Numéro Homme

Esprit libre.

- par Olivier Joyard, portraits Jeff Burton, réalisatio­n David Bradshaw

Depuis son enfance dans des communauté­s hippies, jusqu’au moindre de ses choix artistique­s, tout, chez Jared Leto, n’obéit qu’à un désir absolu d’indépendan­ce et de liberté. Acteur épris de rôles extrêmes, et musicien rock accompli avec son groupe Thirty Seconds to Mars, le bellâtre aux cheveux longs a choisi l’art comme un mode de vie, et comme un engagement total, voués à nourrir un ardent désir d’exister. Par Olivier Joyard, portraits Jeff Burton, réalisatio­n David Bradshaw

Depuis son enfance passée dans des communauté­s hippies jusqu’au moindre de ses choix artistique­s, tout, chez Jared Leto, obéit à un désir absolu d’indépendan­ce et de liberté. Acteur épris de rôles extrêmes et musicien rock accompli avec son groupe Thirty Seconds To Mars, le bellâtre aux cheveux longs a choisi l’art comme un mode de vie et comme un engagement total voués à nourrir une ardente soif d’exister.

Son allure de Jésus- Christ superstar occupe les

écrans et les scènes depuis presque un quart de siècle, ce qui n’empêche pas Jared Leto de ressembler à un éternel post- adolescent en quête de sensations fortes – à bien y réfléchir, l’existence hors norme qu’il mène doit probableme­nt l’y aider. Alors que la plupart des êtres humains, et même des artistes, se contentent de vivre une seule vie, lui les cumule. Acteur et chanteur, rien n’arrête ce garçon en permanence sur le fil, pour qui tout a commencé très tôt, trimballé, durant les années 70, dans les communauté­s hippies que fréquentai­t sa mère. S’il n’entre pas dans les détails intimes d’une période qui fut aussi difficile – à 8 ans, celui qui n’a jamais connu son père biologique avait déjà vécu dans quatre États différents et enduré une certaine pauvreté –, Leto nous parle avec joie de son exposition précoce à la créativité. “Enfant, j’ai grandi dans un environnem­ent artistique. Je dirais même que j’ai été élevé par des artistes. Depuis, l’art est comme un mouvement perpétuel en moi. J’ai tout de suite compris qu’il pouvait être un choix de vie, qu’il était possible de transforme­r ses rêves en métier, d’en faire une carrière. Tous les gens que je fréquentai­s faisaient de l’art par amour de l’art. Personne n’était riche ou célèbre, et leur but n’était certaineme­nt pas de se montrer au public. Ils étaient mus par leur passion. L’art, c’était comme une pulsion.”

Quand le jour de gloire est arrivé pour Jared Leto, Oscar du meilleur second rôle en 2014 pour son interpréta­tion de femme transgenre séropositi­ve dans Dallas Buyers Club, l’homme aux yeux bleus perçants a d’abord remercié sa mère, devant le Tout

Hollywood ému aux larmes : “En 1971 à Bossier City, Louisiane, une adolescent­e était enceinte de son deuxième enfant. Mère célibatair­e, elle venait de quitter le lycée, mais elle a réussi à rendre sa vie et celle de ses enfants meilleures. Elle a encouragé ses gamins à devenir créatifs, à travailler beaucoup et à viser des choses hors du commun. Cette fille, c’est ma mère, et elle est là ce soir. Je voudrais juste te dire que je t’aime, maman. Merci de m’avoir appris à rêver.” Rêver, c’était d’abord refuser l’ennui des vies réglées par des horaires et une géographie fixes.

Il faut dire que peu de petits Américains de son âge ont ainsi pu passer plusieurs mois à Port- au- Prince, en Haïti, où sa famille avait posé ses valises. Il y est retourné pour la première fois en 2011, un an après le tremblemen­t de terre dévastateu­r qui a frappé le pays ( il a levé des fonds pour venir en aide à la population), et a retrouvé des odeurs d’enfance. Jared Leto n’a jamais renoncé à ce qui s’est imprégné

en lui durant ses premières années. “J’ai toujours été intéressé par l’idée du non- convention­nel. J’ai su très jeune que je ne voudrais jamais travailler dans un bureau, de 9 heures à 17 heures chaque jour. J’ai revendiqué le fait de ne pas vouloir m’ennuyer en travaillan­t. Quand je parlais de mes projets d’avenir à ma mère, je n’ai jamais évoqué le fait de devenir un employé… Bien sûr, la vie nous force parfois à faire des choses que l’on n’a pas envie de faire, mais c’est compris dans le package ! Moi, j’ai la chance depuis longtemps de pouvoir explorer ma créativité.”

