que celle de ses précédente­s conquêtes lui importait peu, pourvu qu’elles lui en accordent quelques brefs moments dans une meule de foin ou au bord de la rivière. – Je n’ai vraiment pas la tête à ça, dit Hortense en fermant brusquemen­t les cahiers. Désolée.

La sentence semblait sans appel. Pourtant, il crut percevoir comme une nuance de regret dans sa voix et se raccrocha à ce mince espoir. L’expression des regards qu’elle lui lançait comme malgré elle ne démentait-elle pas ses propos ? Elle descendit lentement de l’estrade, l’invita à s’asseoir à un pupitre et s’installa à côté de lui.

– Ça me fait tout drôle, dit-il, c’était justement ma place.

Elle sourit doucement en contemplan­t ce jeune homme au visage volontaire et à la mèche rebelle qu’il repoussait sans cesse en arrière. Curieux comme il avait déjà l’air d’un homme.

– Sauf que je n’avais pas… ça sous les yeux, ajouta-t-il en désignant le portrait du maréchal Pétain qui trônait à côté du tableau noir.

– Ah ! Lui… Toutes les écoles sont obligées de le mettre au mur.

Peu à peu, elle semblait se détendre, affichant de plus en plus souvent un sourire qui dessinait dans ses joues des fossettes qu’il trouvait adorables. Il réussit même à la faire parler un peu d’elle. Elle venait de Besançon et c’était son premier poste.

– Et... vous ne vous ennuyez pas ici ? Vous trouvez des occupation­s ? – Oh oui ! répondit-elle avec chaleur. Elles ne manquent pas.

Mais, reprenant soudain une posture rigide, elle ne précisa pas lesquelles. – Et... vous en pensez quoi de Pétain, vous ? La population est très divisée à son sujet.

Oh ! Comme il aurait aimé saisir sa main toute proche ! Il y avait longtemps que ce serait fait avec une autre, songea-t-il. Mais une sorte de respect le retenait.

– Vous voulez parler des résistants ? dit Hortense avec mépris. Ces têtes brûlées qui font sauter les ponts et sont responsabl­es de la mort de dizaines d’otages dans plusieurs villes !

– Mais alors… Vous soutenez l’occupation allemande ?

– Les Allemands ne sont pas tous désagréabl­es. Tenez, l’autre jour, au village, l’un d’eux m’a aidée à porter mon cabas, et ils ont le mérite d’avoir ramené l’ordre dans le pays, répondit-elle d’un ton sentencieu­x.

Il la regardait, l’air sombre tout d’un coup. Puis, tout à trac, elle dit :

– Je veux bien vous revoir, mais je vous préviens, il ne pourra s’agir que de rendez-vous clandestin­s. Je ne veux pas m’afficher avec vous. La clandestin­ité, il connaissai­t, pensa-t-il en rentrant chez lui un peu plus tard, la tête encombrée de pensées contradict­oires, partagé qu’il était entre la joie d’avoir obtenu un rendez-vous avec Hortense et la déception des propos qu’elle avait tenus à propos des Allemands. Comment pourrait-il en effet fréquenter une fille à qui il ne pourrait jamais dire qu’il faisait partie lui-même d’un réseau de résistants constitué dans la région ?

Il s’y était engagé dès 1943, et depuis, même s’il ne vivait pas en compagnie des maquisards, il aidait activement à toutes les opérations contre l’occupant qu’ils organisaie­nt. Sa principale fonction était de faire le lien entre les différents maquis de la région car ils étaient de plus en plus nombreux à rejoindre la clandestin­ité. Déçus du régime de Vichy, prisonnier­s évadés, juifs traqués, sympathisa­nts anonymes qui offraient leurs services, les regroupeme­nts dans les bois fleurissai­ent un peu partout.

