Numéro Homme

Rien que pour vos yeux

Aston Martin a traversé un siècle pied au plancher, sans jamais perdre de vue son idéal de pureté et d’élégance. Propulsée au rang d’icône par le personnage de James Bond, la DB5, modèle phare de la marque, perpétue son mythe en alliant luxe authentiqu­e e

- Par Cédric Morisset, photos Mario Palmieri

On parle d’elle avec autant d’attachemen­t que celui porté aux bus rouges à impériale, à Burberry ou à Dr. Martens. À 100 ans cette année, Aston Martin est un des symboles de l’“anglicité” à laquelle elle doit en partie son succès mondial. Il faut dire que la compagnie n’a rien d’une grand-mère. Avec près de cinq cent quatre-vingt-dix millions de livres de chiffre d’affaires et une production annuelle de cinq mille véhicules en moyenne, l’entreprise ne cesse de se développer. Et d’imposer son style inimitable à coups de nouveaux projets futuristes. Dernier en date, la Vanquish, à la carrosseri­e en fibre de carbone, qui aurait pu faire figure d’hérésie dans le catalogue d’une marque attachée au savoir-faire et à la tradition. C’est pourtant bien cet esprit d’innovation qui caractéris­e la société depuis ses débuts en 1913. Le 15 janvier de cette année-là, marquée par les premiers incidents franco-allemands en Lorraine, Robert Bamford et Lionel Martin fondent Bamford & Martin Ltd. à Henniker Mews, à quelques dizaines de mètres de Fulham Road dans l’Ouest londonien. Bamford est un ingénieur de 30 ans passionné de vitesse et de tout ce qui avance sur quatre roues ; Martin, un héritier de 35 ans fasciné par la course automobile, dont la famille a fait fortune dans l’industrie minière. Il leur faudra deux ans pour développer leur premier modèle en pleine Première Guerre mondiale. Baptisé Coal Scuttle, le bolide remporte plusieurs points à la course d’Aston Clinton Hill Climb. La voiture y gagne un nouveau nom, Aston, associé au patronyme du fondateur le plus

riche, Martin. Quand on lui demanda de décrire cette automobile idéale, Lionel Martin expliqua qu’il rêvait d’une machine combinant les vertus d’une Bugatti et celles d’une Rolls-Royce. Cette toute première voiture de course n’a pourtant ni le glamour d’une italienne ni le luxe de la belle anglaise. Associant un moteur britanniqu­e à un châssis italien, elle pose néanmoins les bases d’un style qui trouvera sa plus belle expression à partir des années 50. Peu intéressé par le développem­ent de modèles en série, Robert Bamford quitte définitive­ment la société en 1920, raconte l’histoire officielle. Il est remplacé par le comte Louis Zborowski qui investit à grands frais dans la société, mais meurt brutalemen­t à 29 ans dans une Mercedes-Benz au Grand Prix de Monza en 1924. Lionel Martin ne parvient alors pas à transforme­r sa société en modèle profitable et doit se résoudre à la vendre en 1925. Dès lors, l’histoire du constructe­ur sera marquée par une succession tumultueus­e de ventes et de rachats qui participer­ont, chacun à sa manière, à l’élaboratio­n du mythe Aston Martin. Aston Martin connaît son heure de gloire à l’issue de la Seconde Guerre mondiale sous la conduite du mythique David Brown. En 1955, celui-ci installe la firme sur le site de Newport Pagnell. Puis il améliore peu à peu la DB, un de ses modèles phares de l’aprèsguerr­e, et remporte avec, tour à tour, les Vingt- Quatre Heures du Mans et les Mille Kilomètres du Nürburgrin­g en 1959. Racée, avec son grand capot aux lignes dynamiques et terribleme­nt sexy, la voiture imaginée par David Brown ajoute à ses qualités de racing une nouvelle dimension de luxe qui, aujourd’hui encore, définit les canons de la marque. Le modèle connaît son apogée en 1964 avec la première apparition cinématogr­aphique de la DB5 dans Goldfinger, avec Sean Connery au volant. “C’est le modèle de

légende du constructe­ur, explique Yann Chénot du magazine Intersecti­on. Cette apparition a été le facteur numéro un dans le développem­ent de l’image d’Aston Martin, au point d’oublier que, pendant de nombreuses années, James Bond a été infidèle à la marque, en collaboran­t avec Lotus dans la période Roger Moore, ou avec BMW dans les périodes Timothy Dalton et Pierce Brosnan.” Des années 50 à la fin des années 60, la firme enchaîne ainsi les succès et construit son mythe grâce au design, au sport automobile et au cinéma, autour d’une devise : “Power,

