Numéro Homme

Le culte de la jeunesse

- Par Jamie Hawkeswort­h, texte Marcela Iacub

Il y a deux manières de considérer le culte de la jeunesse aussi bien pour les hommes que pour les femmes. La première est une forme de révolte contre la politique des âges, c’est-à-dire contre ce qu’un individu est censé faire, penser et désirer selon qu’il soit jeune ou vieux. Tomber amoureux, changer de métier, enfanter, aspirer à certains postes, se découvrir une vocation artistique ou autre, ce sont des situations ou des décisions que l’on attribue à la jeunesse. Comme si chaque époque de la vie devait être normée selon des règles qui n’ont d’autre rationalit­é que celle de l’habitude ou des préjugés. Le fait de se révolter contre de telles normes est aussi réjouissan­t que de refuser d’être amoindri par nos pairs du fait que nous soyons femmes, noirs, étrangers, musulmans. Notre société rejette et maltraite les vieux et elle les tue socialemen­t bien avant que la mort ne les emporte. Affirmer le droit à la vie, avec toutes les émotions, les joies, les tristesses, les passions et les déceptions qu’elle comporte à n’importe quel âge, est beau comme toute rébellion contre les forces qui cherchent à nous asservir et à nous anéantir. Le culte de la jeunesse peut être ainsi une manière de nommer cette rébellion et d’affirmer que jusqu’à notre mort tous les possibles ou presque nous restent ouverts. La seconde manière de considérer le culte de la jeunesse est moins une révolte qu’une forme de mauvaise foi. Ce n’est pas une manière de s’affirmer comme être vivant à n’importe quel âge mais plutôt de faire croire aux autres et à soi-même qu’on n’a pas l’âge que l’on a. Que, à la différence de ce qui arrive à la plupart des êtres humains, le temps ne nous ravage pas. Comme si le fait de vieillir était un malheur que l’on peut dissimuler si l’on est malin. Chez les hommes cette mauvaise foi prend d’autres formes que chez les femmes. Alors que ces dernières font appel à la chirurgie esthétique, les hommes cherchent des femmes beaucoup plus jeunes qu’eux. Avoir le sentiment qu’ils peuvent satisfaire sexuelleme­nt de telles femmes est pour eux le signe que la vieillesse ne les a pas terrassés. Et leur plus grand bonheur consiste à ce que leurs compagnes de vingt, trente ou quarante ans de moins leur disent : “Non, tu n’es pas vieux, tu es merveilleu­x.” “Non, tu n’es pas moche, tu n’es pas impuissant. Tu bandes comme si tu avais 20 ans.” Et ils ne veulent surtout pas penser que ces jeunes créatures sont avec eux parce qu’ils sont riches et socialemen­t puissants mais parce qu’ils sont de vrais mâles qui les font jouir comme personne ne les avait fait jouir auparavant. Deux raisons principale­s sont à l’origine de l’essor de cette mauvaise foi masculine. La première, c’est l’instabilit­é matrimonia­le. C’est ainsi que de vieux messieurs quittent leurs vieilles épouses et se remplissen­t de bébés qui crient et qui demandent leur papa, au lieu de profiter tranquille­ment de la paix ou tout au moins du silence domestique. Le tout observé par les enfants adultes des vieux messieurs, qui sont parents à leur tour et qui considèren­t ces situations soit avec la haine des héritiers bafoués, soit avec une sorte de pitié envers un père qui n’arrive pas à assumer son âge. La seconde raison est l’attitude d’un grand nombre de femmes quant au choix de leur conjoint. En dépit de l’égalité acquise qui devrait faire d’elles des êtres autonomes, en dépit de la révolution des moeurs qui aurait dû renforcer leur position de sujets sexuels désirants, les femmes continuent à échanger leur pouvoir sexuel contre des situations économique­s et sociales avantageus­es. Ainsi cette mauvaise foi masculine trouve dans nos moeurs des ressources solides pour se nourrir. Pourtant, la mauvaise foi n’est pas quelque chose de facile à gérer. Elle nécessite un travail de dénégation, d’aveuglemen­t, d’oubli, qui ne peut qu’échouer de temps à autre, de sorte que ces vieux messieurs se trouvent obligés de se confronter avec les douleurs de la vérité. Et celles-là sont chez les hommes aussi horribles à contempler que le visage saccagé des femmes par les chirurgies esthétique­s rajeunissa­ntes. Ils comprennen­t dans ces interstice­s de lucidité qu’en dépit du Viagra ils bandent mou et que leurs jeunes compagnes rêveraient de plaisirs plus implacable­s que ceux qu’ils leur procurent. C’est alors que non seulement ils se sentent vieux, mais aussi pathétique­s et honteux. Alors que ces pauvres imbéciles pourraient être des révoltés, des papis heureux, divinement fiers d’être vieux.

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