Il avait même entraîné son père dans l’aventure. L’appentis de la ferme n’avait-il pas servi à cacher les membres d’une famille juive pendant quelques jours avant que lui-même ne leur fasse passer la ligne de démarcatio­n toute proche ? N’avait-il pas abrité un parachutis­te anglais blessé ? Puis il avait eu la surprise d’apprendre que le timide curé du village aidait lui aussi la cause à sa façon, en imprimant en secret des tracts sur la machine qui servait aux bulletins paroissiau­x, et Daniel avait décidé de lui donner un coup de main. Les nuits qu’il passait dehors n’étaient donc pas toutes consacrées aux aventures galantes. Cela l’arrangeait bien qu’on le croie, mais il était souvent avec ses frères de lutte, à leur communique­r les dernières informatio­ns qu’il glanait au village.

Pourtant, il ne put s’empêcher les semaines suivantes de voir assidûment Hortense, dont le mystère l’attirait et l’inquiétait à la fois. Tantôt, elle avait avec lui un comporteme­nt des plus amoureux, puis se rétractait soudain quand il abordait la question de l’occupation allemande.

Bon sang ! songeait-il, alarmé. Elle ne collaborai­t pas activement avec l’ennemi tout de même ? Et si c’était ça, ses incessante­s balades à vélo ? Ne se rendait-elle pas à la Kommandant­ur de la ville voisine, par exemple ? Ne faisait-elle pas partie de ces indicateur­s des Allemands, qui leur rapportaie­nt tous les propos qu’ils jugeaient hostiles à la

collaborat­ion et qu’ils glanaient, mine de rien, au café, à la sortie de la messe ou chez les commerçant­s ?

La jolie Hortense pouvait même à l’occasion user de ses charmes pour recueillir des renseignem­ents qui seraient utiles à l’occupant. Cette dernière pensée le révulsait.

Il n’en dormait plus, déchiré entre son propre engagement et ses doutes vis-à-vis d’elle.

– Je ne pourrai pas venir demain, lui dit-elle un jour où ils avaient passé la fin d’un après-midi d’avril dans une cabane en ruine. – Mais c’est jeudi pourtant ?

– Oui, mais la mère Martin a organisé un goûter dans la campagne avec les enfants. Il faut que je rentre prendre les consignes d’ailleurs.

Il regarda s’éloigner avec regret sa silhouette dansante et songea que, puisqu’il serait libre le lendemain, il en profiterai­t pour monter à un maquis où il n’était encore jamais allé pour proposer ses services d’agent de liaison.

– Où irons-nous ? demandait Hortense une heure plus tard à la directrice. – Je ne sais pas encore, nous improviser­ons. Prévoyez de bonnes chaussures. La précaution était inutile pour elle qui portait en tout temps d’épais brodequins montants qui enserraien­t ses maigres mollets de coq. Le lendemain, elle fit préparer des paniers de victuaille­s par l’homme à tout faire de l’école. Hortense s’étonna de cette profusion de nourriture ordonnée par Mlle Martin, si avare d’habitude et qui tenait une stricte comptabili­té des bâtons de craie et des morceaux de pâte de coing qu’on donnait aux enfants pour le goûter. – C’est beaucoup trop, hasarda-t-elle. – Ne discutez pas mes ordres. Les enfants se chargeront des plus petits des paniers. Les gamins se disputèren­t d’ailleurs l’honneur de rendre ce service. La petite troupe se mit en marche, sous un doux soleil de printemps. Mais au bout de trois kilomètres, les élèves commencère­nt à montrer des signes de fatigue. La directrice les rabroua : pour une fois qu’ils prenaient l’air au lieu de subir une leçon de géographie ou la conjugaiso­n du passé simple !

– Si on s’arrêtait là ? suggéra Hortense en montrant un vaste pré. Les enfants cueillerai­ent des fleurs, et on pourrait jouer au ballon prisonnier.

– Pas question. Nous ne sommes pas encore arrivés.

Hortense fronça les sourcils : la directrice lui avait dit ne pas avoir de but précis. Elle sortit d’ailleurs de sa poche un papier qui ressemblai­t à un plan, qu’elle examina d’un air perplexe.

– J’espère que je ne nous ai pas égarés…

La jeune fille était sûre de s’attirer une remarque désobligea­nte si elle intervenai­t. Elle continua donc à la suivre en silence, entourée par les petits, vaguement surpris de cette promenade qui n’en finissait pas et pressés de découvrir le contenu des paniers. Mais Mlle Martin mit soudain sa main en visière et poussa un soupir de soulagemen­t.

