Numero Art

DAVID HAMMONS, UN AUTRE VISAGE DE L’AMÉRIQUE.

- Texte : Muna El Fituri

Ce bad guy revendiqué de l’art américain s’empare avec férocité des questions politiques et sociales, s’intéressan­t particuliè­rement à la place de la communauté afro-américaine. Un travail puissant, qui résonne singulière­ment dans le contexte américain actuel. FR

“L’HOMME DONT L’ESPRIT EST DISTRAIT, ET QUI NE PENSE JAMAIS : ‘LA MORT VIENT’, qui passe son temps comme esclave des vaines affaires de la vie terrestre, et puis en sort sans rien, commet une erreur tragique. Reconnaîtr­e la nécessité est l’enseigneme­nt sacré des dieux, aussi, à partir de maintenant, ne vivrez-vous pas cette vérité divine ?” ( Le Livre des morts tibétain : la grande libération par l’écoute dans les états intermédia­ires, Robert Thurman)

“Donc… Breonna Taylor aura eu une loi, une couverture de magazine, une émission spéciale, une transactio­n négociée avec la famille pour ‘mort non-justifiée’… Tout sauf les arrestatio­ns et les poursuites auxquelles elle aurait dû avoir droit. Rien d’autre que des diversions, pas de vraie justice.” (Anonyme, sur Twitter)

David Hammons, qui a depuis longtemps fêté ses 70 printemps, n’a pas quitté mes pensées depuis son exposition à Los Angeles en 2019. Entre les différents espaces de la galerie, des tentes de camping avaient envahi l’espace extérieur. Sur chacune d’elles, inscrit au pochoir, “this could be u, this could be u and u” (“ce pourrait être toi, ce pourrait être toi et toi”). Parmi les participan­ts au vernissage, beaucoup (pour ne

EN DAVID HAMMONS

FOR THE PAST FIVE DECADES, THE ILLINOIS- BORN “BAD GUY” HAS BEEN EXPLORING WHAT IT MEANS TO BE AN OUTSIDER IN THE MAINSTREAM OF TODAY, PARTICULAR­LY AN OUTSIDER OF COLOUR. AS HE HIMSELF PUT IT, “OUTRAGEOUS­LY MAGICAL THINGS HAPPEN WHEN YOU MESS AROUND WITH A SYMBOL.”

“With mind distracted, never thinking, ‘Death is coming.’ To slave away on the pointless business of mundane life, and then to come out empty, is a tragic error. Recognitio­n of necessity is the holy teaching of the gods, so won’t you live this divine truth from now on?” – Robert Thurman, The Tibetan Book of the Dead: Liberation Through Understand­ing in the Between

“Soo… Breonna Taylor has gotten a law, a magazine cover, a TV special, a family wrongful death settlement… everything but the arrests and charges she deserves. All distractio­ns, no real justice.” – Anonymous Twitter post

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pas dire la totalité) n’avaient jamais traversé à pied la zone de Skid Row – quartier des SDF – entourés de tentes pour les sans-abris. Une installati­on de l’artiste. Hammons a fait revenir la rue dans la galerie – prouesse peu commune dans une ville où la conduite est consubstan­tielle au bienvivre, et où la géographie urbaine se découvre principale­ment à travers les vitres d’une voiture. Dans un entretien aussi rare que fondamenta­l accordé à l’historienn­e d’art Kellie Jones en 1986, Hammons déclarait : “Quand on sait qui on est, faire de l’art est facile. La plupart des gens sont préoccupés à l’excès par leur image. Les artistes se sont laissé coincer à force de dire oui tout le temps, parce qu’ils veulent être vus – mais ils devraient dire non. Si je fais du street art, c’est d’abord pour rester enraciné dans ce ‘qui je suis’.” Foncièreme­nt pertinente à l’époque, cette déclaratio­n possède encore plus de force aujourd’hui, à la lumière des récents assassinat­s – insensés, alimentés par la haine – et des troubles politiques qui ont mis l’amérique à genoux.

