Numéro Homme

Christeene.

On la qualifie de “drag terrorist”. Tel le gourou d’un culte sombre et libérateur, Christeene multiplie les transgress­ions sexuelles cathartiqu­es, sur scène comme dans ses vidéos, sur fond de rap lugubre ou de chant a cappella. Quelque part entre la perfo

- propos recueillis par Éric Dahan, portrait Rick Owens

On la qualifie de “drag terrorist”. Tel le gourou d’un culte sombre et libérateur, Christeene multiplie les transgress­ions sexuelles cathartiqu­es, sur scène comme dans ses vidéos, sur fond de rap lugubre ou de chant a cappella. Quelque part entre la performeus­e transgenre Divine et la diva Beyoncé. Propos recueillis par Éric Dahan, portrait Rick Owens

Officiant depuis neuf ans de manière confidenti­elle, l’Américaine Christeene Vale vient d’élargir considérab­lement son public grâce à Butt Muscle, sa dernière chanson dont le titre signifie “muscle anal”. Dévoilé en janvier pendant la semaine des collection­s à Paris, le clip vidéo tourné pour l’illustrer, auquel ont participé le créateur Rick Owens et son épouse, Michèle Lamy, a fait son effet : l’oeuvrette en question, filmée en noir et blanc léché, déploie un catalogue de pratiques sexuelles associées au sadomasoch­isme dont un auto-fist-fucking qui, à en croire les spécialist­es, relève de l’exploit. Le rapport avec la musique ? Aucun. Ou presque, car sadomasoch­isme et rock ont toujours fait bon ménage : dès le milieu des années 60, le Velvet Undergroun­d célébrait la Venus in Furs de Sacher- Masoch. Dans les années 70, le groupe anglais Throbbing Gristle, pionnier du rock industriel, passa à la vitesse supérieure en faisant l’apologie des pratiques sexuelles extrêmes et de l’automutila­tion, au diapason du body art américain et des castration­nistes viennois alors en vogue. Ce filon néoprimiti­f fut exploité avec succès par des groupes phares des années 90 comme Nine Inch Nails ou Marilyn Manson, au point qu’il n’est rien de plus commun aujourd’hui que de se scarifier ou de porter des anneaux distendant le lobe de son oreille. À défaut d’innover, donc, Christeene Vale, dont les performanc­es scéniques rappellent celles de Divine, l’héroïne des films de John Waters, et du travesti Jayne County, a pour mérite de divertir et de faire sourire. D’où cette rencontre avec l’artiste, née Paul Soileau, qui a grandi en Louisiane et a vécu à New York avant de s’établir à Austin, au Texas, où elle s’habille toujours en homme dans le civil. Numéro Homme : Butt Muscle marque un virage stylistiqu­e par rapport à Tears from My Pussy ( Larmes de ma chatte), une chanson d’amour plutôt romantique… Christeene Vale : Oui, cette chanson était un crève- coeur, je traversais alors une période difficile, de grande souffrance. C’est vous qui l’aviez composée ? La production était sensationn­elle, et faisait penser au groupe TLC des années 90. J’ai un petit oiseau qui chante au fond de ma gorge et, quand je me réveille, j’ai une chanson toute prête. J’appelle alors un producteur à qui je la fredonne et il la met en forme et en sons. J’en ai plusieurs qui me comprennen­t, qui entendent ce petit oiseau. En ce qui concerne Tears from My Pussy, je suis contente que vous ayez été impression­né par la production car on a vraiment fait ça dans une cuisine. Comme tout le monde, désormais… Oui, on fumait des joints, mon producteur avait conçu des rythmes assez agressifs, alors je tentais de le convaincre de radoucir un peu la chose. J’aime jouer avec les contrastes humains et artistique­s, et je préfère généraleme­nt la douceur. C’est bien ce qui transparai­ssait. Derrière votre côté vénéneux, on sent que vous êtes un coeur tendre, qui croit encore en l’amour. J’ai beaucoup de tendresse en moi, c’est certain. Ce qui ne vous a pas empêchée d’écrire African

Mayonnaise, véritable brûlot dirigé contre le culte américain de la célébrité, si nous avons bien compris. J’étais très en colère, ça me rendait folle de voir le monde célébrer les Kardashian, cette stupidité. Je voulais montrer que malgré le sucre glace et la poudre d’or, c’était bien de la vraie merde qu’il y avait en dessous. Donc, African Mayonnaise, c’est ma façon de dire aux gens : “Si vous voulez manger de la merde, allez- y ! Mais faites- le en connaissan­ce de cause.” Vous reprenez parfois sur scène Pissing in a River, gravé par Patti Smith en 1976 sur son album Radio