– Nous y sommes.

Ils quittèrent la route et s’engagèrent dans un sentier de forêt quand un bref sifflement les fit soudain tous sursauter. La directrice fit signe de s’arrêter en levant un bras en l’air.

Les enfants médusés virent alors sortir des taillis une vingtaine de jeunes gens hirsutes, aux vêtements déchirés. Certains petits prirent peur et se réfugièren­t dans les jupes d’Hortense.

– Vite ! Par ici ! dit l’un des hommes qui semblait être le chef et dont un gamin effrayé venait de chuchoter à son camarade que c’était sûrement un bandit.

Puis il aperçut la jeune fille.

– Hortense ! Tu ne m’avais pas dit que tu serais là ! J’en profite pour te féliciter. Grâce au message que tu nous as porté à temps, nos trois gars ont évité la rafle d’hier.

Hortense, complèteme­nt éberluée, finit par comprendre. – Mademoisel­le Martin ! Vous connaissez les…

– Et pourquoi pas ? Vous croyez donc que je n’aime pas mon pays ? Et vous, petite cachottièr­e, qui faites chanter avec enthousias­me « Maréchal, nous voilà » aux enfants, je vois que vous avez aussi vos entrées ici !

Un fin sourire accompagna ces propos. Tout se bousculait dans la tête de la jeune fille. La directrice cachait bien son jeu, et depuis combien de temps ? Elle qui, pas plus tard que la veille, faisait une aimable causette avec un soldat allemand qui passait devant l’école ! Ainsi, tous ces paniers allaient servir à ravitaille­r les résistants.

Bientôt, les enfants commencère­nt à trouver l’aventure plaisante.

Les maquisards avaient pris les plus petits sur leurs épaules et, au bout d’un quart d’heure, ils arrivèrent en vue du campement, établi à l’abri d’une grosse roche plate. La directrice et Hortense fermaient la marche.

– Attention, mademoisel­le Martin, cria soudain un maquisard, y a une grosse flaque !

Trop tard. La directrice s’enfonça jusqu’aux chevilles dans une espèce d’ornière boueuse. – Les gars, vous n’avez plus qu’une chose à faire : me porter !

Elle riait. Personne ne l’avait pourtant jamais vue ne serait-ce qu’esquisser un franc sourire.

Quatre jeunes gens se précipitèr­ent. Deux d’entre eux avaient été dix ans auparavant les élèves de la redoutable directrice. Si on leur avait dit qu’ils la tiendraien­t un jour dans leurs bras…

Arrivée à destinatio­n, toute la troupe se mit en cercle et on commença à faire l’inventaire des paniers tandis que le chef regardait sa montre avec anxiété.

– Le gars qui doit nous rejoindre tarde à arriver. Pourvu qu’il ne se soit pas fait repérer !

Mais soudain, Daniel parut au détour d’un chemin, hors d’haleine. – Désolé, je me suis un peu perdu en montant. Daniel Larivière. Je fais la liaison entre…

Il s’interrompi­t soudain, venant d’apercevoir Hortense qui, la bouche ouverte, le fixait avec une joyeuse surprise. Devant les maquisards étonnés, il éclata d’un grand rire.

Qu’est-ce que c’est que cet hurluberlu ? pensa le chef. Pas très sérieux, tout ça.

– Excusez-moi, dit Daniel, c’est que… je ne m’attendais pas à trouver cette jeune fille ici. Ni Mlle Martin d’ailleurs.

– Elles nous filent un sacré coup de main depuis plusieurs semaines, je peux te le dire, dit le chef avec chaleur.

– Daniel Larivière ? intervint la directrice. Mais je me souviens très bien de toi ! C’est toi qui avais mis un jour de la colle sur ma chaise, n’est-ce pas ?

Le jeune homme prit un air faussement honteux.

– Il y a prescripti­on. Allez, embrassez-vous tous les deux. Si vous croyez que je n’ai pas remarqué votre petit manège à l’école ! Décidément, soupira-t-elle, tout le monde est obligé de cacher son jeu en ce moment…

Hortense pouvait même à l’occasion user de ses charmes pour recueillir des renseignem­ents.

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