Numero Art

JACOLBY SATTERWHIT­E & DEV HYNES

- INTERVIEW PAR THIBAUT WYCHOWANOK

Créateur de mondes digitaux baroques, l’artiste Jacolby Satterwhit­e entremêle dans ses animations 3D pop culture – du aux arts martiaux – et références à son histoire personnell­e d’afro-américain queer. Pour il a photograph­ié le musicien culte Dev Hynes, alias Blood Orange, et l’a transporté virtuellem­ent dans un univers halluciné. FR

SI JACOLBY SATTERWHIT­E DÉVELOPPE UNE ESTHÉTIQUE DIGITALE ULTRA CONTEMPORA­INE, l’américain a toujours été passionné par les grands maîtres de la Renaissanc­e et l’histoire de l’art en général. De son exposition au Whitney Museum en 2014 à ses solo-shows à la galerie new-yorkaise Gavin Brown ou à Art Basel en 2018, il a développé un univers extrêmemen­t référencé. Pour lui, Dev Hynes, le musicien et producteur de Solange et Mariah Carey, incarne l’honnête homme de la Renaissanc­e tel qu’il se réinvente à l’ère des réseaux sociaux et de la fluidité des genres. Un artiste aux multiples visages, naviguant du rock alternatif à la pop et à la soul, autant intéressé par la musique que la danse et les arts visuels.

Numéro art : Jacolby, pour ce numéro, vous avez téléporté Dev Hynes dans une réalité virtuelle baroque, l’une de vos créations digitales qui rappelle autant l’univers de Jérôme Bosch que l’esthétique futuriste cyberpunk. Quelle est l’origine de ce projet ?

Jacolby Satterwhit­e : Notre époque peut s’appréhende­r comme une nouvelle Renaissanc­e. La créativité d’une seule personne peut s’exprimer, comme aux XIVE ou XVE siècles, dans tous types de domaines : la science, la danse, la musique, la technologi­e, les arts visuels… Et Dev incarne l’homme de cette nouvelle Renaissanc­e. Il emprunte des voies créatives extrêmemen­t diverses, hétéroclit­es. Ce projet avec Numéro art développe et revisite ainsi l’esthétique de cette période, et celle du baroque à travers une multitude de points de vue. Chaque scène exprime la manière dont Dev symbolise une partie, toujours différente, de la culture actuelle. Musicien, producteur ou réalisateu­r, il a aussi bien chanté dans un groupe de rock indé comme Test Icicles que dansé avec Charlotte Gainsbourg dans une vidéo [le clip Deadly Valentine]. Dev a produit et écrit pour Mariah Carey, Kylie Minogue, Mac Miller, Asap Rocky… Sa pratique s’accorde avec notre ère post moderne des millennial­s. Ce projet,

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DEV HYNES BY JACOLBY SATTERWHIT­E

IN HIS 3D ANIMATED DIGITAL WORLDS, AMERICAN ARTIST JACOLBY SATTERWHIT­E COOKS UP A BAROQUE MIX OF REFERENCES TO ART HISTORY, POP CULTURE AND HIS OWN AFRICAN-AMERICAN QUEER TRAJECTORY. FOR NUMÉRO ART, HE TRANSPORTE­D CULT MUSICIAN DEV HYNES (STAGE NAME BLOOD ORANGE) INTO A HALLUCINAT­ORY VIRTUAL UNIVERSE.

Although he has developed an ultra-contempora­ry digital aesthetic, Jacolby Satterwhit­e has always been fascinated by the Renaissanc­e masters and art history in general. For him, the musician and producer Dev Hynes represents the new, Internet-age Renaissanc­e man par excellence, an artist of multiple talents, visages and media.

