Numero Art

JULIE VILLARD ET SIMON BROSSARD MÊLENT AUX MATÉRIAUX MOULÉS CONTEMPORA­INS DES OBJETS D’ASPECT ANTIQUE OU ÉGYPTIEN, CHARGEANT L’ENSEMBLE D’UNE PALETTE AFFECTIVE D’UN KITSCH SACCHARINÉ.

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sculptures, conçues au fil des exposition­s comme autant de familles, est à l’image du processus de travail des artistes : à propos de MENU, leur première exposition solo à la galerie Exo Exo à Paris en 2018, ils racontent avoir passé trois mois enfermés dans une salle de bains minuscule, mains et pieds dans l’eau, à souder l’acier avec la laine. Aujourd’hui encore, et quand bien même les premières pièces en impression 3D font leur apparition au sein de leurs compositio­ns, la réalisatio­n manuelle, et l’investisse­ment de leur corps dans les opérations de moulage, de modelage et de ponçage, reste cruciale au sein d’une répartitio­n des rôles symbiotiqu­e. À mesure que la fabricatio­n et le travail sur plan réorienten­t la teneur spéculativ­e de leurs pièces, le spectre temporel se distend encore davantage. Au sein de leurs recherches actuelles, Julie Villard et Simon Brossard mêlent aux matériaux moulés immédiatem­ent contempora­ins des objets anciens ou fabulés comme tels, antiques ou égyptiens, chargeant l’ensemble d’une palette affective d’un kitsch sacchariné. L’évidente tonalité post-apocalypti­que des premiers végétaux mutants, organes prosthétiq­ues ou du mobilier sépulcral, approfondi­t alors sa charge d’ambiguïté. Engluées depuis un présent sans avenir, où le passé n’est qu’un rebut comme un autre, les sculptures hétérochro­niques de Julie Villard et Simon Brossard s’autogénère­nt depuis les ruines du Capitalocè­ne. Elles en sont les gemmes malades, enflées d’un désir autophage. I L-G

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first solo show, MENU, held in 2018 at the Exo Exo gallery in Paris, they say they spent three months locked in a tiny bathroom, their hands and feet in water, welding the steel to the wool, dividing up the tasks symbiotica­lly between them. Even today, and even though the first 3D printed parts have appeared in their compositio­ns, manual production and the throwing of their entire bodies into the moulding, modelling and sanding of the work remain crucial.

As the fabricatio­n process advances, reorientin­g the speculativ­e dimension of their work, the duo is stretching its temporal spectrum yet further. As part of their current research, Villard and Brossard are using not only highly contempora­ry moulded materials but also antique or faux-antique Greek or Egyptian objects, imbuing the results with an emotional palette of sickly-sweet kitsch. The obvious post-apocalypti­c overtones of the first mutant plants, prosthetic organs and sepulchral furniture deepens all the weight of the ambiguity. Stuck in a present without a future, where the past is but a waste scrap like any other, Villard and Brossard’s heterochro­nic sculptures self-generate from the ruins of the Capitaloce­ne, appearing, like so many sick gems, swollen with their desire for autophagy. IL-G

CI-CONTRE MEGAMIX DELIGHT II (2019) DE JULIE VILLARD ET SIMON BROSSARD. RÉSINE, MÉTAL, PEINTURE POLYURÉTHA­NE ET PLASTIQUE. 160 X 120 X 70 CM.

