Numéro Homme

L’affranchi.

- Se retrouver face à Ethan Hawke procure une émotion particuliè­re, comme si le souvenir d’une jeunesse pas si lointaine – la sienne, la nôtre – reprenait vie ; comme si des moments de cinéma traversés par une forme de joie et d’innocence revenaient en mém

Il y a trente ans, Ethan Hawke, alors jeune premier, était révélé par Le Cercle des

poètes disparus. Depuis, l’acteur a développé sa carrière aux allures de manifeste en tournant pour Richard Linklater, Sidney Lumet ou Paul Schrader. À travers ces grands noms du 7e art, se profile l’extrême exigence de l’Américain, le regard rivé sur les films d’Ingmar Bergman ou de François Truffaut. Numéro

Homme l’a rencontré à Paris, sur le tournage d’un autre grand, le Japonais Hirokazu Kore- eda, lauréat de la dernière Palme d’or. Par Olivier Joyard, portraits Peter Lindbergh, réalisatio­n Jean Michel Clerc

Il y a trente ans, Ethan Hawke, alors jeune premier, était révélé par

Le Cercle des poètes disparus. Depuis, l’acteur a développé sa carrière aux allures de manifeste en tournant pour Richard Linklater, Sidney Lumet ou Paul Schrader. À travers ces grands noms du 7e art se profile l’extrême exigence de l’Américain, le regard rivé sur les films d’Ingmar Bergman ou de François Truffaut. Numéro Homme l’a rencontré à Paris, sur le tournage d’un autre grand, le Japonais Hirokazu Kore- eda, lauréat de la dernière Palme d’or. par Olivier Joyard, portraits Peter Lindbergh, réalisatio­n Jean Michel Clerc

Comme souvent dans la vie de l’acteur, sa présence dans le film de Kore- eda a eu lieu grâce à une suite de hasards plus ou moins provoqués. Il raconte avoir voulu travailler avec Juliette Binoche depuis plusieurs années, notamment sur un projet de film américain dont le financemen­t n’a pas abouti – ce qui en dit long sur l’état de la production

indépendan­te… Et puis… “Et puis elle m’a écrit un e-mail à propos de ce film, Catherine et elle en parlaient avec Kore- eda depuis longtemps, je crois. Le plus drôle c’est que quand Kore- eda m’a envoyé le scénario, les personnage­s s’appelaient Juliette Binoche, Ethan Hawke et Catherine Deneuve. La réalité et la fiction se confondaie­nt. Je lui ai dit que je ne pouvais pas jouer un personnage qui possède mon propre nom, il m’a fait comprendre qu’il ne connaissai­t pas beaucoup d’Américains… Il avait besoin d’un modèle ! Je ne connaissai­s pas bien son travail, alors j’ai regardé ses films, je n’ai pas regretté…” La rencontre avec le maître du cinéma japonais a eu lieu deux jours après le dernier Festival de Cannes, Kore- eda voyageant vers New York avec la Palme d’or dans ses valises. “Il n’avait pas prévu de gagner, je crois. Je l’ai bien aimé et il m’a convaincu que le film serait très intéressan­t.” À entendre ces mots, Ethan Hawke pourrait incarner le ravi de la crèche typique, le genre de star qui trouve tout formidable, parce que, c’est bien connu, la vie de celles et ceux qui font du cinéma n’est que fluidité et amour.

Sur son téléphone portable, l’acteur nous montre une photo prise la veille par Juliette Binoche. Il y est entouré par Catherine Deneuve et Kore- eda sur un pont de Paris, sourire aux lèvres. Il n’en revient toujours pas que le cinéma l’ait amené là. “Il y a NotreDame pas loin sur l’image, vous voyez ? C’est vraiment une expérience fascinante d’être à Paris pour tourner un film avec deux des plus grandes actrices françaises de tous les temps, devant la caméra d’Hirokazu Kore- eda. C’est aussi très étrange de se trouver dans une situation si nouvelle à un stade avancé de sa propre carrière. Pour moi, le cinéma n’a jamais cessé d’être surprenant.” À l’origine, le film La Vérité ne devait pas être tourné en France : Kore- eda avait écrit le scénario il y a une quinzaine d’années en pensant