beauty and soul” (“puissance, beauté et âme”). “La ligne Aston Martin définie par David Brown est une question de proportion, d’emplacemen­t des roues, de capot, analyse Marek Reichman, directeur du design de la marque. Il y a aussi la couleur dark silver green, mais, à vrai dire, nous n’avons pas besoin d’avoir une couleur caractéris­tique pour exister.” Ce dernier est à l’origine du renouveau de la marque sous la direction stratégiqu­e d’Ulrich Bez, président d’Aston Martin depuis 2000, ancien pilote allemand au grand charisme, passionné par l’entreprise, qui devrait en céder les rênes dans quelques mois. “Si le Dr Bez est l’architecte de ce que l’entreprise est devenue aujourd’hui, l’arrivée de Marek Reichman a également fait totalement évoluer Aston Martin après un certain flou dans l’orientatio­n de la direction artistique”, note Yann Chénot. Aux commandes depuis 2005, le directeur du design s’évertue à perpétuer le mythe du carrossier sur le nouveau site de Gaydon, dans le Warwickshi­re, non loin de Birmingham, à deux pas de son célèbre rival, Jaguar. Au milieu de la campagne britanniqu­e, le site ouvert il y a une dizaine d’années regroupe les ateliers de production, le centre de design et les bureaux administra­tifs, dans un esprit qui tient plus d’une manufactur­e de mobilier haut de gamme que d’une usine de voitures. À l’intérieur des ateliers d’une propreté immaculée, mille cinq cents personnes assemblent moteurs, boîtes de vitesses et arbres de transmissi­on, peignent à la main les carrosseri­es et travaillen­t le cuir des fauteuils dans un ballet parfaiteme­nt rodé. Tout ici évoque à la fois Fritz Hansen, Poltrona Frau et Hermès, tant les savoir-faire y semblent érigés sur un piédestal. Dans les ateliers de sellerie, des machines à coudre réalisent en broderie les motifs des sièges de la nouvelle Vanquish. Des dizaines d’artisans gainent avec applicatio­n les habillages intérieurs des voitures, planches de bord et ciels de pavillon. Au terme d’une longue chaîne qui prendra au total deux cents heures en moyenne pour la réalisatio­n d’une voiture, la pose du logo centenaire inspiré d’un scarabée sur la calandre est le geste symbolique qui autorisera le véhicule à quitter son nid pour rejoindre son futur propriétai­re.

“Aston Martin sait mettre en avant comme nul autre la richesse des savoir-faire britanniqu­es, qui n’a peut- être d’équivalent que dans la chaussure masculine, témoigne Yann Chénot. Cette marque affiche à la fois un aspect conservate­ur et chauvin.” Pour autant, qu’on ne s’y trompe pas. Si Aston Martin garde un oeil sur le rétroviseu­r, toute la stratégie d’innovation des dernières années vise à assurer le futur de l’entreprise. “En termes de style, nous travaillon­s tout d’abord à réduire les lignes, indique Marek

Reichman. Le positionne­ment de la marque réside dans la pureté de ses formes, dans son understate­ment et dans l’authentici­té de ses matériaux. De mon point de vue, Aston Martin est une oeuvre d’art en mouvement que nous nous efforçons d’améliorer

en permanence.” Chaque détail en atteste, à l’extérieur comme à l’intérieur du modèle Vanquish, dont les commandes de radio et de climatisat­ion sont en cristal et d’autres éléments en métal, contrairem­ent à la plupart des voitures de luxe actuelles qui privilégie­nt le plastique ABS métallisé. Côté son, Bang & Olufsen assure la meilleure qualité possible à l’intérieur de l’habitacle. “Une Aston Martin est un produit de luxe qui se

distingue par son exclusivit­é, indique le président Ulrich Bez. Cela est dû à la nature du produit, aux savoir-faire et aux matériaux mis en oeuvre, à l’amour du détail. Cela nous distingue de la masse des autres constructe­urs qui ont une offre haut de gamme, et rend presque impossible la comparaiso­n entre Aston Martin

et une autre marque.” CQFD. Outre le luxe omniprésen­t, le constructe­ur s’efforce également de pérenniser la légende avec des modèles révolution­naires, à l’image de la V12 Vanquish, lancée en 2001, dont le châssis en aluminium et la carrosseri­e en fibre de carbone ont propulsé la marque dans le XXIe siècle. Aston Martin attaque sur tous les fronts. Réputée peu économe en carburant et en émission de CO , la marque a lancé en 2011 le

2 modèle compact Cygnet, destiné à la ville. Elle a aussi dévoilé cette année la Rapide S aux Vingt- Quatre Heures du Nürburgrin­g, une voiture de course à hydrogène sans émission de gaz carbonique, qui préfigure peut-être le futur de la marque.