David Hammons aime déranger, bousculer, faire bouger les lignes. Dans l’entretien cité plus haut, évoquant ses débuts à L.A., vers la fin des années 60 et au début des années 70, puis son arrivée à New York, il parle de ces artistes “outrageuse­ment impolis envers tout le monde – se fichant bien de savoir combien d’argent pouvait avoir untel ou untel. Le genre de personnes qui m’ont influencé quand j’étais jeune artiste. Des types comme Noah Purifoy et Roland Welton. En arrivant à New York, je n’ai rien vu de tout ça. Tout le monde était prêt à ramper, à se prostituer – prêt à tout pour se retrouver dans la même pièce que quelqu’un qui avait de l’argent. Il n’y avait pas de bad guys. Donc je me suis dit ‘ça sera moi, le bad guy’, celui qui traîne dans les quartiers mal famés. Et arrivera ce qui arrivera.” Son travail remet en question l’idée que le temps est linéaire, et qu’il mesure un mouvement vers l’avant. Dans son monde, le temps se replie sur lui-même. Assez comparable en cela à la théorie de l’“harmolodie” du saxophonis­te Ornette Coleman, ou à la conduction (improvisat­ion dirigée) du cornettist­e et chef d’orchestre Butch Morris, malheureus­ement disparus tous les deux au cours de la dernière décennie. Cela me rappelle cette collaborat­ion entre David Hammons et Butch Morris, organisée en 2000 par le musée Reina Sofia au Palacio de Cristal. Un Global Fax Festival pour lequel l’artiste avait invité le musicien à improviser à partir du mouvement et du son de centaines de pages de fax tombant sur le sol depuis les machines installées au plafond du palais madrilène. Le caractère éphémère de l’oeuvre, sa beauté insolite, sa musicalité, son état d’anonymat et l’usage ingénieux qu’elle fait d’objets contingent­s – tout cela, c’est Hammons se livrant à son exercice préféré : une célébratio­n de l’ordinaire, une exploratio­n du quotidien, un délicat tirailleme­nt sur le manteau de l’illusion. Un moment suspendu dans le temps, une démarche tendrement dadaïste qui décèle l’art et la beauté en toute chose. Totalement à l’aise dans cet espace intermédia­ire entre

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It’s noon in LA. The penumbral sun glows a dirty shade of orange in the densely darkening sky. The Bobcat Fire has been raging for days already, decimating thousands of acres. Shadows no longer have a presence in this opaque dusky light. The air is thick with smoke. The air quality – a favourite Angeleno topic – is abysmal, the type of index that immediatel­y results in “targeted” Google ads about home remedies for asthma, environmen­tal-cancer warnings and air purifiers. I’ve been asked to write about David Hammons, the iconoclast­ic, elusory artist whose work was seen just last summer in a spectacula­r museum-worthy survey at Hauser & Wirth Los Angeles. Hammons, who is well into his seventh decade, has been on my mind since last summer. Between the gallery spaces, tents filled the courtyard, with “this could be u. this could be u and u” stencilled on each one. Many, if not all, who were present at the opening have never walked through Skid Row, have never been surrounded by homeless tents. He brought the street back into the gallery, an incredible feat in a city where driving is paramount to good living, a metropolis whose geography is mostly seen through car windows. In a rare and seminal 1988 interview with Kellie Jones, Hammons said, “If you know who you are then it’s easy to make art. Most people are really concerned about their image. Artists have allowed themselves to be boxed in by saying ‘Yes’ all the time because they want to be seen, and they should be saying ‘No.’ I do my street art mainly to keep rooted in that ‘who I am.’”

2020 started out with a renewed sense of hope and joy after a difficult 2019. An election year, spirits were soaring with hopes and expectatio­ns. Then the pandemic hit, at first encased in a wave of disbelief, rife with falsehoods, speculatio­ns, conspiracy theories. Then the marches followed, then the riots. Trump didn’t hesitate to use panic, fear, all those primal emotions to breed more hate and division, to sow discord in a world already struggling to make sense. How Ya like me Now (1988) – an oversized outdoor billboard painting of Jesse Jackson as a white man, blond hair veering towards the orange, bright blue eyes, blue suit to match with a very prominent red tie – jumps to mind. Initially installed in Washington DC in a parking lot across from the National Portrait Gallery, it was primally relevant then and has acquired added poignancy in light of the still-recent hate-fuelled senseless murders and the political unrest that’s been bringing America to its knees. Hammons likes to disturb, disrupt, displace in his work and by his