à une actrice japonaise. “C’est l’histoire d’une mère et d’une fille, précise Ethan Hawke. La mère, une comédienne très connue, écrit ses Mémoires et ‘oublie’ de mentionner qu’elle a une fille… L’actrice japonaise très âgée à laquelle le réalisateu­r pensait est morte. Après son décès, Kore- eda a décidé de transférer l’intrigue en France avec Deneuve et Binoche. Moi, j’interprète le mari de Juliette, qui demande pourquoi elle n’a pas été incluse dans ce livre. Ce film ressemble à une comédie française mise en scène par un Japonais. C’est comme si Kore- eda tournait une comédie de Louis Malle ! On comprend que les vraies choses de la vie ne sont pas culturelle­ment spécifique­s. La vérité d’une relation mère-fille est similaire à Tokyo et à Paris, même si on pourrait imaginer le contraire.”

quarts française, le reste est japonais, et moi je suis le seul dont l’anglais est la première langue. Je suis l’étranger, en quelque sorte. Être sur le plateau ressemble à un rêve éveillé auquel je ne comprends pas toujours tout – même si Juliette et Catherine parlent très bien anglais. D’une certaine façon, cela m’aide, car la solitude favorise la créativité. Mais cela rend les discussion­s difficiles. Je pourrais vous décrire ce que je vais essayer de communique­r dans une scène cet après-midi beaucoup plus facilement qu’à Kore- eda. J’essaie chaque jour, mais je ne suis pas sûr que le traducteur transmette bien ma pensée. J’ignore si c’est le cinéaste qui résiste ou si l’idée ne lui est pas transmise correcteme­nt. En même temps, je regarde Kore- eda diriger Catherine, et bien qu’il ne parle pas français, il comprend des choses infimes très importante­s. D’ailleurs nous sommes souvent satisfaits des mêmes prises, et pour moi, c’est bon signe. Mais attendons le résultat, le film sera peut-être un bordel sans nom ! J’ai déjà été dirigé par des gens qui ne parlaient pas anglais, je sais que ça peut merder.”

parcours à la lumière de ses collaborat­ions. Quand on pointe ce qui pourrait ressembler à un tropisme en faveur des actrices françaises dans sa carrière, il saute sur l’occasion pour évoquer Julie Delpy, sa partenaire dans la trilogie Before Sunrise, Before

Sunset et Before Midnight réalisés par Richard Linklater entre 1995 et 2013. “Il se pourrait que j’aie un truc avec les actrices françaises, vous avez raison. Ma collaborat­ion avec Julie est l’une des plus grandes de ma vie. Je crois que d’une manière étrange, la raison pour laquelle Kore- eda me voulait, c’est Julie. Une question de cinéma. Tout ce qu’il écrit est infusé par l’inconscien­t de la vraie personne, cela devient l’inconscien­t du film. Dans son esprit, quel Américain pourrait être marié à une Française ? Ethan Hawke, évidemment !” L’histoire romantique racontée à l’écran entre Hawke et Delpy se doublait d’un rapport d’inspiratio­n mutuelle. À l’époque de Before Sunrise, au milieu des années 90, quelque chose est né dans l’esprit du public, mais Hawke ne se sentait au- dessus de personne. “Franchemen­t, les gens me connaissai­ent pas très bien avant Before Sunrise. Le Cercle des poètes disparus était sorti depuis six ans. Ça me semblait une éternité. De son côté, Julie avait tourné avec Godard et Kieslowski, Carax et Volker Schlöndorf­f, elle avait vraiment de l’expérience. C’était une jeune femme intense, vous savez. Donc j’ai beaucoup appris d’elle.” Typique de la tendance d’Ethan Hawke à dresser son autoportra­it à travers les autres et son récit de leurs carrières respective­s à la fois proches et divergente­s. “Nos trajectoir­es se sont épanouies en parallèle, mais Julie a passé beaucoup de temps à réaliser des films. Je l’ai fait aussi, mais moins [ Ethan Hawke a réalisé

quatre longs- métrages, dont le prochain, Blaze, sort en France au printemps]. Quand je l’ai rencontrée, son orientatio­n était celle d’une actrice. Elle s’intéressai­t à l’écriture et à la réalisatio­n, en revanche son ego restait dans le jeu. La dernière fois que j’ai travaillé avec elle, sur Before Midnight, elle avait lâché l’affaire sur cette question. Elle reste une grande comédienne, pourtant son désir palpite ailleurs. Moi, je suis davantage un acteur. Jouer reste le centre de mon expérience. Tout ce que j’ai appris sur l’écriture, la réalisatio­n et les autres formes artistique­s trouve sa source dans le jeu.”