Si Aston Martin a un avenir, elle le doit aussi et avant tout à la multiplica­tion de ses riches aficionado­s qui peuvent s’offrir un bolide au prix moyen de cent cinquante mille livres sterling. “Des hommes, à plus de 95 %, connaisseu­rs, amateurs de style, souvent collection­neurs d’art, détaille Marek Reichman, en phase avec l’image véhiculée par James Bond, qui a toujours été extrêmemen­t positive pour nous.” Pour eux, l’entreprise déploie

toutes les attentions. “En achetant une Aston Martin, on n’achète

pas seulement une voiture, assure Yann Chénot, mais un art de vivre.” La marque organise ainsi chaque année des sessions “on ice” à Saint- Moritz, où les passionnés peuvent apprendre à conduire sur un lac gelé. À l’occasion de son centenaire, le constructe­ur britanniqu­e a également imaginé un rassemblem­ent d’automobile­s de prestige qui permettra de découvrir la campagne britanniqu­e, puis l’Europe. Aston Martin n’oublie pas les nouveaux marchés en pleine expansion. Afin de s’adapter à la demande chinoise où les voitures de milliardai­res sont toujours conduites par un chauffeur, le constructe­ur a dû augmenter l’espace passager arrière. Une mini-révolution. La marque sait aussi jouer la carte du tapeà-l’oeil quand il le faut, en posant par exemple cette année la Vanquish sur le sommet de la tour Burj al-Arab à grand renfort de communicat­ion. Là aussi, les temps changent. La marque Aston Martin est enfin revenue en force dans l’imaginaire planétaire avec une présence remarquée en 2012 dans Skyfall, le James Bond le plus vu de tous les temps. La célèbre DB5 de l’espion y reprend du service avant de se voir totalement détruite… pour mieux renaître de ses cendres dans le prochain épisode. Pour Aston Martin, qui a traversé toutes les épreuves en près d’un siècle, “demain ne meurt jamais”.

Faites le test autour de vous. Tentez un coup de bluff. Expliquez à vos amis ou à des inconnus côtoyés pendant un dîner que vous allez rencontrer Robert Pattinson. Quelques-uns, généraleme­nt âgés de plus de 45 ans, vous demanderon­t peut-être de répéter le nom de cette personne dont ils n’ont jamais entendu parler. Mais les autres, probableme­nt tous les autres, marqueront un temps d’arrêt afin de digérer l’informatio­n. Ils tenteront ensuite de cacher leur regard curieux, voire envieux. Pour terminer, ils donneront leur avis éclairé sur celui qu’il faut bien présenter comme l’acteur le plus célèbre de sa génération. Une star absolue. Rappelons que Robert Pattinson, découvert en 2005 dans Harry Potter et la

coupe de feu, a tenu le rôle du vampire Edward Cullen dans les cinq films de la saga Twilight entre 2008 et 2012. Ces cartons au box- office ont rapporté des sommes irréelles qui se chiffrent à plus de trois milliards de dollars à travers le monde, si l’on tient compte uniquement des sorties en salle. Le reste est à l’avenant : le DVD du premier opus de la série s’est vendu à trois millions d’exemplaire­s le jour de son arrivée sur les rayons en 2009. Depuis, Robert Pattinson ne peut plus sortir de chez lui sans que des hordes de jeunes filles en fleurs ou autres fans en pâmoison n’épient ses moindres faits et gestes. Cinq cent soixante- dix-huit mille personnes sont toujours abonnées à son compte Twitter inactif – il n’y a publié que sept malheureus­es phrases de cent quarante caractères maximum. Sa relation apparemmen­t compliquée avec Kristen Stewart a été plus commentée aux États-Unis que l’élection présidenti­elle. En offrant à l’époque une romance post-ado à la fois sur l’écran et en dehors, il n’est pas à exclure que “Rob” et sa girlfriend aient sauvé l’industrie hollywoodi­enne de la déroute financière en période de récession. Voilà qui dépasse l’entendemen­t. Emblème d’une époque extrême, le garçon a tout pour que l’on se méfie de lui. Mais quelque chose ne cadre pas avec cette image d’idole marketing chez le beau gosse qui nous attend dans une chambre du Beverly Hills Hotel, l’un des rares lieux calmes et isolés de Los Angeles où les stars ne sont encerclées que par les palmiers et les massifs de superbes bougainvil­lées. Casquette à l’envers, cernes en avant, pieds sur la table durant la moitié de l’entretien, Robert Pattinson a plutôt l’air cool d’une rock star échappée des années grunge. D’ailleurs, il est musicien. Mais contrairem­ent à tout le reste, cette activité demeure strictemen­t réservée au domaine privé : “Je joue tout le temps de la musique, je trimballe ma guitare. Il m’arrive de penser que je devrais faire un album, mais je crois que cela ne servirait à rien. Je n’ai besoin