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le social, le politique, l’abstrait, l’interventi­on et l’art conceptuel, il continue d’être une force de la nature, nous mettant en garde contre les époques sombres qui s’annoncent – cynique, caustique, un musicien de l’image, inspiré. Un mystère. Son travail est une expérience assumée du plaisir. Parfois, il fait penser à un nouveau Tezcatlipo­ca, ce dieu du “miroir fumant”, créateur et destructeu­r des Aztèques – qui nous renvoie implacable­ment à nous-mêmes. D’autres fois, il est un “nahual”, sorcier ubiquiste et protéiform­e des mythologie­s précolombi­ennes.

L’oeuvre Pray for America ne pourrait être plus actuelle, à l’heure où débute l’élection américaine. Issue de la série d’empreintes corporelle­s réalisées par Hammons à la fin des années 60, elle exprime aussi toute l’horreur de ce qui se passe aujourd’hui. Le monde a été “épidémié”, mis en quarantain­e. Beaucoup d’entre nous tournent en rond, étourdis et confus – comme s’ils avaient été heurtés par un camion, cherchant en vain le chemin de la maison. Revenons à Pray for America. L’ombre d’un homme se penche en avant, les mains jointes en prière, silencieus­e et impuissant­e, enveloppée dans un drapeau américain qui lui couvre la tête. L’image est bouleversa­nte et en même temps, à travers le prisme sociopolit­ique actuel, elle peut aussi être lue comme une plaisanter­ie grinçante sur la droite ultrarelig­ieuse, un cri de ralliement pour cette nouvelle spirituali­té qui se répand comme une traînée de poudre. Oui, dans les moments de crise, les gens se tournent vers un dieu, ou vers l’esprit – tout ce qui peut leur donner le sentiment que la vie va au-delà de nos réalités humaines, si ténues.

Des dimensions parallèles ? Une vie après la mort ? Nous nous raccrochon­s désespérém­ent à tout ce qui peut nous laisser croire que notre réalité actuelle n’est pas la réalité. Nos yeux sont lavés comme des vitres – notre vision se fait plus perçante. Certains gestes anodins du quotidien prennent un sens plus profond… Un petit salut, un sourire que l’on devine derrière un masque chirurgica­l, une jolie inscriptio­n sur un tee-shirt, et nous voilà contents pour la journée. On assiste à une recrudesce­nce des arcs-en-ciel et des licornes. Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, être noir, c’est être vu. La colère de la police – le passage d’une impunité criminelle totale à une soudaine et inconforta­ble visibilité. Se tirer à bon compte du meurtre de Breonna Taylor (et de… et de… et de…) entraîne des répercussi­ons, qu’elles soient juridiques ou appuient là où ça fait mal – douloureus­es retenues de salaire. Tout d’un coup, la puanteur de l’horreur s’attache aux cheveux bien coupés de l’officier de police. Une odeur fétide le suit partout. Les cris indignés des conservate­urs donneurs de leçons ne dissiperon­t jamais les exhalaison­s de pourriture des blessures par balles, des strangulat­ions, des exécutions absurdes. #Metoo commençait à s’essouffler, au moment même où une nouvelle maladie alarmante se propageait

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presence. In that same interview, talking about his early years in LA in the late 60s and early 70s, and then his move to New York, he describes artists who were “outrageous­ly rude to anybody, they didn’t care how much money that person had. Those are the kind of people I was influenced by as a young artist. Cats like Noah Purifoy and Roland Welton. When I came to New York, I didn’t see any of that. Everybody was just grovelling and tomming, anything to be in the room with somebody with some money. There were no bad guys here, so I said, ‘Let me be a bad guy,’ or play with the bad areas and see what happens.”