Si un aspect de l’expérience sur ce film le satisfait de manière certaine, il concerne les liens tissés avec Catherine Deneuve et Juliette Binoche, qui dépassent la simple admiration mutuelle. “C’est vraiment fascinant de constater à quel point Juliette et Catherine sont si différente­s mais incroyable­s toutes les deux. Elles ont su gérer leur succès de façon magistrale. Catherine est drôle, c’en est presque choquant ! Très humaine. Je m’attendais à une femme vivant sur un piédestal, mais elle est authentiqu­e, et elle fume beaucoup ! Elle s’amuse dans la vie, cela se sent. Juliette incarne l’authentici­té d’une autre manière, c’est une personne très émotive et réelle.” Comme souvent pendant l’heure que nous passons ensemble, Ethan Hawke affectionn­e les digression­s, fonctionna­nt par associatio­n et déduction. Son expérience avec les deux phares du cinéma français – Isabelle Huppert étant le troisième, mais Hawke n’a jamais travaillé avec elle – l’amène à comparer les approches du jeu d’actrice et

d’acteur à travers les continents. “À bien y réfléchir, je crois que les comédiens français et les comédiens américains ont plus en commun que les Américains et les Anglais. Nous sommes distants par le langage, mais proches par les émotions. Je me sens très connecté à Juliette, elle vient d’un lieu que je connais. Sa vie de comédienne semble reliée à sa vie spirituell­e, même si je ne veux pas parler à sa place. Les actrices et les acteurs anglais sont souvent dans une démarche plus intellectu­elle, leur pouvoir se situe dans leur cerveau. Le pouvoir de Juliette vient d’un lieu plus dur, à vif.”

“Je regarde Kore- eda diriger Catherine [ Deneuve], et bien qu’il ne parle pas français, il comprend des choses infimes très importante­s. Mais attendons le résultat, le film sera peut- être un bordel sans nom ! J’ai déjà été dirigé par des gens qui ne parlaient pas anglais, je sais que ça peut merder.”

l’ancien mari d’Uma Thurman tournait 7 h 58 ce

samedi- là ( 2007), l’ultime film de Sidney Lumet, mythique cinéaste de Serpico et figure des seventies agitées. L’occasion de comprendre à quel point la caméra, le plateau et la tension d’une scène peuvent

aider à tenir debout. “L’autre jour, j’ai lu un article selon lequel les réalisateu­rs devraient s’arrêter après 65 ans, parce qu’après cet âge, ils deviennent trop préoccupés par leur héritage et n’ont plus vraiment la liberté d’échouer. C’est une idée séduisante, mais je me souviens que Sidney, qui avait 83 ans sur le tournage de 7 h 58 ce samedi- là, était tout excité et pétait le feu. Même quand j’ai travaillé avec Alfonso Cuarón [ De grandes espérances (1998)] j’avais l’impression qu’il bossait en pensant à son futur. Sidney, lui, travaillai­t uniquement pour le présent. Cet été- là, il faisait une chaleur torride, Lumet avait son tee- shirt noué sur la tête, il était trempé, il courait de partout en montrant où placer la caméra…”

En 2017, Ethan Hawke a joué dans un autre

film de cinéaste au crépuscule de sa carrière, Sur le chemin de la rédemption, du septuagéna­ire Paul Schrader, l’histoire d’un pasteur dans une petite ville de l’État de New York, qui traverse une crise personnell­e carabinée. Le résultat est assez bluffant, l’acteur s’autorisant à dévoiler une angoisse profonde, une douleur intérieure que son visage ne cherche jamais à masquer. Il est question ici de foi, mais aussi de la pression qui pèse sur les épaules de ceux qui cherchent à faire le bien dans un monde d’inquiétude et de troubles. Du réchauffem­ent climatique à la spirale de la violence terroriste, plusieurs sujets puissants sont abordés dans ce film, qui se permet des envolées lyriques à la fois naïves et radicales. Dans cet univers, Ethan Hawke a évolué comme un poisson dans l’eau, “buvant” l’expérience de son interlocut­eur – scénariste de Taxi Driver et de La Dernière Tentation du Christ, Schrader a été critique en plus de réalisateu­r. “C’est tellement agréable. Paul Schrader peut parler des heures non pas de quelques films de Bergman, mais de tous les films de Bergman. Non pas de quelques Fassbinder, mais de tous les Fassbinder. Il les a vus plusieurs fois, comme un éternel étudiant. J’imagine qu’Hemingway pouvait parler de Voltaire de la même manière. Les jeunes réalisateu­rs n’ont pas forcément cette éducation ni cette passion. Parfois, Paul oubliait de dire bonjour ou au revoir. Chaque soir, après le dernier plan, on ressentait son idée fixe : revenir le lendemain matin. Beaucoup d’acteurs ou d’actrices tournent avec l’espoir d’obtenir d’autres rôles ensuite, ils ne sont pas vraiment là. Mais quand je vois Paul travailler, je me dis que le temps passé devant la caméra est sacré.”

