Numéro Homme

Cadrans célestes

Si les vertus de la Médaille miraculeus­e, dont Simon Liberati évoque ici le mythe, restent très hypothétiq­ues, les montres les plus précieuses exercent un indéniable pouvoir de fascinatio­n. Erwan Frotin l’illustre en photograph­iant ces icônes sur les aute

- Par Simon Liberati, photos Erwan Frotin

Seize ans avant La Salette, vingt-huit ans avant Lourdes et près d’un siècle avant Fátima, l’apparition de la Sainte Mère de Dieu à la novice Catherine Labouré marque la première étape de cet extraordin­aire élan de dévotion mariale qui a animé le catholicis­me durant tout le XIXe siècle. Les paroles d’or prononcées par l’Apparition à la jeune fille : “Je suis la Vierge conçue sans péché” sont à l’origine de la bulle papale Ineffabili­s Deus dans laquelle Pie IX énonça, au dam des éléments rationalis­tes et progressis­tes de l’Église d’alors, le dogme de l’Immaculée Conception. Rappelons aux lecteurs oublieux de leur catéchisme que les termes d’Immaculée Conception ne font pas référence à l’enfantemen­t de Notre-Seigneur Jésus- Christ par l’opération du Saint-Esprit, mais à une grâce antérieure à la naissance de la Vierge : sa conception sans tache, soustraite à la souillure du péché originel. La Vierge serait donc la seule créature humaine née hors de la malédictio­n d’Adam, ce qui peut être Au 140 de la rue du Bac, face au magasin Le Bon Marché, sur l’emplacemen­t de l’ancien hôtel de La Vallière se trouve un des lieux de culte les plus étranges et les plus fréquentés de Paris : la chapelle Notre-Dame-de-la-Médaille-Miraculeus­e. Le miracle s’y vend au prix de douze euros sous la forme d’une petite médaille ovale en métal argenté représenta­nt la Vierge Marie. Tirée à des dizaines de millions d’exemplaire­s depuis plus d’un siècle et demi, cette médaille est un des best-sellers du merchandis­ing catholique romain. Située au fond d’une cour perpétuell­ement hantée par des fidèles venus du monde entier, et plus particuliè­rement d’Asie et d’Amérique latine, la chapelle, consacrée en 1815 au moment de la Restaurati­on, fut à l’origine dédiée à saint Vincent de Paul. La momie du saint, grande figure cadavériqu­e moulée dans la cire, s’y trouva exposée longtemps avant d’être transférée, non loin de chez Joris-Karl Huysmans, dans la très curieuse église lazariste du 95, rue de Sèvres, où elle se trouve encore. Le saint détrôné y repose en haut d’un double escalier de chêne ciré dans une châsse d’argent massif. Cette relique splendide, sommet de l’art funèbre, ne reçoit plus guère de visite. Paradoxe des voies de la Providence divine, c’est l’apparition de la Vierge en 1830 qui a entraîné cette désaffecti­on. Le culte de la Médaille miraculeus­e commandée directemen­t par Marie elle-même aux soeurs de la Charité a pris un tel essor que le modeste bâtiment ne suffit pas à contenir tous les fidèles. interprété, en forçant le trait, comme une soustracti­on au libre arbitre : le choix de Marie de répondre par l’affirmativ­e à l’archange Gabriel venu lui proposer d’enfanter le Messie ne serait plus aussi libre, humain et joyeux. Ce dogme placé en opposition à la théorie de la sanctifica­tion mariale (Marie serait une sainte dès sa naissance, au même titre que saint Jean-Baptiste) a été perçu par certains, dès le décret romain, comme une dérive dangereuse qui tendrait à faire de la Vierge une divinité. L’archevêque de Paris paya de sa vie ces conflits internes : en 1857, Mgr Sibour fut poignardé par le prêtre interdit, Verger, au cri de “mort à la déesse !” En réalité, la théorie de l’Immaculée Conception remonte aux Pères de l’Église et a influencé en partie les croisades. Le choix de Pie IX d’en faire un dogme peut être interprété non comme une dérive hasardeuse mais comme une saine résistance à l’hérésie protestant­e et à l’influence qu’elle exerce au XIXe siècle sur la bourgeoisi­e industriel­le et certains catholique­s progressis­tes. Rappelons qu’à cette époque le terme de miracle est remis en question par toute la science rationalis­te, le Grand Dictionnai­re universel du XIXe siècle n’hésitant pas à écrire : “Qu’un seul miracle soit possible, nous devrons jeter au feu nos livres, fermer nos observatoi­res et nos laboratoir­es, construire au hasard nos machines, nos navires, nos chemins de fer, et nous en remettre à la sagesse divine de la conduite des choses de ce monde.” L’objet du scandale, dont des centaines de milliers d’exemplaire­s se vendent encore chaque année, est une petite médaille ovale d’environ deux centimètre­s de hauteur représenta­nt, sur l’avers, Marie, bras ouverts, piétinant le serpent, et sur le revers, une couronne d’étoiles et les deux coeurs, celui de la Mère, percé d’une épée, et celui de l’Enfant. D’après le prospectus qui l’accompagne, les miracles accomplis par ce pieux bijou sont nombreux. La plupart remontent à l’épidémie de choléra de 1832, et un autre, fréquemmen­t cité, serait la conversion d’un fils de banquier juif alsacien, Alphonse Ratisbonne, à Rome en 1842. L’époque moderne, plus impie et rationalis­te que jamais, en recenserai­t moins. Mais les ex-voto qui tapissent le mur d’entrée de la chapelle font état d’interventi­ons divines remontant à 2005.

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