LE JOUR OÙ… FELIX GONZALEZ-TORRES CRÉA UNE EXPOSITION QUI CHANGEAIT SANS CESSE.
LE JOUR OÙ FELIX GONZALEZ-TORRES CRÉA UNE EXPOSITION QUI CHANGEAIT SANS CESSE
Par Éric Troncy. Illustration par Soufiane Ababri
LE 1ER JUIN 1991, s’acheva à la Galerie Andrea Rosen de Prince Street, New York, l’exposition du jeune Felix Gonzalez-torres, 33 ans, après quatre semaines au cours desquelles l’artiste changea régulièrement les oeuvres exposées. Chaque semaine, en effet, après l’ouverture le 2 mai de l’exposition personnelle qu’il avait intitulée Every Week There Is Something Different, Gonzalez-torres “recomposait” son exposition, décrochant certaines oeuvres, en ajoutant d’autres, formant, en somme, un récit fluctuant, un puzzle sémantique en constante recomposition. L’invitation à l’exposition se présentait sous la forme d’une feuille de papier indiquant, avec les caractères d’une machine à écrire : “Every week there is something different. A four-part project by Felix Gonzalez-torres at Andrea Rosen Gallery.”
Le vernissage se tint tandis qu’étaient exposés les treize éléments photographiques d’un
titled (Natural History), 1990, de petites images en noir et blanc cadrant chacune un mot gravé dans le granit à l’entrée de l’american Museum of Natural History de New York : “Historian”, “Author”, “Scientist”, “Patriot”, “Ranchman”, “Explorer”… mots qui décrivent le président Theodore Roosevelt.
La semaine suivante, Felix Gonzalez-torres décrocha la plupart de ces photographies, n’en conservant que trois (“Humanitarian”, “Soldier” et “Explorer”) et y ajoutant une oeuvre nouvelle : Untitled (Go-go Dancing Platform). Sur cette plateforme de deux mètres carrés et de cinquante centimètres de hauteur, d’une couleur bleu pale et bordée d’ampoules électriques allumées, se trémoussait en effet un go-go dancer en short argenté, au son d’un Walkman, quelques minutes par jour – de telle sorte que, la plupart du temps, demeurait seulement la plateforme éclairée.
La troisième semaine, Felix Gonzalez-torres ajouta ses Blood Works, des courbes tracées sur du papier millimétré, et une dizaine d’oeuvres furent ainsi exposées puis remplacées, jusqu’à l’apparition, la dernière semaine, d’untitled (Placebo), 1991, un
display rectangulaire composé de centaines de bonbons emballés dans du papier argenté et présenté sur le sol.
La simple recombinaison d’un ensemble réduit d’oeuvres donna a chacune d’entre elles des possibilités narratives augmentées : ce faisant, l’exposition devint une forme changeante marquée par le temps. Au sujet de cette exposition, Felix Gonzalez-torres expliqua au critique d’art Robert Nickas : “Je me suis dit, il n’y a pas de règle selon laquelle je dois laisser quelque chose dans la galerie pendant tout le mois. Je peux changer les choses, créer une espèce de narration, introduire puis enlever, créer quelque chose puis le détruire, produire une tension et faire en sorte que rien ne soit stable… On ne peut même pas se fier à une exposition d’un mois.”
THE DAY FELIX GONZALEZ-TORRES PUT ON A CONSTANTLY EVOLVING SHOW On 1 June 1991, a month-long exhibition by 34-year-old Felix Gonzalez-torres came to an end in New York. Entitled Every Week There Is Something Different: A Four-part Project by Felix Gonzalez-torres at Andrea Rosen Gallery, it did exactly as promised, the artist removing some works and adding others to produce a fluctuating narrative. At the opening, the 13 photographs in Untitled (Natural History) were all displayed, but the following week only three remained – Humanitarian, Soldier and Explorer (words that described Theodore Roosevelt) – and were now joined by Untitled (Go-go Dancing Platform), which was literally what it said, occasionally hosting a live go-go dancer in silver shorts gyrating to music on a Walkman. In the third week, GonzalezTorres added his Blood Works, curves traced on graph paper, meaning that around a dozen works were exhibited and then replaced, until the appearance in the last week of Untitled (Placebo), a rectangular floor display composed of hundreds of candies wrapped in silver paper. By recombining a reduced set of works, Gonzalez-torres increased their narrative possibilities and destabilized gallery conventions. “I thought there’s no rule that I have to leave something in the gallery for the entire month,” he explained to critic Robert Nickas. “I’ll change it, create some kind of narrative … put it out and take it back, create something and then destroy it, create a tension that nothing is stable. You can’t even depend on a one-month show.”