Numero Art

SHOMEI TOMATSU, UN MAÎTRE DE LA PHOTOGRAPH­IE JAPONAISE.

- Texte : Patrick Remy

“La photograph­ie, c’est un haiku”, disait celui qui consacra sa vie à capturer la mémoire fragmentée d’un Japon détruit par la Seconde Guerre mondiale et longtemps dominé par l’occupation militaire américaine. La Maison européenne de la photograph­ie présente cet hiver l’exposition que le Japonais avait, peu avant sa mort, conçue avec son disciple Daido Moriyama.

DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE PROTEST (1969).

TIRAGE JET D’ENCRE. CI-CONTRE FUMIKO MIYATANI, MASK ARTIST, DE LA SÉRIE ALIBI (1971).

TIRAGE JET D’ENCRE.

FR

LES BOMBARDEME­NTS ATOMIQUES DE HIROSHIMA ET DE NAGASAKI eurent lieu les 6 et 9 août 1945. À Hiroshima (340 000 habitants) se trouvaient le quartier général de la 5e division de l’armée et le centre de commandeme­nt du général Shunroku Hata. La ville de Nagasaki (195 000 habitants) fut choisie au dernier moment par le gouverneme­nt américain pour remplacer la cité historique de Kyoto. Après le rejet des conditions de l’ultimatum de la conférence de Potsdam, les États-unis voulaient ainsi imposer au Japon sa reddition sans condition, l’éviction de l’empereur Hirohito et l’adoption d’un régime politique démocratiq­ue. Ils voulaient aussi tester, grandeur nature, les deux bombes au plutonium et à l’uranium, afin de montrer aux autres pays, en particulie­r à L’URSS, leur supériorit­é de feu décisive.

Le nombre de décès dus aux explosions et à la tempête de feu qui s’ensuivit est difficile à déterminer. On parle de plus de 200 000 morts, sans compter les cas ultérieurs de cancers et autres effets secondaire­s. “Nagasaki fut démantelée en un instant… Quand on regarde cette ville aujourd’hui, il est difficile d’imaginer une terre détruite et atomisée. Mais je vois ces ruines – le paysage originel du Nagasaki d’après-guerre, dans les profondeur­s de la cité ranimée…” Pendant des années, le photograph­e Shomei Tomatsu documente ce massacre, en captant les corps, les objets du quotidien… Il publie avec son collègue star Ken Domon, Hiroshima-nagasaki Document 1961, puis, en 1966, son propre ouvrage, 11.02 Nagasaki, qui débute par des gros plans d’objets endommagés par l’explosion : une montre arrêtée à 11 heures 02 – l’heure de la déflagrati­on –, une statue décapitée, des visages humains fondus, plus de vingt ans après, une bouteille de bière déformée – la fusion du verre incarnant tous les corps anéantis dans le blast… Il abandonne là l’écriture journalist­ique littérale de l’époque au profit de l’allusion, de la métaphore, qui exprime avec la plus grande précision le dilemme du Japon de l’après-guerre.

EN

SHOMEI TOMATSU

“PHOTOGRAPH­Y IS A HAIKU,” SAID THE JAPANESE MASTER WHO SPENT HIS LIFE CAPTURING HIS HOMELAND IN THE LONG AND DIFFICULT AFTERMATH OF WORLD WAR II. PARIS’S MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPH­IE IS SHOWING TOKYO, THE EXHIBITION THAT, SHORTLY BEFORE HIS DEATH, TOMATSU CO-CURATED WITH HIS DISCIPLE DAIDO MORIYAMA.

The atomic bombings of Hiroshima and Nagasaki took place on 6 and 9 August 1945. Estimates put the number of deaths due to the explosions and ensuing firestorms at over 200,000, not counting the later cancers and other side effects of radiation exposure. “Nagasaki was destroyed in an instant,” wrote photograph­er Shomei Tomatsu. “Looking at the city today, it is hard to imagine the atomic wasteland. But I see those ruins, the original landscape of postwar Nagasaki, in the depths of the revived city… You won’t notice if you just stroke the surface of the rebuilt town, but when you look intently, you begin to see the misery the bomb made, interwoven with Nagasaki’s prosperity.” Over the course of many years, he documented the bombings, photograph­ing bodies and everyday objects: after the book Hiroshima-nagasaki Document (1961), co-authored with Ken Domon, Tomatsu brought out, in 1966, 11.02 Nagasaki. It opens with close-ups of various objects damaged by the explosion: a watch stopped at 11.02 am – the time of the explosion –, a decapitate­d statue, scorched bamboo, human faces which, 20 years later, look literally melted by the explosion, a deformed beer bottle – the fusion of the glass evoking all the bodies

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