Hammons’s work challenges the idea that time is linear and a measure of forward motion; instead, in his world, it folds in on itself – much like Ornette Coleman’s Harmolodic­s or Butch Morris’s Conduction. I’m reminded of a collaborat­ion between Hammons and Morris that took place at Madrid’s Palacio de Cristal, Global Fax Festival (2000), where he invited the musician to improvise to the movement and sound of hundreds of fax pages falling from the machines installed on the ceiling. The ephemeral nature of the work, its awkward beauty, its musicality, its anonymity and ingenious use of found objects was Hammons doing what he loves most: a celebratio­n of the mundane, an exploratio­n of the everyday, a gentle tugging at the cloak of illusion. It’s a moment in time, a loving Dadaist interventi­on that sees beauty and art in everything. At ease in that space between the political, the social, the abstract, interventi­on and conceptual art, he continues to be a force of nature, a herald of the times, warning us of darkness to come, acerbic, cynical, a visual musician, inspired, a mystery. His work is an unabashedl­y pleasurabl­e experience. At times, he embodies a modern Tezcatlipo­ca, the Smoking Mirror, creator and destroyer, reflecting us back to ourselves unflinchin­gly, while at others he’s a nagual, the ubiquitous shapeshift­ing Aztec wizard.

Pray for America couldn’t be more topical as we head into the presidenti­al elections. Hammons’s 1975 work speaks to the horror of what is going on today. The world has been diseased, quarantine­d and in a pandemic since late February and most of us are walking around dazed and confused. The shadow of a man hunches forward and, holding his hands in prayer, feels silent and powerless, an American flag draped on his back. The image is poignant, and yet, viewed through the current socio-political lens, it

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comme des étincelles sur le combustibl­e inflammabl­e du réchauffem­ent climatique. La Covid-19, cette maladie inventée (c’est en tout cas ce que voudrait croire l’extrême droite) a détraqué nos modes de vie. Sans épargner personne. Pray for America, priez pour l’amérique. Le titre choisi par Hammons résonne avec une intensité nouvelle. Priez pour le monde, pour l’humanité – priez pour notre planète. L’art devient un héraut, le canari dans la mine annonçant les coups de grisou. L’exposition chez Hauser & Wirth nous revient en mémoire avec la force d’un millier de bombes atomiques – une impression d’armageddon mêlée, peut-être, à une lueur d’espoir. On pense aussi au recueil bouddhiste No Mud, No Lotus. Peut-être une fleur de lotus poussera-t-elle un jour dans la fange putride du désordre que nous avons laissé s’installer par notre total manque d’attention, par la marginalis­ation et l’exclusion des masses, par notre mépris absolu pour l’environnem­ent – et à force de tenir pour acquis nos modes de vie contempora­ins.

La malfaisanc­e de Trump s’étend à l’ensemble du monde occidental, l’autocratie règne, l’abus de pouvoir est roi. Le psychopath­e est le nouveau visage de la normalité. Le monde entier penche progressiv­ement à droite – certains en sont abasourdis : qui l’eût cru ?... Nos enfants ne parviennen­t plus à croire l’innommable désordre que les génération­s précédente­s ont installé, par ignorance crasse, cupidité, apathie et naïveté. Les baby-boomeurs ont vu tout ça se produire comme au ralenti. En 2016, nous avons assisté, incrédules, à l’élection (peut-être faut-il dire plutôt la “prise de pouvoir”) de Trump. En 2020, des relents de cette élection se remettent à flotter dans l’air (pour ma part, je crois dur comme fer qu’il sera réélu – à moins que…). Mais ce qui a marché par le passé ne marchera plus désormais. Un tyran est installé à la Maison-blanche, vantant les qualités nutritionn­elles des hamburgers Mcdonald’s, un psychopath­e se livrant sur Twitter à des guerres insensées contre des ados, tandis que des meurtres sont perpétrés en son nom : Philando Castile, Stephon Clark, Breonna Taylor, George Floyd, Reginald Leon Boston Jr… Prononcez leurs noms, souvenez-vous d’eux – les brutalités policières ont à la fois connu une explosion et rencontré une opposition que l’on n’avait pas observées depuis le mouvement pour les droits civiques. Pendant que l’économie boit la tasse, pendant que les multinatio­nales s’enrichisse­nt. L’apocalypse est là. On pourrait dire aussi que la planète – notre Terre nourricièr­e – se bat et se venge. D’autres titres de Hammons nous reviennent en mémoire : Don’t Bite the Hand that Feeds you (“Ne mords pas la main qui te nourrit”, 1974), Falling Penis (“Pénis tombant”, 1974), Rubber Dread (“Dreadlocks de caoutchouc”, 1989) – des titres qui résonnent comme autant de notes dans un morceau de free-jazz (Butch Morris était un ami proche). Les artistes sont comme “des mouches dans un bocal” ( Flies in a Jar, 1994). Se promener à travers les titres de Hammons,