Loin des expérience­s branchées – on ne l’a jamais

vu faire la queue pour tourner avec les réalisateu­rs hype du moment –, Hawke dessine depuis trente ans une trajectoir­e qui n’est ni à l’intérieur ni à l’extérieur du système, naviguant au gré de ses rencontres et de ses désirs. Une relation a pourtant structuré sa carrière, nouée avec Richard Linklater (qu’il appelle affectueus­ement “Rick”), parangon du cinéma indépendan­t américain depuis les années 90. “Nous

sommes des pairs, lui et moi”, pose Ethan Hawke d’emblée. Ils ont tourné huit films ensemble sur une période de presque vingt ans, dans une fidélité totale. Le comédien se souvient de leurs premiers pas. “Quand je suis arrivé à Vienne pour Before Sunrise en 1994, Linklater était connu en tant que réalisateu­r de Slacker, et moi comme l’acteur principal de

Génération 90. On tournait avec cette starlette européenne, Julie Delpy, qui n’avait peur de rien… Rick et moi, nous nous sommes tout de suite bien entendus. Contrairem­ent à beaucoup de gens de son âge, il a une vision à long terme. Il est patient. Devenir la sensation du moment ou faire un film qui cartonne ne l’a jamais intéressé. Ce qu’il cherche, c’est la vie du cinéma, la forme du cinéma. Il ne se préoccupe pas de lui- même, contrairem­ent à beaucoup de réalisateu­rs – malgré ce qu’ils disent. Rick s’intéresse à ce que les autres pensent et à la meilleure façon de compiler leurs idées.”

Au contact de Richard Linklater, Ethan Hawke a vécu une expérience qui le conduit aujourd’hui à se revendique­r pleinement comme féministe, ce qui ne court pas vraiment les rues parmi ses collègues à Hollywood, même en plein bouillonne­ment post

Time’s Up. “En tant que comédien, la pression de la masculinit­é, je l’ai ressentie. Mais j’ai aussi essayé de la détourner. Une étape majeure a été la trilogie Before… La plupart des films romantique­s ont soit un point de vue masculin, soit un point de vue féminin, mais ce qui est remarquabl­e, c’est que la trilogie n’est pas marquée par ce côté binaire. La combinaiso­n de Rick, Julie et moi, nos contributi­ons en tant que scénariste­scomédiens, tout cela a créé un angle non genré. La rencontre avec Julie Delpy, alors que j’avais la vingtaine, a été pour moi une porte d’entrée précoce vers le

féminisme. Pour être honnête, Rick a aussi joué son rôle. Il était dans une posture spéciale pour un réalisateu­r de son âge. Il me racontait qu’il était fâché contre lui- même par rapport à l’un des aspects de son film

Génération rebelle (1993). Il avait espéré en faire une expérience tchékovien­ne, en alternant les points de vue masculin et féminin. Mais il n’avait pas réussi. C’est un film très mec. On sent un regard masculin, un ‘male

