Numéro Homme

Rétromania.

Élevés loin des grandes villes et biberonnés par leur père batteur à la discograph­ie complète des Beatles, les frères D’Addario ont grandi en se sentant totalement étrangers à leurs contempora­ins. Aujourd’hui, Michael et Brian sont les Lemon Twigs, auteur

- propos recueillis par Éric Dahan, portraits Jean- Baptiste Mondino

Élevés loin des grandes villes et biberonnés par leur père batteur à la discograph­ie complète des Beatles, les frères D’Addario ont grandi en se sentant totalement étrangers à leurs contempora­ins. Aujourd’hui, Michael et Brian sont les Lemon Twigs, auteurs d’un album remarqué qui exhume avec exactitude le son rétro de leurs idoles. Propos recueillis par Éric Dahan, portraits Jean- Baptiste Mondino

La sortie de Do Hollywood à l’automne 2016 a permis à la critique rock, espèce et genre en voie d’extinction, de s’enthousias­mer au- delà du raisonnabl­e. Pensez donc, deux petits gars de moins de 20 ans habillés en total glam et qui citent les Beatles, les Beach Boys, Utopia, Neil Young et Big Star à grand renfort de synthétise­urs Moog et de pianos électrique­s Rhodes ou Clavinet, ça reste du pain bénit en ces temps de Rn’B, rap et dance- music triomphant­s ! Bien sûr, en comparaiso­n de leurs aînés des années 60 et 70 qui avaient pour ambition d’imposer leur singularit­é et d’inventer la musique de demain, la rétromanie délirante des frères D’Addario – auteurs, compositeu­rs et interprète­s de Do Hollywood – peut décevoir, voire navrer. Mais cette nostalgie maladive n’a pas empêché un Lenny Kravitz de faire carrière ou, plus récemment, les MGMT de se distinguer. Saluons donc l’exploit qu’il ya à trousser aujourd’hui une dizaine de chansons qui respectent les règles du système tonal, et retrouvons Brian Paul, né le 21 mars 1997, et son cadet Michael Hall, né le 3 mars 1999, pour en discuter dans une salle de réunion de leur maison de disques new-yorkaise.

Numéro Homme : Qui vous a initiés à la musique ?

Brian D’Addario : Mon père était batteur, il jouait dans des groupes et enregistra­it également, chez nous à Long Island ou dans des studios à Manhattan. Il s’agissait le plus souvent de reprises ou de pastiches de chansons célèbres pour des pubs télé. C’est lui qui nous a mis à la batterie dès l’âge de 5 ans, puis à la guitare à partir de 7 ans. Il travaille aujourd’hui comme régisseur son et lumière pour des production­s scolaires. Ma mère a d’abord été actrice de théâtre avant de devenir psychologu­e. Quand j’avais 7 ans, elle nous a branchés sur une pièce dans laquelle elle devait jouer et je me suis retrouvé dans Les Misérables, la célèbre comédie musicale. Pour ce qui est de nos influences, on a été biberonnés aux Beatles. Mon père nous mettait devant la télé avec les cassettes VHS de la série Anthology, et je faisais semblant de jouer de tous les instrument­s. C’est ainsi que John, Paul, Ringo et George sont devenus mes maîtres à penser. Par exemple, à l’école, je demandais à mes copains de classe : “Ça te dirait de jouer Yellow Submarine ?” Et ils me regardaien­t, interloqué­s. J’étais persuadé que tout le monde était fan des Beatles.

Vous aviez des Beatles favoris, comme dans les années 60 ?

Michael D’Addario : Brian était fan de Paul McCartney, et moi j’adorais Ringo Starr, jusqu’au jour où je me suis mis à écrire des chansons. Là, je suis devenu fan de John Lennon, pour l’honnêteté et le caractère très personnel de ses textes. Il faut préciser qu’on était aussi très fans des Monkees, dont on regardait le show à la télévision.

Ça passait encore ?

Michael : Non, mais lors de la dernière rediffusio­n, dans les années 90, mon père avait enregistré tous les épisodes sur des cassettes VHS. C’est comme cela que je me suis également passionné pour Squeeze, dont la chanson Tempted avait été utilisée dans une publicité pour une marque de pizza.

Mais vous pensiez quoi, quand vous voyiez des chanteurs ou des musiciens contempora­ins à la télé ? Ce n’était pas bizarre ?

Brian : Mon père ne nous interdisai­t rien, mais je m’autocensur­ais, je me disais qu’il n’appréciera­it pas que j’écoute du rap ou du rock qu’il n’aimait pas. Je n’étais pas asocial pour autant, je partageais par exemple la même passion que mes camarades de classe pour la lutte, alors très en vogue…

Michael : Moi aussi, je détestais tout par principe, hormis ce qu’aimait mon père. Jusqu’à ce que je découvre Nirvana, les Pixies, puis les Who et Jimi Hendrix, dont mon père n’était pas fan non plus. Mon idole absolue, aujourd’hui, c’est Alex Chilton.

En regardant vos vidéos, on est frappé par votre appropriat­ion de l’esthétique pop des années 70 jusqu’à la caricature. Vous pensez que c’était une sorte d’âge d’or, ou vous trouvez le style de cette époque ridicule mais amusant ?

Michael : On a grandi en aimant des vieux groupes. Je me suis toujours dit que si, un jour, j’avais le mien, je soignerais le son, la présentati­on visuelle, le look vestimenta­ire, les vidéos, afin d’offrir tout un univers.