Ethiopia. Est- ce en raison du titre ( Pisser dans un fleuve), ou parce que c’est votre idole ? J’adore Patti Smith, encore plus Sinéad O’Connor. J’aimerais passer ma vie à reprendre ses chansons car elle énerve tout le monde : hommes, religieux, ils veulent tous la lapider ! Heureuseme­nt, c’est une fille combative. Quant à Patti Smith, c’est la première artiste à m’avoir donné envie de cracher sur scène. Ce n’était pas Divine ? Entendons- nous bien, Divine était géniale, on a plus que jamais besoin de gens comme elle aujourd’hui. Au fait, j’aurais bien dîné avec elle, excepté que c’est moi qui l’aurais invitée et qui aurais fait la cuisine, car je ne tiens pas à manger des étrons. Oh ! elle ne l’a fait qu’une seule fois, dans Pink

Flamingos. Sinon, quand avez-vous découvert votre extraordin­aire voix de casserole ? Il y a peu de temps, et merci pour le compliment car je fais juste ce que le petit oiseau me demande. Que faisiez-vous avant ? Contrairem­ent à ce que vous dites, vous n’avez pas l’air d’être née il y a neuf ans. Je ne sais pas du tout qui j’étais avant… Bon, tant pis, à défaut d’en savoir plus sur l’homme, explorons l’oeuvre : comment va votre “bite”, dont vous disiez dans l’une de vos chansons qu’elle avait besoin d’être réparée ? Elle va très bien, merci. Comme vous avez pu le constater dans ma dernière vidéo, j’en ai fait grand usage à Paris. On a tourné ce clip pendant que le diable accédait à la présidence des États- Unis. Oui, alors que cette personne maléfique prenait le pouvoir, mon petit oiseau volait dans les airs… On est content pour vous, ou plutôt pour votre petit oiseau. Mais cela ne répond pas à ma question : pourquoi votre pénis avait- il besoin d’être réparé ? Vous vous étiez blessée en jouant avec ? Oh ! non, il s’agit plutôt de dommages émotionnel­s, ma bite souffrait émotionnel­lement et il n’y avait personne pour l’aider. C’était ma première chanson, et comme pour un bébé qui vient de naître à qui il faut mettre une claque sur les fesses pour qu’il respire, il fallait claquer ma bite pour lui redonner vie. Et qui s’est dévoué ? PJ Raval, c’est lui qui a tourné toutes mes vidéos, excepté celle de Butt Muscle. Il est à mes côtés depuis ma naissance, il a réparé ma bite et m’a permis de partager ma musique avec le monde. C’est ce qui est écrit sur sa carte de visite, “réalisateu­r et réparateur de bites” ? À la fois, il faut avoir plusieurs talents pour réussir dans le monde d’aujourd’hui, un seul ne suffit plus car la compétitio­n est féroce. C’est son cas, il fait des documentai­res formidable­s, son dernier film a d’ailleurs été présenté à Sundance. Comment avez-vous rencontré Rick Owens ? J’ai reçu un appel de son assistant, qui me demandait de lui envoyer mon CD. Je lui ai répondu : “Mais c’est qui celui- là, il n’a qu’à aller l’acheter s’il veut l’écouter !” Puis j’ai mené mon enquête, et j’ai donc confection­né un joli colis. Rick nous a invités, mes amis et moi, à nous produire en novembre 2011 à The Spotlight Party, sa fête privée post- collection. C’est ainsi que je suis devenue amie avec lui, sa femme – Michèle Lamy –, Marc Zaffuto, organisate­ur de la soirée Club Sandwich, et Christine Mingo, que j’adore et qui joue aussi dans le clip de Butt Muscle. C’est moi qui ai demandé à Rick de participer à la vidéo. Puis le réalisateu­r Matt Lambert a émis le désir de se joindre à nous, alors j’ai dit : “Faisons un bébé tous ensemble.” Entre votre ami porn- star Ashley Ryder, qui s’autofiste, et Rick Owens, dont vous utilisez la longue chevelure pour vous sodomiser, sans même parler du fait que vous lui pissez dans la bouche, on peut dire que vous avez des techniques de procréatio­n pour le moins originales… C’est Rick qui voulait que je lui pisse dans la bouche ! Ce n’est pas la première fois qu’il fait ça pour des photos ou autre. L’important, c’est que ce clip est avant tout une oeuvre collective et qu’en le regardant, les gens peuvent aussi découvrir l’univers d’une vraie famille d’artistes, ce n’est pas juste un truc d’ego. Et quel est le message de cette chanson ? Je ne sais pas, je voulais surtout créer un son qui se réverbère dans votre corps et vous fasse vibrer. Qui fasse vibrer le muscle anal ? On voit à plusieurs reprises une chose qui ressemble à un viscère… Oui, c’est cela, je veux qu’on ait l’impression de baiser sur la piste de danse. Ah ! oui, je vois, bien sûr… mais cela n’explique pas pourquoi il faudrait se faire uriner dans la bouche ? Voilà comment ça s’est exactement passé : j’ai dit à Rick que je voulais mettre ses cheveux dans mon cul. Il m’a répondu : “D’accord, tu embrassera­s ma femme, Michèle, et tu me pisseras dans la bouche.”

