Martin Parr, Hans Silvester, Charles Fréger, Erwan Frotin
Son regard acéré ne prend pas de pincettes, et c’est justement cette dose de réalité qui fait bien souvent défaut à la mode. De Dubai à Tokyo, mais surtout dans son Angleterre natale dont il décrypte les codes comme nul autre, Martin Parr a épinglé dans ses images les travers de toutes les classes et de toutes les sociétés. Pour ce Numéro Homme consacré exclusivement à la beauté du chiffon sous toutes ses formes, la star anglaise de l’agence Magnum revient sur ses terres pour se glisser dans les pas des amateurs de football, sport britannique par excellence. Dans les vestiaires et les gradins du club Bristol Manor Farm ( p. 124), Martin Parr mêle de façon parfaitement organique les mannequins et les “locaux” pour composer, à la manière d’un ethnologue, une étude contemporaine de la noble culture du ballon rond. Membre de l’agence Rapho, Hans Silvester s’est inventé un destin de témoin. Ethnologue, documentariste, amoureux de la nature, le photographe est tout cela à la fois. Ses voyages d’un bout à l’autre de la planète, en Éthiopie, au Rajasthan ou tout simplement en Camargue, ont produit autant d’ouvrages somptueux. Avec la même passion et le même sens scrupuleux du détail, il a immortalisé l’apparence fabuleuse des animaux d’ici et d’ailleurs, ou les peintures rituelles des peuples croisés au fil de ses périples. Pour Numéro
Homme, l’Allemand a accepté de transposer, pour la toute première fois, sa vision dans une série mode ( p. 138) basée sur le principe de la mise en abyme. Dans le plus grand gisement d’ocre mondial, à Roussillon, en Provence, des mannequins portent des photos extraites de ses livres. Les majorettes, les marins, les mascarades rurales de quelque vingt pays d’Europe… À travers son objectif, Charles Fréger explore la familière étrangeté des codes communautaires et des uniformes. Dans ce décalage entre le costume sériel et l’apparence singulière de l’individu qui le porte, l’ancien étudiant des beaux-arts glisse son regard tout à la fois amusé et précis. Avec la rigueur qu’on lui connaît, il poursuit son oeuvre dans nos pages : tels des hérauts de la mode, une armée de jeunes hommes agite vigoureusement des oriflammes colorées dans le vent normand. Les plages de Deauville deviennent alors le théâtre où s’exprime une communauté inconnue, aux moeurs et aux revendications encore floues. Extirpé de la ville qui lui sert d’habitat naturel, un nouveau folklore du cool se révèle à nos yeux ( p. 154). Plus précise que l’oeil humain, la chambre photographique grand format dévoile tout un aspect du monde inaccessible à nos perceptions quotidiennes. Elle crée ainsi une sorte d’hyperréel où se niche une part d’étrangeté propice à la naissance de la fiction, savamment exploitée par le photographe Erwan Frotin. Ancien élève de l’ÉCAL, le Franco- Suisse s’est souvent emparé de cet outil pour faire surgir le surréalisme au coeur de captations documentaires. Poursuivant cette lignée, les images qu’il signe ( p. 172) pour notre édition spécialement consacrée à la mode mettent en scène la naissance d’une peuplade virtuelle, inspirée des grandes utopies du XVIIIe siècle. Le photographe, fréquemment célébré et exposé par les institutions artistiques, brouille ici les époques et les signes pour composer une galerie de portraits singulière.