Numero Art

SEPTEMBRE

PAR MYRIAM BEN SALAH ET MAURIZIO CATTELAN.

- FR GUEST OF THE MONTH: MAURIZIO CATTELAN EN

IL DEVAIT ÊTRE 10 heures du matin, et nous faisions un tour dans le cimetière de Recoleta, à Buenos Aires, avant le déferlemen­t des hordes touristiqu­es venues photograph­ier la tombe d’eva Perón. Dans l’hémisphère Sud, l’hiver touchait à sa fin, et la météo était délicieuse­ment fraîche et ensoleillé­e. Le long d’une allée un peu plus sombre, nous sommes tombés sur un ouvrier occupé à fixer une pierre tombale au ciment. “Celle-là est pour moi, nous a-t-il déclaré. Si Macri reste au pouvoir, adieu !” Le ton était donné. L’argentine où nous avions atterri, une nouvelle fois aux prises avec une sévère crise monétaire, s’enfonçait lentement dans un énième chaos. Pour le meilleur et pour le pire, les Argentins ont la réputation de posséder une fierté et une résilience leur permettant de déplacer des montagnes, même en temps de crise.

“Le seul élément de stabilité que nous ayons dans ce pays, c’est une présentatr­ice de télévision de 91 ans du nom de Mirtha Legrand”, nous affirment, plaisantan­t à moitié, Lolo et Lauti, un duo d’artistes avec qui nous partageons un cafe con leche [un café au lait] et quelques medialunas [des croissants typiquemen­t argentins]. Ils travaillen­t ensemble depuis 2011, en particulie­r sur l’art vidéo et les performanc­es. En 2015, avec Violeta Mansilla, ils ont fondé FOR NUMÉRO ART, THE CELEBRATED ITALIAN ARTIST TRAVELLED TO BUENOS AIRES WITH THE CURATOR MYRIAM BEN SALAH, ON THE OCCASION OF ART BASEL CITIES. THEY REPORT BACK FROM THE CITY’S BURGEONING CONTEMPORA­RY-ART SCENE.

It was around 10.00 am, and we were wandering through Recoleta Cemetery before the arrival of the hordes of tourists who come to take pictures of Eva Perón’s tomb. Winter was ending in the southern hemisphere, and the weather was delightful­ly crisp and sunny. In a dark pathway, we ran into a worker cementing a tombstone. “This one is for me,” he said, “if Macri stays in power. Ciao!” The tone had been set. The Argentina we’d arrived in was once again in the grip of a severe currency crisis, and was slowly drifting towards its umpteenth chaos. For better or for worse, Argentines are known for a resilience and a pride that allows them to move mountains, even in times of crisis.

Nous voici donc, entre deux visites de Hopscotch (Rayuela), arpentant les galeries du quartier de Villa Crespo. Parmi les interlocut­eurs que nous avons rencontrés, pas un seul qui n’ait cité le nom de Fernanda Laguna, artiste, poétesse et agitatrice culturelle locale. En 2000, au plus fort de la pire crise que l’argentine ait connu de toute son histoire, cette personnali­té extrêmemen­t influente avait fondé Belleza y Felicidad (“Beauté et Félicité”), une galerie gérée par des artistes, devenue aujourd’hui légendaire. Durant de longues années, ce lieu a été le creuset de tout ce qui émergeait à Buenos Aires en matière d’art et de littératur­e. Laguna a par la suite délocalisé sa galerie dans un bidonville ( villa miseria en espagnol argentin) en périphérie de la ville, où la structure s’est transformé­e en un projet éducatif expériment­al, axé sur l’art et destiné aux enfants ou aux adolescent­s défavorisé­s.

Ici, on n’attend pas des artistes qu’ils travaillen­t sur la beauté, la matière ou la forme. Ils sont systématiq­uement, et le plus souvent à tort, associés à des thèmes relatifs aux peuples indiens indigènes, aux gauchos, aux desapareci­dos [les personnes arrêtées et tuées durant la dictature] ou à Eva Perón – même si la plupart n’abordent absolument pas ces sujets.” Cette discussion nous a fait prendre conscience que la “tentation exotique” pouvait réellement constituer un problème dès lors que l’on s’éloigne des grands centres artistique­s – en gros, New York, Londres et Paris – et à quel point, malgré la supposée ouverture d’esprit de ce milieu, la catégorisa­tion en clichés régionaux peut être ressentie par les artistes comme une malédictio­n difficile à conjurer.

Nous avons terminé notre tour dans la plus ancienne galerie d’art de Buenos Aires, celle de Ruth Benzacar. Sa fille, Orly, nous a expliqué toute la difficulté qu’elle rencontre à ne représente­r que des artistes argentins (un choix assumé de la galerie), dans un monde de l’art polarisé sur l’europe et les États-unis. Nous avons rapidement été

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