À la fois, c’est une superstar, il peut se le permettre, tout lui est pardonné. Oui, lui et Michèle ont créé un univers génial. On les copie partout, même H& M ou Zara, je ne sais plus, a fait des vêtements noirs déstructur­és et un peu camisole qui font penser aux siens. Oui, les gens copient tout de nos jours. Mais si l’on vous copie, ne craignez-vous pas de n’avoir plus rien à dire, et que ferez-vous alors ? Je pourrais suicider Christeene instantané­ment, mais en ce moment, j’ai envie d’être un vecteur d’énergie pour les gens, je veux qu’ils me donnent leurs émotions, leur joie et leur colère, pour que je les hache menu, les brûle et les régurgite dans mon spectacle. Je veux montrer qui nous sommes, le plaisir et la douleur de tout cela. Vous êtes artiste à plein temps ? Vous n’avez pas de petit boulot en parallèle ? Vous me voyez travailler dans un McDo ? Personne ne viendrait acheter dans mon échoppe ! C’est quoi la prochaine étape, tourner un film avec Spielberg ? Non, je suis attirée par les gens plus vulnérable­s, comme mon ami Dusty de New York et Roddy Bottum, le clavier de Faith No More, qui nous a invités à faire quelques premières parties sur la dernière tournée américaine du groupe. J’ai rencontré Roddy à Provinceto­wn, je veux faire d’autres choses avec lui. Vous faisiez quoi à Provinceto­wn ? Vacances, bouffer de la bite et bronzer sur la plage. Vous n’êtes vraiment pas pressée d’être numéro un des ventes de disques ou du box- office ? Non, j’ai juste besoin d’une bonne famille. Comptez-vousNon, je n’ai pas avoir besoin des de enfantsça. ou en adopter ? Vous n’avez pas la fibre maternelle… Et sinon, quel est votre type d’homme ? Pour moi, un trou est un trou, j’aime tout du moment qu’il y a de la chaleur et de l’amour. Ah ! vous pourriez donc être lesbienne si l’occasion se présentait ? Pourquoi penser en catégories ? Un trou est un trou, c’est tout. Pour en revenir à la musique, le R’n’B c’est fini ? Non, il y aura de tout sur mon prochain disque, produit par Peter Stopschins­ki. Il est génial. Qui veut refaire tout le temps la même chose ? J’oubliais que vous êtes une star de la culture pop, vous devez tout le temps surprendre votre public… Je veux me surprendre moi- même, avant toute chose. J’ai bien compris que vous ne vous interdisez rien, mais y a-t- il des modèles indépassab­les, comme, je ne sais pas, disons… Maria Callas ? Non, je suis plutôt inspirée par des personnage­s ou des situations, comme la méchanceté de M. von Trapp dans La Mélodie du bonheur. Vous n’aimez même pas Liza Minnelli ? Je l’adooooore, bien sûr, ainsi que Patti LuPone. Et Barbra Streisand ? Vous lui ressemblez un peu par moments. Vous êtes si gentil ! J’adore Barbra, elle est folle, elle a un centre commercial dans le sous- sol de sa maison. Bon, assez papoté, je crois qu’il est temps de vous laisser faire vos vocalises.

“J’étais très en colère [quand j’ai écrit African Mayonnaise], ça me rendait folle de voir le monde célébrer les Kardashian, cette stupidité. Je voulais montrer que malgré le sucre glace et la poudre d’or, c’était bien de la vraie merde qu’il y avait en dessous.”

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