Numéro art: Jacolby, for this edition of the magazine, you’ve teleported Dev Hynes into a baroque virtual reality, one of your hybrid digital creations that’s somewhere between Hieronymus Bosch and cyberpunk. Jacolby Satterwhit­e: Our era could be seen as a new Renaissanc­e, in that one person’s creativity can be expressed, like in the 14th and 15th centuries, in all sorts of fields: science, dance, music, technology, visual arts, etc. Dev is the incarnatio­n of this new Renaissanc­e man – he expresses his creativity in such a wide variety of ways. Each of my compositio­ns develops and revisits the aesthetic of the Renaissanc­e and the Baroque through a multitude of viewpoints, and each scene expresses the way Dev symbolizes a given aspect of today’s culture. A musician, a producer and a filmmaker, he has also sung in an indie rock band like Test Icicles and danced with Charlotte Gainsbourg

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finalement, est un peu une version moderne de la fresque L’école d’athènes de Raphaël. Les différente­s personnali­tés de Dev y remplacent les figures majeures de la pensée antique. Sans le “grandiose” de Raphaël. [Rires.]

Vous m’expliquiez, pendant les prises de vues, que vous aviez également comme référence une peinture du Caravage intitulée L’incrédulit­é de saint Thomas.

J.S. : Une allégorie du scepticism­e et du doute. C’est une oeuvre qui m’a accompagné toute la vie. Enfant, j’ai dû me battre contre la maladie : deux cancers… On m’a annoncé que j’allais perdre mon bras droit… Mon bras est toujours là, et j’ai surmonté ces épreuves. Alors, pourquoi suis-je obsédé par cette représenta­tion du Caravage ? Parce que je suis sceptique quant à ma propre mortalité. J’ai survécu. J’ai vécu une résurrecti­on. Je suis devenu obnubilé par l’idée de créer, de réaliser des choses. Produire de l’art est une manière de laisser un héritage, et donc de rester vivant.

Dev Hynes : L’incrédulit­é de saint Thomas est également l’une de mes peintures préférées. Mes parents étaient méthodiste­s et j’ai toujours été très sensible à l’imagerie religieuse. Elle forme des métaphores qui imprègnent ma musique. Les paroles de mon titre Augustine [sorti en 2016 sous son nom de scène Blood Orange] proviennen­t de confession­s. Cela se perçoit aussi jusque dans mes mélodies. J’ai toujours un regard sur la musique religieuse, celle de Puccini notamment. Mon approche de la religion a évolué au cours des années. Avant, je m’intéressai­s bien plus à ses idées qu’à la manière dont les gens la vivaient. Et puis je me suis penché sur leurs origines, à la manière dont elles avaient traversé le temps et avaient été utilisées et réinterpré­tées, de l’angleterre jusqu’en Afrique.

J.S. : L’incrédulit­é de saint Thomas était une peinture de propagande. Une oeuvre qui devait pousser les gens vers la religion, parce que celle-ci était la seule manière de les sauver. Il ne pouvait y avoir

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in a video ( Deadly Valentine). Dev has also written and produced for Mariah Carey, Kylie Minogue, Mac Miller and ASAP Rocky. His practice fits perfectly with our postmodern millennial era. Ultimately, this project is a bit like a modern version of Raphael’s The School of Athens: Dev’s different personalit­ies replace the major figures of ancient thought, but without Raphael’s grandeur. [Laughs.]

You told me during the shoot that Caravaggio’s Incredulit­y of St. Thomas was also a reference.

JS: It’s an allegory of scepticism and doubt. It’s a painting that’s been with me all my life. As a child, I had to battle against illness, two cancers... I was told I was going to lose my right arm... My arm is still here, and I overcame these hardships. So why am I obsessed with this Caravaggio? Because I’m still sceptical about my own mortality. I survived. I experience­d a resurrecti­on. And I became obsessed with the idea of creating, of doing things. Producing art is a way of leaving a legacy and of remaining alive.

Dev Hynes: The Incredulit­y of St. Thomas is one of my favourite paintings too. My parents were Methodists, and I’ve always had an appreciati­on for religious imagery. It forms metaphors that permeate my music. The lyrics on my track Augustine [released in 2016 under his stage name Blood Orange] come from confession­s. This can even be perceived in my melodies. I always have an eye on religious music, Puccini’s in particular. My approach to religion has evolved over the years. To start with I was more interested in religious thinking than in how people live their faith. And then I looked at the origin of religions, how they’ve stood the test of time and been used and reinterpre­ted absolutely everywhere, from England to Africa.

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