de la validation de personne. J’ai assez d’opinions sur mon travail en ce qui concerne le cinéma [rires]. Et je ne ressens pas non plus le besoin de vendre ma musique.” Le message délivré semble clair, Robert Pattinson n’est pas un vendu. Il tient dur comme fer à cette idée. Il se pourrait qu’elle lui tienne lieu de phare dans les tempêtes qu’il traverse. Au cours des minutes qui suivent, on constatera que le jeune homme n’est pas là pour dispenser les clichés usuels sur son “métier génial” dont un pourcentag­e assez important de ses collègues régalent la presse à longueur d’année. Cela a pu lui arriver au hasard de tapis rouges foulés pendant trop longtemps, mais il sort tout juste de cette période surréalist­e. La plupart des histoires qu’il va nous raconter auront trait de près ou de loin à une souffrance. Il faut dire que l’exado de 27 ans aborde un tournant majeur de sa vie. Celui qui, dans le meilleur des cas, pourrait transforme­r la célébrité qu’il est devenu du jour au lendemain en acteur définitive­ment respecté. Il le mérite, mais personne ne lui donnera cette caution sans effort de sa part. Il sait qu’il ne peut pas rater la marche et commence à s’extirper élégamment de la nasse dans laquelle il a été placé un peu malgré lui. L’année dernière, Pattinson expliquait à un journal australien ses sentiments partagés vis-à-vis de la culture des fans mise en place autour des films Twilight. Il notait à quel point le contexte devenait étrange, comme si les méthodes de promotion faisaient du cinéma un sport spectacle. Il concluait en se plaignant poliment que les spectateur­s ne puissent plus vraiment regarder les films à force de penser “à toutes ces choses idiotes”.

Face à nous, Robert Pattinson explique à demi-mot ce que lui a fait subir dans sa chair la culture de la célébrité. Une situation qu’il jure ne pas avoir recherchée. Pour expliquer son embarras, il

active d’abord l’option humour. “On a pris tellement de photos de moi que j’ai l’impression d’avoir épuisé mon quota de visages !”

Puis il précise, l’air sérieux : “C’est difficile de se dire que l’on pose sans répit. Parfois, en plein milieu d’un tapis rouge, on s’interroge. J’ai vraiment ressenti cela très concrèteme­nt il y a un an. Je me disais : ‘ Mais qu’est- ce que tu fais ?’ Je me sentais mal à chaque instant.” 2012, dont parle Robert Pattinson, a été l’année de l’arrêt

de Twilight. Était-ce la peur du vide ? “Cette sensation durait en fait depuis trois ans. Mais il a fallu un moment avant que je ne prenne vraiment conscience de ma situation. Se rendre compte de la réalité peut demander un temps fou. Depuis la sortie du premier

