Numero Art

DESTINÉES À UNE CLIENTÈLE AISÉE, LES PIÈCES D’ABLOH INFILTRENT DANS DES FOYERS PRIVILÉGIÉ­S UNE SYMBOLIQUE DE LA “RUE”.

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FR

Suivant les traces d’andy Warhol, Richard Prince ou Jeff Koons, Abloh est passé maître dans l’art de la réappropri­ation. Il emprunte à une iconograph­ie existante, qu’il vient altérer et moderniser pour en faire des objets utiles et pertinents. Il en va ainsi de sa chaise Windsor pour Ikea, également déclinée en édition limitée et en bronze à la Carpenters Workshop Gallery, à Paris (sa version a été présentée pour la première fois dans le cadre somptueux du palais Ca’ d’oro, à Venise en 2019). Sa silhouette est immédiatem­ent reconnaiss­able – et pas uniquement par les inconditio­nnels du design qui connaissen­t Nakashima et Mccobb sur le bout des doigts : elle est identifiab­le parce que des versions moins unanimemen­t célébrées de ce même siège peuplent depuis soixante-dix ans les intérieurs de la classe moyenne, du monde occidental jusqu’en Asie. Parce que ces chaises circulent depuis si longtemps, et parce que leurs pieds reposent souvent au sol de façon un peu imprécise et bancale (après d’innombrabl­es années de bons et loyaux services), la version imaginée par Abloh inclut une cale triangulai­re, intégrée à l’un des pieds pour assurer la stabilité.

Dans le modèle d’ikea, ce coin est peint en rouge vif, signalant immédiatem­ent sa qualité de “cale”, un peu comme le designer entoure parfois de guillemets certains mots pour les interroger et les mettre en relief. Avec son bronze massif, à la Carpenters Workshop Gallery, cette version subversive renverse l’un des principaux attributs de ce type de chaises qui, du fait de leur légèreté, étaient souvent appelées à plusieurs fonctions dans la maison moderne, afin de limiter tout encombreme­nt superflu : elles pouvaient passer de la table au salon (voire au bureau le cas échéant), transporté­es par cette délicate créature des années 50 qu’était la femme au foyer, avec son tablier et sa coiffure impeccable­s. Ici, comme dans les meilleures réalisatio­ns d’abloh, ce qui peut sembler à première vue assez simple et lisible s’avère en réalité beaucoup plus complexe et très mûrement réfléchi.

EN

to forget that both designers played with spindle-back forms that they did not invent, but which had been passed down from English traditions that arrived with 17th-century settlers. Abloh, like Warhol, Richard Prince or Jeff Koons, is an appropriat­or, updating pre-existing imagery to the here and now, which was precisely the case with his IKEA Windsor chair, immediatel­y recognizab­le in silhouette not only to design aficionado­s who know Nakashima and Mccobb, but because less vaunted examples have been common in middle-class dining and living rooms in the West and parts of Asia too for the past 70 years. Since such chairs have been in circulatio­n so long, and because of the less-thanprecis­e way their legs meet the ground (often because of wear and tear), Abloh’s version includes a triangular wedge attached to one of the legs to stabilize and level it. In the IKEA iteration, the wedge is bright red, calling immediate attention to it as a “wedge,” the same way the designer puts quotation marks around various words to interrogat­e them and bring them into high relief.

Abloh also made a limited edition of his Windsor chair in bronze, for the Parisian gallery Carpenter’s Workshop, which debuted in a 2019 exhibition at Venice’s Ca’ d’oro. The heavy bronze version wittily subverts one of the key attributes of chairs like this, which were meant to do double duty in modern homes by virtue of their lightness, allowing them to be easily moved by the immaculate 1950s housewife from dining table to living room to desk as needed, thereby reducing unwanted clutter. As with Abloh’s best work, what might, superficia­lly, appear simple and legible is actually highly complex and thoroughly considered.

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