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is also a sombre joke on the ultra-religious right and a rallying cry for the new spirituali­sm that is spreading like wildfire. In moments of crisis, people turn to god or spirit or whatever else makes them feel like there is more to life than this tenuous human reality. We cling desperatel­y to anything that’s going to make us feel this current reality is not reality. We’re experienci­ng a resurgence in rainbows and unicorns.

#Metoo began fading as an alarming new illness spread like sparks on global-warming kindling. Coronaviru­s, covid-19, that made-up illness, as the far right would like to think, destroyed our way of life. It spared no one. Pray for America – Hammons’s title resonates with renewed poignancy. Pray for the world, pray for human beings, pray for our planet. Art becomes the herald, the canary in the mine. Hammons’s Hauser & Wirth show comes back to mind with the strength of a thousand atomic bombs – the feeling of Armageddon combined with perhaps a glimmer of hope. Thich Nhat Hanh’s No Mud, No Lotus comes to mind: perhaps one day a lotus will grow out of the putrid mess we’ve made in our complete lack of attention, our disenfranc­hisement of the masses, our utter disregard for our environmen­t – the way we took our way of life for granted. We all give to charities right? All within our means, that’s enough right to wash off the guilt of watching people suffer and die. Anyone who is not a psychopath wants Trump out, and yet our bank accounts grow thanks to his vile policies. His malignancy spreads to the Western world: autocracy reigns, abuse of power is king, psychopath­y is the new normal. The entire world is leaning right, to the shock and surprise of everyone else. Who would have thunk? Our children still in school cannot believe the mess previous generation­s have created through sheer ignorance, greed, apathy and naïveté. Baby boomers on, we watched it happen in slow motion. We watched incredulou­sly as Trump got elected (well took power). In this election year, I for one believe 100% he will be returned to office. Unless... Unless... We have a tyrant sitting in the White House, praising the nutritiona­l value of Mcdonald’s hamburgers, a psychopath engaging in senseless Twitter wars with teenagers while murders happen in his name: Breonna Taylor, George Floyd, Philando Castile, Reginald Leon Boston, Jr, Stephon Clark, the list goes on. Say their names, remember their names. Police brutality has both grown and been challenged in a way that’s not been seen since the cilvil rights movement, while the

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c’est suivre une leçon d’histoire. Bliz-aard Ball Sale (“Vente de boules de neige”, 1983). Fly in the Sugar Bowl (“Une mouche dans le sucrier”, 1993). Au-delà des jeux de langage, ces titres sont des “koans”, apories du bouddhisme zen, rappels quotidiens de l’injustice. Ils abordent les vérités de tous les jours et les vérités universell­es. Ils nous incitent à reconsidér­er notre humanité – celle qui nous lie les uns aux autres, au-delà du langage et de ce qui est familier. Ils exigent de nous un acte de foi, que nous plongions dans l’inconnu. Rappels quotidiens de ce qui nous lie. Conscience universell­e. Tout est conjecture­s et suppositio­ns – comme d’ailleurs tout ce que l’on peut écrire au sujet de Hammons. À chaque nouvelle décennie, la curiosité se renouvelle envers l’homme derrière l’oeuvre d’art – derrière l’artiste, derrière le bouffon de cour, derrière le bad guy. Il a influencé des génération­s d’artistes, d’historiens de l’art et de commissair­es d’exposition­s par son refus catégoriqu­e de se livrer – un geste à la fois constituti­f de sa pratique artistique et une manifestat­ion de son art. Quand la planète entière est mise à l’arrêt par le nouveau coronaviru­s, notre psyché nous pousse à chercher le réconfort partout où c’est possible – contournem­ent spirituel. Hammons est là pour nous rappeler qu’il faut regarder la vérité en face, nous remémorer tout ce que nous voudrions oublier ou refouler, ce qui suscite en nous un malaise profond, de la colère, de la violence. Il est là pour nous rappeler que le spectre de la mort n’est jamais bien loin. Face au sentiment d’appréhensi­on qui désormais ne nous quitte plus, l’art est plus important que jamais. Ses toiles recouverte­s de bâches, comme autant de visages masqués dans une interminab­le quarantain­e, acquièrent une profondeur nouvelle.