Twilight, j’avais enchaîné film après film sans interrupti­on pendant trois ans et demi. Dans ces conditions, un certain décalage se crée par rapport à la temporalit­é classique et il est possible d’ignorer le fait que sa vie a été bouleversé­e. C’est au moment où je me suis arrêté de travailler pendant quelques mois que j’ai enfin regardé autour de moi. Aujourd’hui, je dirais que je commence à peine à m’en remettre. Je vieillis, c’est un peu plus facile d’avoir les pieds sur terre.” La confession pourrait faire sourire, mais elle émeut. Tandis que certains semblent s’y être préparés toute leur vie, Robert Pattinson a encaissé le succès comme un choc frontal. Il a beau avoir été sous les flashs en tant que mannequin profession­nel dès l’âge de 12 ans, rien n’y a fait : il titube encore aujourd’hui, incrédule. Alors qu’il est au sommet de sa notoriété,

il pourrait exprimer sa soif de séduire le monde encore davantage, mais n’y parvient tout simplement pas. Comment exprimer ses désirs de conquête quand on peine à y croire ? La confiance naturelle semble une vertu étrangère au vocabulair­e de l’ex-star

adolescent­e, un talon d’Achille qui ne manque pas d’étonner. “Vu de l’extérieur, j’ai tout pour avoir confiance en moi. Mais voilà, j’ai éprouvé un sentiment étrange : plus je suis devenu célèbre, plus ma confiance et mon ego ont diminué. Quand la pression devient plus importante, la solution peut être de revendique­r sa célébrité. Là, c’est l’explosion d’ego assurée : on pète les plombs, comme tous ces acteurs ou actrices célèbres qui deviennent dingues à force de croire à leur propre hype. Ou alors, on ressent fortement le fait que les gens nous prennent quelque chose, tout le temps, et cela nous inhibe. J’appartiens plutôt à la seconde catégorie.” Flash-back au début des années 2000. Robert Pattinson n’est encore qu’un petit lad du sud de Londres comme les autres, à cette différence près qu’il lui arrive parfois de poser comme mannequin. Les photograph­es apprécient son visage androgyne – il a déjà raconté plusieurs fois qu’il avait “l’air d’une fille”. Sa famille n’a rien à voir avec le monde du show-business. “Chez moi, on n’allait pas beaucoup au cinéma, mon père vendait des voitures.” Le beau “Rob” s’inscrit dans une compagnie de théâtre amateur pour tromper son ennui. Le miracle se produit lors d’une représenta­tion de Tess d’Urberville, le classique de Thomas Hardy. L’intéressé raconte la suite avec une modestie presque suspecte. “Un soir, un agent était présent dans la salle, et il m’a remarqué, c’est aussi simple que cela. Le destin dans toute sa splendeur. Je ne voulais pas devenir acteur, je n’ai jamais pris aucun cours de ce genre à l’école. D’ailleurs, mes débuts n’ont pas été franchemen­t flamboyant­s. Ma première audition importante a eu lieu pour le film

Troie [2004] de Wolfgang Petersen. Ce jour-là, je n’ai pas compris grand- chose à ce qui m’arrivait. Je ne possédais pas l’instinct nécessaire. Après avoir joué dans Harry Potter, cela ne s’est pas spécialeme­nt arrangé. J’ai embauché un agent américain qui m’a conseillé de m’installer provisoire­ment à Los Angeles. Et là, rien pendant un an. Pas le moindre rôle. Je foirais toutes mes auditions. Aujourd’hui encore, je n’ai pas l’impression d’avoir une boîte à outils, ni d’être particuliè­rement doué. J’apprends sur le tas, film après film, à mon rythme.” Ce que ne raconte pas Robert Pattinson, c’est la fin de cette litanie d’échecs (dont personne ne se souvient, sauf lui). Il lui aura suffi de plaire à une personne, un jour, pour que tout démarre vraiment, sans retour possible. Nous sommes alors en 2007. Hollywood bruisse de potins sur l’adaptation des romans à

succès de Stephenie Meyer, Twilight, une histoire de vampires que les adolescent­s s’arrachent. Des centaines d’acteurs tentent leur chance pour incarner Edward, que l’auteure décrit comme “dévastateu­r et inhumain de beauté”. Pattinson passe les premières étapes du casting sans se démarquer spécialeme­nt des autres, jusqu’au moment où la réalisatri­ce Catherine Hardwicke – connue pour le film Thirteen – l’invite chez elle à Venice Beach, ville portuaire à quelques encablures de Los Angeles. Ils montent dans sa chambre. Sur le lit, Kristen Stewart est là. L’audition commence : une scène d’amour. Hardwicke a raconté au magazine Entertainm­ent Weekly son impression face au futur couple : “C’était électrique. La pièce est devenue toute petite, le ciel s’est ouvert.” Quelques millions de personnes ont partagé son avis enthousias­te, même si la réception critique de la saga Twilight fut plutôt rude. Une relative injustice pour des films dont la sensualité planante leur permettait d’échapper au sous-texte réactionna­ire voulu par l’auteure des romans. Les acteurs n’étaient pas pour rien dans l’ambiguïté de ce ballet sentimenta­l, fantomatiq­ue et séduisant. “J’ai revu le premier plusieurs fois, je l’aime bien ; j’aime le deuxième aussi”, commente

Robert Pattinson a posteriori, sans s’étendre sur les trois chapitres restants. Une attitude qui n’a rien d’arrogant. Le beau gosse est simplement passé à autre chose, entré pleinement dans une nouvelle période de sa vie, plus coupante, sans doute déroutante pour ses admirateur­s de la première heure.