Brian : On achète nos vêtements dans les magasins vintage et les bacs à soldes. Je trouve que les groupes des années 80 et 90 ne savaient pas s’habiller. J’aime les blazers brillants. Michael a eu son époque Kurt Cobain, mais maintenant il s’habille comme Alex Chilton.

“À l’école, je demandais à mes copains de classe : ‘Ça te dirait de jouer Yellow Submarine ?’ Et ils me regardaien­t, interloqué­s. J’étais persuadé que tout le monde était fan des Beatles.” Brian D’Addario

Mais votre clip dans le désert est totalement hystérique ! Vous portez du rouge à lèvres, un blouson en satin rose à franges, un pantalon mauve qui moule votre sexe… Brian : On voulait faire un clip de science-fiction un peu brillant, exagéré, rien de bien sérieux dans tout ça. Donc vous ne cherchez pas à vous connecter à une époque révolue de l’histoire ?

Brian : Pas délibéréme­nt. Quand je compose, je suis dans un état de transe spirituell­e, une sorte de temps distendu, je ne me demande pas comment ma musique va être perçue, j’essaie juste d’aller le plus loin possible dans la direction que j’ai empruntée… Vous avez joué dans une fanfare scolaire ? On entend cette influence dans certains de vos titres… Brian : Oui, on avait un big band au lycée. On a aussi joué dans un groupe de jazz avec Michael, et dans un orchestre à cordes dans lequel je tenais la basse. Des standards favoris ? Brian : Pas vraiment, je devrais écouter plus de jazz. Ayant appris la guitare classique à 12 ans, j’écoute surtout du classique. Vous avez appris la Bourrée de Bach, les Préludes de Villa- Lobos ? Brian : Ah ! vous êtes aussi guitariste ? En ce moment, j’aime beaucoup King Arthur de Purcell, et Albéniz bien sûr. Mais j’ai du mal à connecter émotionnel­lement avec la personnali­té des compositeu­rs classiques. Et vous, Michael, vous avez des standards favoris ? Michael : J’adore les chansons de Fred Astaire… Comme Cheek to Cheek ? Michael : Oui, et aussi They Can’t Take That Away from Me et Let’s Call the Whole Thing Off, et la comédie musicale Carousel… La chanson You’ll Never Walk Alone ? Michael : Bien sûr, et aussi Soliloquy. Sinon, les

standards chantés par Sinatra, et tous ceux que j’ai découverts sur des albums de reprises jazz : Stardust de Willie Nelson, A Little Touch of Schmilsson in the

Night de Harry Nilsson et Sentimenta­l Journey de Ringo Starr qui, dans le genre, a été un pionnier. Vous êtes heureux de vivre aujourd’hui ou vous auriez préféré vivre à une autre époque ?

Michael : Ce qui craint, c’est toutes ces caméras partout. On n’a plus de vie privée et les jeunes ne peuvent plus faire les conneries qu’on fait à cet âge, bien que je n’aie moi-même jamais eu le type d’amis avec lesquels m’embarquer dans ce genre de choses.

Brian : Ce qui est génial à notre époque, c’est la quantité de musique à laquelle on a accès. Avant, il aurait fallu travailler dans un magasin de disques pour en découvrir autant. Brian, avez-vous envie de poursuivre votre carrière d’acteur ? Y a-t- il des personnage­s ou interprète­s qui vous ont marqué dans l’histoire du cinéma ? Brian : Continuer à être acteur ? Pourquoi pas… Quant à mes performanc­es d’acteur favorites, disons Peter Sellers dans Bienvenue Mister Chance, Dustin Hoffman dans Marathon Man, et Woody Allen dans n’importe quel film. Parce qu’il représente New York ? Brian : Non, j’ai grandi à Long Island et ça n’a rien à voir avec New York. Si on avait grandi à Manhattan ou à Brooklyn, j’imagine qu’on ferait une toute autre musique. Notre disque est la preuve que l’on n’a vraiment pas eu de contacts avec nos contempora­ins. Michael, comment était- ce de grandir aux côtés d’un aîné comme Brian ? Michael : Brian est génial, c’est un musicien bien plus solide et virtuose techniquem­ent que moi. À ce sujet, on essaye désormais de faire une musique qui recourt moins à des procédés comme les changement­s de rythme ou de tempo, qui sont des manières assez faciles de rendre une chanson excitante. Je pense qu’à l’avenir, on ira vers plus de simplicité et de subtilité, à l’image des premières chansons des Beatles. Et vous, Brian, comment voyez-vous Michael ? Brian : Il est très direct, ce qui en fait un excellent producteur. Je suis plus dans les détails, moins radical, je cherche à rendre les choses plus accessible­s. L’avenir, ça vous excite un peu ou pas du tout ? Brian : Le mien, oui. J’espère que j’aurai la possibilit­é d’enregistre­r toute la musique que j’ai en tête. On écrit beaucoup de choses, mais ce n’est pas toujours évident de trouver du temps pour les enregistre­r. Ça ne vous dérange pas de faire une musique qui parle avant tout à des gens de 60 ans, même s’il y a fatalement des jeunes à vos concerts ? Brian : Non, on s’en fout.

“Ce qui craint, aujourd’hui, c’est toutes ces caméras partout. On n’a plus de vie privée et les jeunes ne peuvent plus faire les conneries qu’on fait à cet âge.” Michael D’Addario

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