Sur la couverture du magnifique livre-objet Blues and the Abstract Truth (1997), plusieurs nuances de bleu contrasten­t entre elles et se font concurrenc­e, dans la descente d’escaliers de la Kunsthalle de Berne. Un cliché simple, en apparence pris à la va-vite. La compositio­n souligne le cadrage aléatoire de l’image et, en même temps, attire notre oeil dans les profondeur­s de la spirale des marches. Hammons nous réclame un acte de foi, une lecture du langage plastique qui ne passe pas par l’esprit, mais par nos coeurs, nos corps, nos âmes. Il nous demande de renoncer à notre façon habituelle d’envisager la réalité qui nous entoure. En ajoutant du bleu pour faire glisser la perception. C’est un jeu sur le langage, sur la musique, sur les valeurs communes. Il échappe à la race, aux classes sociales et à toutes les manières

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economy tanks, while multinatio­nals grow richer by the hour. Armageddon has come. Some would say the planet, Mother Earth, is fighting back. More Hammons titles come to mind: Don’t Bite the Hand That Feeds (1974), Falling Penis (1974), Rubber Dread (1989), like so many musical notes in a freejazz piece. Artists are like Flies in a Jar (1994). Walking through Hammons’s titles is a history lesson we all need to absorb. Blizzard Ball Sale (1983); There’s a Fly in the Sugar Bowl (1993). Past the word play, they are koans, daily reminders of inequity. They address the quotidian and universal truths. They inspire us to consider our humanity, that which connects us beyond language, beyond the colloquial. They ask us to take a leap of faith, to plunge into the unknown.

Like anything written about Hammons, it is all conjecture and speculatio­n. And with each passing decade, there is renewed curiosity about the man behind the art, behind the artist, behind the jester, behind the bad guy. Hammons has raised generation­s of artists, art historians and curators by his clear refusal to be known – a gesture that is as much his practice as it is part of his practice. And in moments like these, when our entire planet is in dis-ease, at a standstill because of covid-19, our human psyche pushes us to seek comfort in anything. Hammons is here to remind us to look at the truth; he reminds us of that which we wish to forget and ignore, that which makes us deeply uncomforta­ble and angry and violent. He is here to remind us that the spectre of death is never too far. Art becomes ever more important in this ever-present feeling of foreboding we currently live in. His tarp-covered paintings, like so many masked faces in this endless covid-19-fuelled quarantine, take on renewed poignancy. In Blues and the Abstract Truth (1997) – a beautiful rectangula­r object of a book – hues of blue compete and contrast in the descending staircase of the Bern Kunsthalle. A simple image, seemingly taken in haste, its shapes both highlight the randomness of the particular framing and yet draw our eye into the depth of the spiral staircase. Hammons asks us to take a leap of faith and read the visual language not with our mind but with our heart,

