Numéro Homme

L’archange Michele.

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Depuis son arrivée à la tête de Gucci en 2015, la maison affiche une santé insolente. Entre ses silhouette­s post- genre maximalist­es, sa passion érudite pour l’histoire de l’art et son talent inouï pour susurrer à l’oreille des millennial­s, Alessandro Michele est aujourd’hui perçu comme un véritable gourou de la mode, dont chaque décision est saluée par une salve de soupirs énamourés. C’est sur ses saintes terres, à Rome, que nous sommes allés rencontrer cette idole contempora­ine, pour tenter de percer le mystère de sa création. Propos recueillis par Philip Utz, photos Pierre- Ange Carlotti

Depuis son arrivée à la tête de Gucci en 2015, la maison affiche une santé insolente. Entre ses silhouette­s post-genre maximalist­es, sa passion érudite pour l’histoire de l’art et son talent inouï pour susurrer à l’oreille des

millennial­s, Alessandro Michele est aujourd’hui perçu comme un véritable gourou de la mode, dont chaque décision est saluée par une salve de soupirs énamourés. C’est sur ses saintes terres, à Rome, que nous sommes allés rencontrer cette idole contempora­ine, pour tenter de percer le mystère de sa création. propos recueillis par Philip Utz, photos Pierre- Ange Carlotti Numéro Homme : Alessandro, vous êtes décidément un homme plein de mystère. Je crois que la page Wikipédia de ma stagiaire de l’ÉFAP est plus fournie que la vôtre. Alessandro Michele : Vraiment ? Vous croyez ? [ Rires.] Pourquoi accordez- vous si peu d’interviews ? Pour moi, c’est déjà trop. Je ne vais pas vous dire que je suis timide – parce que ce n’est pas le cas – ni que je n’aime pas m’étaler dans la presse, mais, lorsqu’on est créateur – ou de façon plus générale lorsqu’on fait un métier artistique –, je trouve toujours un peu étrange de se placer personnell­ement sous le feu des projecteur­s. Bien souvent, il me semble que cela vous éloigne de votre travail. Qu’avez- vous donc à cacher ? Absolument rien. Et je n’essaie pas non plus de me préserver de quelque manière que ce soit. Mais une journée n’a que vingt- quatre heures, et je bosse comme un dingue. Chacune de ces heures doit être consacrée à une activité différente parce que Gucci est une énorme entreprise. Et quand je ne travaille pas, j’essaie d’avoir une vie – ce qui ne consiste pas nécessaire­ment à passer mon temps en compagnie des journalist­es. Pour autant, je comprends que donner des interviews fait aussi partie intégrante de mon job : je préfère donc en accorder moins, et privilégie­r l’échange.

Parmi les questions récurrente­s des journalist­es, quelles sont celles qui vous exaspèrent ? Rien ne me dérange vraiment, mais il y en a quand

même une qui revient sans cesse : “Comment se sont passés vos débuts chez Gucci ? Avez-vous réellement mis sur pied votre première collection en cinq jours, six jours, une semaine ?” Rayez les mentions inutiles… Et donc ? [ Rires.] C’est vrai. Je n’ai eu que cinq jours pour sortir ma première collection masculine. Je précise en outre que j’ai dû consacrer le cinquième au casting et à l’aménagemen­t du lieu.

Comment est- il humainemen­t possible de pondre une collection en cinq jours à peine ? Je le redis, l’entreprise est immense, ce qui vous donne la possibilit­é de faire énormément de choses en très peu de temps. Évidemment, les équipes ne peuvent pas commencer à produire tant que vous n’avez pas en tête une idée de ce que vous voulez, mais dès que vous l’avez, elles sont capables de faire à peu près tout ce qui est imaginable. Avez-vous envisagé plusieurs directions possibles pour la maison avant d’opter pour cette androgynie maximalist­e et déjantée qui est devenue votre marque de fabrique ? Non. Je suis allé droit au but. La question était d’ailleurs moins de trouver des idées que d’obéir à mon ressenti. Et en l’occurrence, je ne ressentais qu’une seule chose, donc c’était tout vu. Je savais ce que je voulais pour moi, je savais ce que je voulais pour la marque – et c’est d’emblée ce que j’ai visé. Prétendre être autre chose que ce que vous êtes, ça ne sert strictemen­t à rien. Depuis combien de temps étiez- vous chez Gucci quand vous en avez pris les rênes en 2015 ? Treize ans. Avez- vous toujours pensé que votre vision était celle qu’il fallait à Gucci, même à l’époque où vous travaillie­z encore pour Tom Ford ou Frida Giannini [qui ont tous deux dirigé la création de la maison] ? Oui, peut- être, mais alors de façon inconscien­te. Où êtes- vous né ? À Rome. Que faisaient vos parents ? Mon père était agent technique chez Alitalia, et, au départ, ma mère était femme au foyer. Par la suite elle a travaillé dans les studios de Cinecittà en tant qu’assistante du patron pour l’Italie d’un grand congloméra­t britanniqu­e de cinéma, The Rank Organisati­on. Enfant, étiez- vous plutôt un fils à maman ou un fils à papa ? J’étais davantage un fils à maman. Ma mère adorait les vêtements, et s’habillait de façon complèteme­nt extravagan­te. Je partageais sa passion pour les fringues. À 12 ans, je m’étais décoloré les cheveux afin de ressembler aux nouveaux romantique­s, mouvement très en vogue à Londres dans les années 80. J’adorais mélanger les styles avec un savant dosage d’influences néoromanti­ques, gothiques et punk. J’y allais vraiment à fond. Je n’avais que des amis beaucoup plus âgés que moi, et j’étais dingue de rock’n’roll, de guitare électrique, de Led Zeppelin et de Joy Division. J’étais très en avance sur mon âge et particuliè­rement exubérant. Certains pourraient peut- être même dire un peu trop. Étiez- vous bon élève ? Relativeme­nt. J’étais assez moyen en classe, mais j’ai toujours été très curieux, et je lisais énormément. D’une certaine façon, on peut dire que j’ai un peu fait mon éducation tout seul. Vous étiez populaire dans la cour de récré ou étiez- vous plutôt le vilain petit canard ? On ne peut pas dire que je passais inaperçu, c’est certain – notamment à cause de mes tenues d’hurluberlu. Une partie des gamins adoraient, les autres se moquaient de moi. Dans l’enfance, être différent n’est jamais simple, mais je suis fier de pouvoir dire qu’avec le temps je suis resté fidèle à ce que j’étais et que je n’ai jamais cédé à la pression de mes pairs. Je me fiche de ce que les gens pensent de moi. De ce point de vue- là, je n’ai pas changé : je reste au contact de ceux qui m’aiment, et j’ignore en bloc tous les autres. À quel âge avez- vous pris conscience que, sexuelleme­nt, vous préfériez les garçons ? Ça, c’est venu assez tard. J’ai toujours su que j’étais “spécial”, mais je n’avais pas vraiment identifié les raisons de cette différence jusqu’à ce que je tombe amoureux d’un garçon, à l’âge de 22 ans. Ça a été merveilleu­x, parce que tous mes amis et mes proches m’ont soutenu à fond à ce moment- là. J’étais ravi aussi de me dire qu’au moins, en sortant avec des filles et des garçons, je ne me fermais aucune porte – et que ça augmentera­it d’autant mes chances de rencontrer quelqu’un. Vous avez donc eu des relations hétérosexu­elles ? Oui, bien sûr. Et quel effet ça fait ? Je garde des souvenirs très intenses de mes expérience­s avec les filles parce que, pour moi, tout a commencé avec elles.

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