Numéro Homme

Bande originale

Par Alex Antitch, texte Oscar Coop- Phane

- par Alex Antitch, texte Oscar Coop- Phane

CRIMSON AND CLOVER DE TOMMY JAMES AND

THE SHONDELLS Des ballons d’hélium se bousculent au plafond. Ça forme une nappe étrange. Les maquillage­s, grossièrem­ent étalés du front au menton, épais, moites, semblables à des feuilles de carton mouillé, s’imprègnent par à- coups des rouges, des bleus et des jaunes des éclairages de rigueur. C’est une fête de lycée, à l’américaine, chemises à jabot et décolletés à paillettes. Les coiffures sophistiqu­ées des filles mettent les garçons mal à l’aise tant ils ne reconnaiss­ent plus ces visages longuement épiés pendant les heures de classe. Heureuseme­nt, les jambes serrées dans le Nylon rattrapent les beautés perdues et font monter une excitation nouvelle ; la sensualité se déshabille. Les couples lentement se forment – les garçons, les filles se détachent de leurs bandes unisexes. Un groupe joue sur l’estrade. On danse en souriant. Soudain, un type ouvre la porte coupe-feu. Il tient une carabine. Tout le monde le regarde. Les guitares déraillent. Léger ralenti. Le type arme son fusil. Il vise. C’était du plomb ; il tire sur les ballons.

MARI DE MARTIN REV

Le tableau de bord est poussiéreu­x. Les vitres sont embuées ; il fait chaud dans la voiture. Le cendrier déborde. La vitesse – vive – s’affiche en orange et en vert ; une aiguille légèrement démodée. À travers la fenêtre, on devine un tunnel sans fin ; aucune autre voiture, seulement les éclairages que l’on dépasse en rythme saccadé. Parfois, de longues courbes entraînent l’habitacle à gauche, à droite. L’homme cramponne ses mains au volant – on voit la transpirat­ion perler sur le cuir. Il est beau. Il porte un manteau sombre. Il fume. Sa bouche tremble. Il pleure à larmes chaudes. Parfois, il tape sur le volant. Sa tête se penche, elle chute en avant. La cigarette glisse de ses lèvres vers le siège. Comme pour renoncer, il s’est endormi.

THE ULTIMATE WARLORD DES IMMORTALS

Un jeune garçon sort d’une banque. Quand il a retiré de l’argent, on a pu voir, sur ses mains, sur ses poignets, les tampons baveux, effacés, de différents clubs. C’est la lumière blanche du petit matin, la lumière froide des fêtes que la nuit n’a pas épuisées. Des petites liasses sont sorties de la machine ; frénétique­ment, il les a enfoncées dans les poches de son jean. Il n’y avait aucune voiture, aucun scooter, il a traversé la rue large en diagonale, sans regarder. Il se retrouve maintenant entre les deux voies de circulatio­n, sur le terre- plein central, sous les ponts du métro aérien. Il marche ainsi, sous les rails. Il a de larges cernes et les cheveux échauffés, les mains enfoncées dans son blouson et le pantalon taché. D’un seul coup, il tourne à angle droit, vers la gauche. Traverse la rue en courant et s’engouffre dans un McDonald’s.

JOHNNY AND MARY DE ROBERT PALMER

Une jolie jeune fille, dans un petit appartemen­t parisien, s’agite. Elle sautille, fourre des pulls, des disques en vrac dans des sacs. Elle enlève les housses d’oreillers blanches, laisse les draps sombres. Sans méthode, du salon à la cuisine, elle attrape un tas d’affaires et les jette au milieu de la pièce avant de les rouler en boule et de les tasser dans des valises, des cartons et des cabas. Elle ouvre le frigo, saisit un brocoli, du lait d’amande et deux bouteilles d’eau. Dans la salle de bains, les crèmes vides, les barrettes qui traînent et une des deux brosses à dents. Dans l’entrée, deux manteaux, un bonnet et quatre écharpes. Dans le couloir, un livre sur cinq – son regard fuse le long de la bibliothèq­ue, et vlan ! c’est un bouquin qui tombe. Elle regarde autour d’elle. L’appartemen­t n’est pas vide mais il a l’air bien pauvre. Sur le parquet, les sacs sont bouclés. Elle sourit, souffle vers son front et fait se soulever ainsi une longue mèche de cheveux. Elle se mord les lèvres avec malice, pousse ses affaires dans la cage d’escalier. Avant de quitter les lieux, elle sort un trousseau de clefs. Elle le jette à l’intérieur, claque la porte et puis s’en va. Salut Simon.

ROLLERCOAS­TER DE DOLLKRAUT

C’est un paysage étrange. On croirait du sable fondu dans du papier d’aluminium. Les rayons du soleil coupent fort, ils rebondisse­nt et vous grillent la rétine. Au loin, quelques montagnes tranchante­s, des pics, comme des M majuscules. On ressent la soif que l’on aurait à se trouver là. Ce n’est pas un décor où l’on se promène. Si vous foulez cette terre, c’est assurément qu’on vous y a jeté, que vous y avez échoué. Là- bas, sur les montagnes, on aperçoit comme un serpent qui se faufile. Il est minuscule, mais il est si éloigné que ce ne peut être qu’une horde colossale. Doucement, elle se rapproche. On monte pour les observer depuis le ciel. Peu à peu, on comprend. Voilà cinquante hommes, à cheval, au galop et en file indienne. Ils sont tous vêtus de noir. Seul le premier porte un costume blanc. Notre regard se rapproche encore – il y a de la poussière, la poussière des sabots qui battent le sable. On remonte le cortège de la fin vers la tête. On s’attarde sur le premier cavalier. C’est une femme, étrangemen­t belle, cheveux au vent. La musique s’arrête. Générique.

LET IT SHOW ( LOW MOTION DISCO REMIX)

DE SALLY SHAPIRO Deux garçons, côte à côte, se regardent dans le miroir. Le premier se jette des paillettes au visage. Le geste est frénétique ; il ne se maquille pas avec délicatess­e. Il tente d’en recouvrir son ami. Ils rient. Les deux garçons sont assis dans le métro. Le premier ouvre un sac, remplit une seringue de GBL. Le second ouvre une bouteille de Coca. Et ils boivent, chacun à leur tour, une gorgée, le “jus”, et une gorgée encore. Ils marchent dans les couloirs d’une station puis dans la rue, en fumant une cigarette. Le premier parle beaucoup. L’autre l’écoute, sourire aux lèvres. À 3 minutes 29, quand la musique décolle, on ne voit plus que leurs visages, éclairés aux lasers, aux stroboscop­es. Du béton et de grosses enceintes. Ils dansent.

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