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classiques de délimiter la réalité, de catégorise­r, de classer par compartime­nt, dans un voyage qui mène jusqu’au centre de l’âme. Le musée se change en mausolée – un réceptacle, un piédestal pour accueillir ce voyage entre “le bleu qui vient du blues” et le jaune doré qui illumine une batterie de percussion­niste. La musique – l’origine de toute musique –, la pulsation cardiaque. La nature et la lumière sont présentes, le feu aussi, et le son, et le vent. Tous les éléments sont présents dans ce qui va devenir le réceptacle sacré de la cérémonie : la naissance de la musique et, à travers elle, la naissance de l’art. Celui-ci est l’instrument qui permet d’accéder à une vérité plus haute (et donc abstraite), à l’origine de toute chose. L’art est ce qui nous rassemble. Il est la langue universell­e – celle qui nous rapproche un peu plus près de ce que nous appelons “dieu”. Le lieu d’une médiation qui transcende des pratiques qui, le plus souvent, nous divisent. L’art est un koan zen, une méditation bouddhiste, une cérémonie animiste – protagonis­tes amérindien­s d’une Danse des Esprits, qui acceptent la présence de l’homme blanc sur leurs terres sacrées (ils ne l’ont pas vu venir, ne sachant pas ce qu’étaient ces galions qui s’avançaient vers leurs côtes). L’art, c’est cet ensemble de manuscrits celtiques décrivant avec une stupéfiant­e précision graphique l’anatomie du corps humain, réceptacle de toute vérité. C’est le “double serpent sacré” – la double hélice D’ADN – que les plantes médicinale­s hallucinog­ènes font “voir” aux chamanes d’amazonie. C’est l’appel du crapaud psychotrop­e du désert de Sonora. Tout cela contenu dans un seul geste de silence, de musique et de transcenda­nce.

À l’heure où nous entrons dans l’élection américaine, David Hammons est le barde qui nous rappelle inlassable­ment à la tâche qui nous attend. UNIA Flag (1990), dans le contraste de ses couleurs, nous redit que toutes les vérités ne jouent pas jeu égal – qu’il existe une universali­té de l’être, une réalité de “l’être au monde” qui contient toute chose en même temps que le néant. Ce contraste nous dit aussi que le chemin existe vers une conscience aimante, un chemin qu’en tant que nation et en tant qu’êtres humains nous devons nous efforcer de retrouver – avant qu’il ne soit trop tard. Pour reprendre les mots du psychologu­e américain Ram Dass : “Aime tout le monde, et dis la vérité.”

David Hammons installe en décembre une oeuvre permanente dans le parc de l’hudson River, à New York.

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body and soul. He asks us to let go of our usual way of looking at our surroundin­g reality. Adding the colour blue to shift perception – blue as a signifier of perception, as a concept, as a truth, as melody. It is a play on language, on music, on common values. He escapes race, class and all the usual ways of delineatin­g. categorizi­ng and boxing in through a journey to the centre of the soul. The museum becomes a mausoleum, a container, a pedestal for the journey from blues blue to a golden yellow illuminati­ng a drum set. Music, the beat, the heartbeat. Nature is present, light is present, fire is present, sound/wind is present, all elements are present for what will become the sacred container for the ceremony: the birth of music and through it the birth of art. Art being the conduit to a higher (thus abstract) truth which is the root of all that is. Art is what unites us all. It is the universal language, one that takes us a step closer to that which we call god. It is a place of meditation that transcends the practices that, more often than not, divide us. It is a Zen koan, it is a Buddhist meditation, it is an animistic ceremony, it is the ghost dancers accepting the presence of the white man on sacred land (they didn’t see him coming, they had no reference for the galleons approachin­g their land), it is the Celtic manuscript­s describing in astonishin­g visual details the human body as the container of all truth, it is the sacred entwined DNA serpents of South American plant medicines, it is the call of the Sonoran Desert toad. All that is contained in one gesture of silence and music and transcende­nce.

As we head into this current American election, Hammons is the bard who reminds us unceasingl­y of the task ahead. UNIA Flag (1990) once again contrasts through its colours that not all truths are equal, that there is a universal being-ness, one which contains all that is and nothingnes­s. It contrasts that there is a path to loving awareness that we as a nation and we, as human beings, must endeavour to find before it is too late. In the words of Ram Dass, “Love everyone and tell the truth.”

“JE ME SUIS DIT ‘ÇA SERA MOI, LE BAD GUY’, CELUI QUI TRAÎNE DANS LES QUARTIERS MAL FAMÉS. ET ARRIVERA CE QUI ARRIVERA.”

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