Les premiers contacts de Jared Leto avec la musique ont eu lieu avant son adolescenc­e mouvementé­e – il a expliqué n’avoir pas toujours évité les mauvaises fréquentat­ions –, dans une atmosphère d’improvisat­ion

permanente. “À la maison, on en écoutait tout le temps et il y avait toujours une guitare qui traînait. Mon frère a commencé la batterie quand il avait 4 ou 5 ans. La musique était donc présente en fond sonore, et elle a pris progressiv­ement de plus en plus de place dans ma vie. Je dirais que j’ai commencé avant même d’être comédien, ne serait- ce que parce que j’y ai été davantage exposé. Quand j’étais enfant, je n’ai jamais pensé devenir acteur, ça ne me traversait même pas l’esprit. Quand je me suis décidé à faire de vraies études, je suis allé dans une école d’art pour apprendre la photograph­ie et le cinéma qui me passionnai­ent autant que la musique, mais je ne m’intéressai­s pas au fait de me produire devant une caméra.” À la School of Visual Arts de New York, Leto écrit et réalise son premier court-métrage, Crying Joy. Une expérience décisive qui le pousse à prendre la tangente direction la Californie et Hollywood, au début des années 90, avec une seule idée en tête : devenir réalisateu­r, même si le destin allait en décider autrement… “À Los Angeles, je suis devenu comédien parce que je pensais que cela m’aiderait à obtenir du boulot en tant que réalisateu­r, ce qui est assez drôle quand on y pense ! J’ai toujours été attiré par ce milieu. À la fac, ils proposaien­t des cours de comédie et j’allais y assister en spectateur, pour essayer de comprendre les acteurs et les actrices. Je ne m’imaginais pas encore à leur place, mais je les trouvais courageux et intéressan­ts.”

Après quelques apparition­s mineures, Jared Leto obtient un premier rôle dans une belle série dont on lui parle encore aujourd’hui – et au sujet de laquelle il préfère rester silencieux –, My So- Called Life ( Angela, 15 ans en VF), un récit émouvant et sensible d’amours adolescent­es qui n’a duré qu’une saison de dix-neuf épisodes, entre 1994 et 1995. Il y interpréta­it le petit ami de Claire Danes, Jordan Catalano, qui, au départ, ne devait apparaître que dans le premier épisode. Mais le jeu de Leto, tout en impulsivit­é et en intensité, collait idéalement à l’esprit de la série de Winnie Holzman, que la plupart des spécialist­es évoquent encore actuelleme­nt comme l’une des plus justes sur cet âge délicat de la vie. Grâce à ce rôle, Leto a vu les portes du cinéma s’ouvrir. Son premier film, Le Patchwork de la vie (1995), de Jocelyn Moorhouse, le voit côtoyer Winona Ryder, Anne Bancroft et Ellen Burstyn. Mais il se souvient d’autre

chose. “Ce premier film, c’était à la fois un moment spécial et difficile. De mes premières années dans ce milieu, je me rappelle de beaucoup de doutes et de peurs. Ces choses- là peuvent revenir de temps en temps, ce sont des sensations universell­es. Je travaillai­s énormément, je m’engageais à fond et avec passion. J’étais un garçon têtu. D’une certaine manière, cette industrie m’allait bien parce qu’elle était intéressan­te. Quand, en tant qu’acteur, on décidait de jouer dans un film indépendan­t, c’était un motif de fierté. Rester à distance d’un certain style majoritair­e était également un motif de fierté. On pouvait vivre comme ça et construire une carrière. Je pense que c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui, car peu de films sont produits de manière indépendan­te. Pas mal de séries, en revanche, occupent cette place symbolique. Il y a aussi plus de contenu et donc davantage d’opportunit­és pour chacun… mais aussi plus de gens sur terre. Tout cela va s’annuler, je pense.”

“J’ai toujours été intéressé par l’idée du non- convention­nel. J’ai su très jeune que je ne voudrais jamais travailler dans un bureau, de 9 heures à 17 heures chaque jour. J’ai revendiqué le fait de ne pas vouloir m’ennuyer en travaillan­t.”

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