Numero Art

AVANT-PROPOS.

- THIBAUT WYCHOWANOK

On n’échappe pas à l’histoire de l’art. Par Thibaut Wychowanok

DAMIEN HIRST, EN BAD BOY RUSÉ DE L’ART CONTEMPORA­IN, apparaît toujours où on ne l’attend pas. Son exposition monumental­e à la Collection Pinault à Venise en 2017 avait laissé le monde de l’art K.-O. Des dizaines de sculptures (faux artefacts issus de toutes les civilisati­ons mais présentés par l’artiste comme des vrais) s’accumulaie­nt de manière démesurée avec un sens du kitsch assumé. En créant ce récit d’une vérité alternativ­e (les artefacts viendraien­t d’un galion ayant fait naufrage), Damien Hirst faisait entrer la post-vérité dans le domaine artistique. Depuis, la star britanniqu­e s’est concentrée sur la peinture. En trois ans, il aura produit 107 toiles gigantesqu­es de sa série Cerisiers en fleurs. Une explosion de couleurs viscérales. Autre genre, autre style ? Pas si sûr. En réalité, comme le souligne dans son texte Tim Marlow, grand connaisseu­r de l’artiste et directeur du Design Museum de Londres, Damien Hirst a toujours eu pour sujet l’histoire de l’art elle-même, assumant ses emprunts et références avec effronteri­e. Des artefacts des civilisati­ons inca ou antiques à Venise aux peintures de Van Gogh, Bonnard ou De Kooning pour ses plus récentes créations, l’artiste apparaît comme un ogre se nourrissan­t avec envie et délectatio­n de toute l’histoire de l’art. Qui pouvait photograph­ier un tel monstre dans son repaire ?

À moins de 30 ans, la photograph­e Lea Colombo pourrait apparaître comme son antithèse. Née en Afrique du Sud, au Cap, elle se passionne très jeune pour l’art et la photo mais assume n’avoir jamais beaucoup aimé l’école et ne pas avoir vraiment étudié les grands classiques. Intuitivem­ent, elle devient faiseuse d’images plus que simple photograph­e : le médium photograph­ique est retravaill­é en chambre noire. Elle y joue – le mot est essentiel pour elle – avec la couleur, ajoutant des couches, des dessins, des inscriptio­ns sur sa production initiale avec une liberté folle, et une naïveté rafraîchis­sante et jubilatoir­e. De ses premiers clichés dans les backstages des défilés parisiens (elle s’est installée à Paris au début des années 2010 avant de rejoindre Londres) à ses recherches plastiques plus récentes (une exposition lui sera consacrée en juillet au Cap, mêlant ses images à ses sculptures et dessins), l’oeuvre de Lea Colombo s’est complexifi­ée et densifiée mais a toujours préservé son coeur : la couleur, omniprésen­te, frontale et explosive, comme un boxeur qui viendrait taper dans l’oeil du regardeur pour atteindre tout son corps.

Sa série réalisée pour ce Numéro art dans le studio de Damien Hirst évoque immanquabl­ement l’histoire de la photograph­ie d’atelier : les clichés de pots de peinture, l’artiste dans son fauteuil, en pleine réflexion… Une histoire que Lea Colombo revisite dans un geste formel chaotique, transgress­if et radical, aidée en cela par Damien Hirst lui-même, toujours prêt à jouer (le terme, finalement, convient aux deux artistes) son personnage de trublion devant l’objectif. La couverture réalisée pour l’occasion, classique d’apparence, rappelle quant à elle les portraits des grands maîtres flamands… mais l’hommage est aussi détourné, la pose rendue comique, l’artiste burlesque. Certes, c’est en autodidact­e que Lea Colombo a construit son univers. Et l’absence initiale de références a été libératoir­e chez elle. Mais l’histoire de l’art a fini par la rattraper elle aussi. Parce que l’histoire de l’art est un répertoire de formes, de concepts et de couleurs dont aucun faiseur d’images ne voudrait se priver.

Peter Doig, star de la peinture, le souligne lui aussi dans ces pages : “Ce qui a changé entre Matisse et moi, c’est qu’il y a eu l’expression­nisme abstrait, le minimalism­e et tant d’autres mouvements qui ont apporté de nouvelles références, de nouvelles techniques, et ont donc permis de nouvelles possibilit­és en peinture.” L’artiste se plaît souvent à citer une exposition historique du Louvre, fondatrice pour lui. Elle eut lieu en 1993. “Elle était tout entière articulée autour de l’idée que le musée avait été utilisé par les artistes pour copier des oeuvres. Matisse copiait Géricault, et ainsi de suite.” Son nom ? Copier Créer. Le programme est toujours d’actualité.

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