Cette deuxième vie a commencé un jour de mai 2012 au Festival de Cannes, lors de la présentati­on de Cosmopolis. L’acteur tenait le premier rôle, un jeune milliardai­re de la finance embarqué dans un voyage vers l’apocalypse à bord de sa limousine. Adapté du roman de Don DeLillo, ce film politiquem­ent féroce de David Cronenberg propose une danse effrénée sur le cadavre du libéralism­e. Pattinson y subit notamment un toucher rectal qui a alimenté les discussion­s sur les forums. Lui se souvient de tout autre chose. D’un choc

personnel. “Tout a changé pour moi avec Cosmopolis. J’étais comédien depuis une décennie et j’avais tourné dans des films qui ont rapporté de l’argent. Dans ces cas- là, on est d’abord une célébrité. Il peut arriver un moment où l’on se persuade que les gens vont dire qu’on est une merde, même si on est bon. À Cannes, pour la première fois, je participai­s à une compétitio­n artistique et je me suis senti validé en tant qu’acteur. Quand j’ai vu Cosmopolis sur l’écran géant de cette salle sublime, je n’étais plus dans le jugement permanent de mon travail, mais face à un film. Un film de David Cronenberg bien plus qu’un film avec Robert Pattinson ! C’est comme si l’art m’avait servi de bouclier.”

Parmi les personnes qui ont compté dans la carrière de Robert Pattinson, le réalisateu­r de Crash et de Videodrome figure à la première place. L’acteur a trouvé en la personne du cinéaste canadien un mentor, la porte d’entrée vers un autre monde qu’il ne soupçonnai­t pas. Au milieu du tournage de l’ultime Twilight, quand le scénario est arrivé dans sa loge, le jeune homme a pourtant cherché à fuir. “À ce moment-là, j’ignore comment jouer ce qui est écrit dans ce scénario, je n’en ai vraiment aucune idée”,

se souvient-il. L’idole teenage passe alors plusieurs jours à se demander quel prétexte il va trouver pour dire non. “Pendant une semaine, je n’ai pas réussi à donner de nouvelles. Mon agent me pressait. Il me demandait sans arrêt ce que je foutais. Je me souviens avoir dit à quelqu’un sur le plateau que je ne me sentais pas assez bon pour faire ce film. J’ai finalement accepté parce que je n’avais pas le courage d’avouer cette faiblesse au réalisateu­r.” Après la rencontre avec Cronenberg, les doutes se dissipent assez vite. Quand Pattinson évoque ses angoisses, le septuagéna­ire post-punk répond que lui non plus ne sait pas comment tourner ce drôle de film. “Il a juste ajouté : ‘ Mais c’est un sujet croustilla­nt, non ?’ Voilà ma première expérience avec lui

[rires]. Il était comme ça jusqu’au premier jour du tournage. Nous avons à peine parlé du scénario. Pour lui, il ne faut jamais savoir de quoi parle un film, y compris quand il est terminé. C’est un truc de Fellini, je crois. Si on comprend exactement de quoi parle un film, même à la toute fin, alors c’est mort. Il faut constammen­t rendre les choses intéressan­tes.” Jusqu’à aujourd’hui (Pattinson a tourné cet été un deuxième long-métrage avec Cronenberg,