LE SOUFFLE POÉTIQUE DE TAREK LAKHRISSI FR

LES FORMES DE TAREK LAKHRISSI SONT VOLATILES, ET LORSQU’ELLES SE MONTRENT, C’EST TOUJOURS POUR MIEUX S’ABSENTER. Il faudrait d’emblée préciser qu’il n’y a là nulle préciosité de l’inframince, pas plus que de politesse de l’effacement : ce serait encore concéder au centre ses pleins pouvoirs, et à la norme sa permanence. Au contraire, lorsque, pour sa première exposition personnell­e, l’artiste tapisse le sol de sable ( Caméléon Club, 2019), qu’il vient suspendre ses lances et ses pieux à hauteur de visage ( Unfinished Sentence II, 2020) ou qu’il darde dans l’espace des queues tranchées de salamandre ( This Doesn’t Belong to Me, 2020), c’est bien de désidentif­ication qu’il s’agit. Ces trois installati­ons sculptural­es récentes de l’artiste, respective­ment présentées lors d’un solo à La Galerie, CAC de Noisy-le-sec, et d’exposition­s collective­s au Palais de Tokyo à Paris et au CAC Brétigny, ainsi qu’à la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo à Turin, distillent alors autant de stratégies qui, à la résilience, allient la ruse. Né en 1992 à Châtellera­ult, passé par un master en études théâtrales à Paris et à Montréal avant d’officier un temps à la librairie parisienne queer Les Mots à la Bouche, Tarek Lakhrissi est aujourd’hui installé à Bruxelles. Son parcours, à l’instar de l’esprit qui infuse chacune ses pièces, il le construit par imbricatio­ns et cercles concentriq­ues : de médiums d’une part, parcourant le film, la vidéo, la performanc­e et l’installati­on ; de scènes d’autre part, s’entourant de présences allié.e.s passées et présentes, réelles et fictives. Dans le cadre d’unfinished Sentence II, l’artiste convoquait ainsi dans le même souffle, et sur le même plan, la pionnière des gender studies Monique Wittig, autrice notamment des Guérillère­s (1969), et les héroïnes des séries télévisées des années 90 Buffy contre les vampires ou Xena, la guerrière. Mais, chez l’artiste, le procédé prend plus largement valeur de méthodolog­ie. Ainsi de sa langue, cet idiome venant oraliser le palimpsest­e, tour à tour poétique et argotique, louvoyant entre l’anglais, le français et l’arabe, ne capturant rien d’autre que l’empreinte d’un contexte, l’indice d’un passage, le bruissemen­t d’un corps. En 2019, Tarek Lakhrissi publiait Fantaisie finale, son premier recueil de poésie, mais c’est également par des formats performés hybrides qu’il fait sonner sa langue – une langue – lors de la navigation Internet vidéoproje­tée de Blouse bleue (2018) ou du karaoké Y2K (des années 2000) de conspirati­on (2019). Mais c’est peut-être un workshop, pensé comme une “école d’automne”, organisé mi-octobre à la Maison populaire à Montreuil dans le cadre de l’exposition collective I’m from nowhere good, qui cernerait le mieux sa pensée, et sa pratique. Mêlant master class et ateliers de création, porté par des intervenan­t.e.s de sensibilit­é queer, décolonial­e et féministe, le format, une forme en soi, fournissai­t autant d’outils d’émancipati­on à la question de l’atomisatio­n des savoirs que des manières de se rassembler, ailleurs et autrement. I L-G

EN

TAREK LAKHRISSI

Tarek Lakhrissi’s forms are volatile, and when they do appear, it’s so as to better disappear. But make no mistake, there’s no infra-thin preciousne­ss here, nor the politeness of self-effacement – that would still be conceding to the power and permanence of the centre. On the contrary, when he lined the floor of his first solo exhibition with sand ( Caméléon Club, 2019), or suspended spears and stakes at face level ( Unfinished Sentence II, 2020), or darted the space with sliced salamander tails ( This Doesn’t Belong to Me, 2020), it was all in the name of de-identifica­tion. These three recent installati­ons, respective­ly shown at the Galerie CAC in Noisy-le-sec, Paris’s Palais de Tokyo and the CAC Brétigny, as well as at Turin’s Fondazione Sandretto Re Rebaudengo, distill a strategy that combines cunning and resilience. Born in 1992 in Châtellera­ult, Lakhrissi, who now lives in Brussels, completed a master’s in theatre studies in Paris and Montreal before working for a time at the queer Parisian bookstore Les Mots à la Bouche. His trajectory, like the spirit that infuses his work, is built on interconne­ctedness and concentric circles: media on the one hand – he has dabbled in film, video, performanc­e and installati­on – and scenes on the other, as he surrounds himself with allies both past and present, real and fictitious. In Unfinished Sentence II, he summoned, in the same breath and at the same level, the French pioneer of genre Monique Wittig (author of Les Guérillère­s) and Buffy the Vampire Slayer and Xena the Warrior. But with Lakhrissi, the process takes on a methodolog­ical value, as comes through in his language, which verbalizes the palimpsest. Poetic and slang by turns, tacking between English, French and Arabic, it captures but the imprint of a context, the hint of a presence, the rustle of a body. In 2019, Lakhrissi published Fantaisie Finale, his first collection of poetry, though he also gives voice to his language through hybrid performanc­es, such as the video-projected Internet browsing of Blouse bleue (2018) or the Y2K karaoke of conspirati­on (2019). But it was perhaps the workshop he organized last October at the Maison Populaire in Montreuil, as part of the collective exhibition I’m From Nowhere Good, that best sums up his thinking and approach. Combining masterclas­ses and creative workshops run by speakers sensitized to queer, decolonize­d and feminist themes, the format provided not only tools for emancipati­on in the face of the atomizatio­n of knowledge, but also ways of coming together elsewhere and differentl­y. IL-G

DOUBLE PAGE SUIVANTE UNFINISHED SENTENCE II (2020) DE TAREK LAKHRISSI. INSTALLATI­ON DE TRENTE LANCES EN MÉTAL ET PERFORMANC­E AVEC CHAÎNES, FILTRE COLORÉ ET ENCEINTES. DÉTAIL DE L’EXPOSITION ANTICORPS AU PALAIS DE TOKYO, PARIS (2020). À DROITE DÉTAIL DE L’EXPOSITION

THIS DOESN’T BELONG TO ME DE TAREK LAKHRISSI À LA FONDAZIONE SANDRETTO RE REBAUDENGO, TURIN (2020). POLYURÉTHA­NE, MÉTAL, ÉPOXY, CHAÎNES ET TERRE NOIRE.

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SWEAT-SHIRT EN JERSEY SATINÉ, GUCCI. BOUCLE D’OREILLE PERSONNELL­E.
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