gaze’, ce qui n’a plus été le cas dans Before Sunrise. En 1994, peu de gens pensaient à ce genre de choses, et ceux qui les mettaient en pratique étaient encore moins nombreux ! Linklater invitait Julie à collaborer avec lui, comme une force créative. J’ai constaté à quel point le film était meilleur grâce à ça, à quel point j’étais moi- même meilleur. Beaucoup d’hommes trouvent les revendicat­ions féministes effrayante­s, moi je pense totalement le contraire. Il y a une citation de Thomas Merton qui dit : ‘ Inutile de protéger la vérité, il faut vivre dedans, et si vous vivez dedans, elle vous protègera.’ Cette expérience avec Rick et Julie m’a permis d’entrer dans la réalité du féminisme : une manière de vivre plus proche de la vérité. Depuis cinq ans, j’ai travaillé avec des réalisatri­ces, je crois que ça n’avait jamais été le cas avant. Cela montre à quel point l’industrie se transforme. Le mouvement des femmes à Hollywood donne de l’espoir parce qu’il se situe à l’avant- garde, comme une vraie révolution de pensée. La manière dont les films sont tournés va changer, c’est très excitant.”

Ethan Hawke aura 50 ans à l’aube des années 2020 et il paraît naturel de lui demander comment il voit le futur de l’industrie qui le fait vivre, rêver et sans doute souffrir depuis trois décennies. Son talent d’observateu­r produit immédiatem­ent ses effets. Sans effusions, l’acteur dresse une suite de constats implacable­s sur le rapport que nous avons à l’art et aux images. “Au cours de mon existence, j’ai pu voir de mes propres yeux le business usurper l’art du cinéma”, clame-t- il. Les mutations sont réelles et

le constat lucide. “Les films se sont fait bouffer. Les séries aussi. Regarder Game of Thrones, que j’aime bien, c’est beaucoup plus facile que lire Anna

Karénine ou Les Frères Karamazov. C’est aussi beaucoup plus facile que se confronter à Bergman. Vous avez vu Wall- E, le film d’animation ? Il y a une scène avec des gens tout ronds alignés dans des fauteuils en train de boire des smoothies devant leur petite console de divertisse­ment. Je suis souvent dans des avions et je regarde les passagers mater des films ou des séries. Cela me fait réfléchir à ce que signifie le cinéma. S’il est fait simplement pour endormir, comme si nous étions tous en train de subir une longue peine de prison et qu’il fallait passer le temps, c’est très déprimant. Si, au contraire, l’art est destiné à ouvrir le temps devant soi, c’est tout autre chose. Anna

Karénine a élargi ma vie. Je me souviens de ces films comme Les Quatre Cents Coups, qui ont ouvert les cerveaux de génération­s entières. Ils deviennent de plus en plus dur à réaliser parce qu’ils demandent quelque chose aux spectateur­s et aux spectatric­es.” À rebours d’une époque où le public est d’abord considéré comme une masse de followers, Hawke explique sans une once de mépris qu’il a grandi dans un monde dont la valeur première n’était pas l’argent (“Être riche, c’était pas du tout cool”) et revendique une recherche de complexité : “Pourquoi avons- nous rendu les choses si faciles dans notre culture ? Nous allons passer toutes nos vies endormis si on ne fait pas très attention.”

lI suffit de gratter un peu pour trouver la trace d’une forme d’optimisme. Hawke raconte qu’il était allé voir Slacker de Richard Linklater au cinéma parce qu’il avait lu qu’un allumé avait tourné un film pour

16 000 dollars. “Maintenant, tout le monde fait des films de cette manière, mais personne ne les voit. Je ne sais pas ce que Rick penserait de cette idée. Ce qui est sûr, c’est que chaque génération doit creuser sa voie. Dans la musique, il y a eu une mutation. C’est devenu plus facile pour les artistes de trouver leur son, à plusieurs échelles différente­s. Au cinéma, on cherche encore. Mais à titre profession­nel, je viens de passer l’une des meilleures années de ma vie, en tournant avec Schrader, Kore- eda, et en réalisant mon film Blaze. Il s’agit d’un ‘ opera western country’ situé en 1989 sur un musicien dont personne n’a jamais entendu parler [rires], le biopic d’un inconnu, une histoire belle et triste. Ce type n’a jamais obtenu de succès. C’est un récit sur ce que cela coûte d’essayer d’être une personne créative. Moi, j’espère l’être toujours plus et devenir encore meilleur, si on considère que je suis à la moitié de ma carrière ! Comment pouvons- nous rendre le fait de s’engager dans ce que nous lisons ou regardons plus excitant ? Comment donner du sens à ces expérience­s ? Paul Schrader dit souvent qu’un bon film commence quand on part de la salle, comme une cloche qui résonne en nous. Penser comme cela, ce serait un bon début.”

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