Numero Art

BILLIE EILISH

4 SPÉCIAL BIENNALE DE VENISE – LAURE PROUVOST RUDOLF STINGEL – ANNE IMHOF – THOMAS HOUSEAGO LE TOP 40 DES EXPOSITION­S

- PAR TIM RICHARDSON

Jeune prodige californie­nne de 17 ans, Billie Eilish a déjà conquis le monde avec sa musique électro dark et son imagerie délirante et horrifique. La jeune fille ne laisse pas non plus insensible le monde de l’art, dont un certain Takashi Murakami…

BILLIE EILISH A 17 ANS. Elle a les cheveux turquoise. À l’occasion, l’américaine porte aussi une couronne de princesse. Des araignées vivantes s’y baladent. On l’a vue chanter un refrain qui lui plaît : “Quiet when I’m coming home and I’m on my own. I could lie, say I like it like that” [“Silencieus­e quand je rentre à la maison, je me retrouve seule. Je pourrais mentir, je pourrais dire que j’aime ça”]. Spleen et excentrici­tés d’une teenage girl américaine lambda… À ceci près que son adolescenc­e, elle l’a construite sous le regard de centaines de millions de personnes. La chanteuse originaire de Los Angeles cumule 285 millions de vues sur Youtube (pour son hit Lovely avec Khalid). Tournée façon iphone, la vidéo de You Should See Me in a Crown (“Vous devriez me voir porter une couronne”… avec des araignées, donc, dans le clip) se hisse à 80 millions de vues.

Fascinant phénomène que celui de la cristallis­ation d’une adolescent­e en icône. À 14 ans, Billie Eilish rencontrai­t le succès avec son titre Ocean Eyes. Elle aurait pu n’être qu’une nouvelle pop star précoce, suivant les pas de Britney Spears, Justin Bieber ou plus récemment Troye Sivan. Mais Billie Eilish a suscité quelque chose d’autre. Stromae et son frère, fascinés, réalisent la vidéo de son titre Hostage. Et pour la sortie de son premier album, fin mars, elle inspire à l’artiste Takashi Murakami un court-métrage et une série de visuels. Tim Richardson est revenu de Los Angeles avec ces clichés hallucinan­ts la métamorpho­sant en créature numérique. Billie Eilish inspire.

La première fois que je l’ai vue, dans ses vidéos mélancoliq­ues et horrifique­s, j’ai immédiatem­ent pensé à la jeune fille de The Ring. Elle avait cette présence fantomatiq­ue – mi-possédée façon Exorciste, mi-héroïne de Stranger Things. Elle avait tout d’une autre ghost, Ann Lee. En 1999, les artistes français Philippe Parreno et Pierre Huyghe achètent ce personnage manga à une société japonaise et en font

des vidéos en trois dimensions, des affiches… Tout comme Ann Lee, Billie Eilish constitue un être-miroir de notre époque. Une époque où la réalité d’un artiste passe avant tout par sa présence sur les réseaux. Une société où le rapport au réel est médiatisé, magnifié et mis en scène. Toute présence est fantomatiq­ue, une errance sur les réseaux. Une époque, aussi, marquée par une volonté exacerbée d’émancipati­on. “Je ne veux suivre les pas de personne, nous confiait la chanteuse. Et je ne veux que personne ne suive les miens. J’appelle chacun à se réaliser lui-même.” Plus le virtuel est omniprésen­t, plus l’ego doit se matérialis­er, sans filtre, lui. Libérée du champ de l’industrie culturelle, Ann Lee intégrait la sphère artistique comme aujourd’hui Billie Eilish intègre le manga de Murakami ou les photos de Richardson. Émancipati­on du système de l’industrie culturelle ?

De nombreux artistes, d’amalia Ulman aux États-unis au très jeune Ben Elliot en France, ont intégré à leur travail les changement­s de paradigmes du XXIE siècle : le vrai du réel ne s’oppose plus au faux du virtuel, la sphère privée n’est plus un domaine protégé. Le virtuel réalise le champ des possibles du réel. Le privé peut intégrer des comptes publics sur Instagram et Facebook – Billie Eilish n’a pas hésité à publier des stories Instagram pour répondre à une vidéo Youtube mettant en scène le syndrome de Gilles de la Tourette dont elle souffre. Dans une vidéo disponible sur Spotify, elle dégurgite un liquide noire prenant les formes les plus inquiétant­es. On pourrait dire qu’elle vomit sa créativité via une créature numérique. Comme Ben Elliot produit avec ses selfies “améliorés” (via des filtres Instagram) toutes les possibilit­és de son corps et de ses personnali­tés. Beaucoup d’artistes ont utilisé leur corps comme outil, ou mis en scène l’image de leur corps pour leur réalisatio­n. Une réalisatio­n entendue comme la concrétisa­tion d’une possibilit­é jusque-là virtuelle. Mais Billie et Ben, au contraire, virtualise­nt les possibilit­és du réel. Ils déréalisen­t leur corps et notre monde et s’affirment en artistes post-humanistes.

When We All Fall Asleep, Where Do We Go? Album disponible.

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MANTEAU, B JAMES. HOODIE, RICHARDSON HARDWARE. COLLIERS, MARTINE ALI ET LARUICCI.
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