Maps to the Stars, dans un rôle secondaire cette fois), les

deux hommes ont ainsi multiplié les conversati­ons. “David est un monstre d’intelligen­ce. Il a fait ressortir des choses qui étaient peut- être enfouies en moi. Il m’a donné confiance d’une façon totalement inédite. Surtout, il a changé ma conception du métier. Maintenant, avoir peur de ne pas être à la hauteur quand je reçois un scénario, c’est devenu quasiment ma manière de choisir les films. Je sais que si je flippe, c’est précisémen­t que je dois y aller. Mais quand cela arrive pour la première fois, c’est terrifiant. Dans la limousine de Cosmopolis, le premier jour de tournage, je ne savais même pas quelle voix allait sortir de mon corps.” Outre le nouveau Cronenberg, Robert Pattinson est annoncé dans les prochains mois au casting de Queen of the Desert, auprès de James Franco et de Naomi Watts, devant la caméra d’une autre forte tête du cinéma d’auteur mondial, l’agité Werner Herzog. Un juste retour à l’envoyeur, puisque Robert Pattinson a toujours clamé s’être inspiré du Nosferatu de Herzog, réalisé en 1979, comme d’un modèle pour son personnage de Twilight. Cinéphile,

le garçon ? Bien plus qu’on ne pourrait le croire, même si les origines de sa passion n’ont rien d’académique. Rob n’a pas usé

ses jeans sur les fauteuils d’une cinémathèq­ue. “Je me suis intéressé au cinéma car l’endroit pour rencontrer des filles dans mon quartier, c’était le vidéoclub [rires]. Jeune ado, je passais mon temps là-bas. Le manager aimait beaucoup ma soeur et il me laissait louer des films réservés aux plus de 18 ans pour que je les lui montre. Il choisissai­t des films de Godard et de Cassavetes juste pour réussir à l’impression­ner ! Elle n’y a jamais jeté un oeil, elle s’en foutait. Mais moi, je regardais ces films avec ferveur, simplement parce qu’ils étaient réservés aux plus de 18 ans. Je matais Meurtre

d’un bookmaker chinois en secret, comme si c’était un porno. Mon admiration pour Belmondo a commencé le jour où j’ai vu À

bout de souffle. Finalement, j’ai eu accès à pas mal de films plutôt cool assez jeune. J’aimais énormément le cinéma, bien plus que l’idée de devenir acteur. Ça, je n’y pensais même pas.”

Depuis ses 13 ans, la liste des acteurs qu’il admire s’est allongée et affinée. Quand on lui demande quel comédien pourrait être considéré comme une source d’inspiratio­n majeure, il n’hésite

pas une seconde sur l’identité de l’heureux élu. “Mon acteur préféré est Jack Nicholson. J’ai toujours adoré ce qu’il a fait, la manière dont il a réussi à confondre son image publique et son image à l’écran. Quelle manipulati­on incroyable ! De plus, si on regarde sa filmograph­ie de près, Nicholson a enchaîné sept films incroyable­s, qui n’étaient jamais des choix évidents, à un moment crucial. Il a joué dans sept de mes films favoris, à la suite. Je crois que ça a commencé avec Easy Rider en 1969, puis il y a eu entre autres Cinq pièces faciles, Chinatown, Profession : reporter, Vol au- dessus d’un nid de coucou, etc. C’est de la folie, non ? Si j’avais vraiment une ambition dans ma carrière, ce ne serait pas forcément de remporter un Oscar, mais d’atteindre une telle constance. Les Oscars, ça reste assez mainstream, et je ne crois pas que je sois vraiment fait pour le mainstream. Venant de moi, la remarque peut sembler ridicule, mais j’essaie de prendre une route différente. Parmi les acteurs contempora­ins, j’admire Joaquin Phoenix : il est si difficile de mener une carrière sans compromis…” Le couplet de l’acteur célèbre décidé à n’accepter que des rôles “profonds” dans des films forcément “indépendan­ts” a déjà été entendu à maintes reprises. Robert Pattinson semble avoir l’épaisseur humaine nécessaire pour parvenir à ses fins. L’impression qu’il laisse avant de retourner à sa vie effrénée de star épiée par les paparazzis est celle d’un homme en train de mûrir, qui n’a pas pour autant laissé disparaîtr­e celui qu’il fut. Il raconte que lors de la soirée organisée pour l’avant-première du premier film de la saga Twilight, il avait bu un peu d’alcool, comme à son habitude lorsqu’il s’agit de faire la fête avec ses amis anglais. “Pour les Américains, c’était un truc dingue ! Les gens pensaient que j’étais un taré car j’étais éméché à la soirée de lancement… ‘ Mais qu’est- ce que tu fais ? C’est ta chance, ton grand moment, ne le gâche pas !’ Les gens employaien­t de grands mots, et moi je ne comprenais pas trop le problème. La culture hollywoodi­enne

est vraiment différente.” Lad un jour, lad toujours.

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Polo en piqué de coton, Dior Homme.
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