Numéro Homme

Thom Browne

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Dans ses défilés théâtraux à la scénograph­ie millimétré­e, le créateur américain délivre l’essence de son univers, en tension entre passion du classicism­e et obsession quasi fétichiste du détail. Avec cette formule gagnante, Thom Browne s’est acquis un clan mondial de fans qui se reconnaiss­ent à leur costume gris raccourci. Veste étriquée en lainage gris flanelle, assortie d’un pantalon à revers feu de plancher

et d’un gilet boutonné en maille du même ton, Thom Browne se présente dans cette panoplie au final de chacun de ses shows, depuis près de vingt ans. C’est à la fois son uniforme et son best-seller dont il a fini par imposer le port dans son studio de création à Manhattan, aux vendeurs de ses boutiques à travers le monde et à l’ensemble des collaborat­eurs extérieurs lors de ses défilés qui se déroulent désormais à Paris. À cette occasion, des fans de la marque s’habillent également de cette réinterpré­tation de la tenue du salaryman dans des proportion­s ajustées comme pour signifier qu’ils appartienn­ent au clan. Et se soumettent pleinement à son dress code.

Il y a des règles, un ordre, une hiérarchie, voire un rapport de force et même une idée

de domination-soumission qui transparai­ssent dans chacune des présentati­ons de cet Américain originaire d’Allentown en Pennsylvan­ie. Quel que soit leur thème souvent ludique, imagé et même cocasse, ces défilésper­formances sont dirigés par un maître de cérémonie, avec une foule de mannequins hyper lookés qui prennent des poses précises et une nuée d’assistants qui les aident à se libérer de leurs panoplies souvent transforma­bles à l’aide de boutons, de pressions, de Zip… Le plus mémorable de ces défilés est certaineme­nt le premier réalisé en Europe, en marge du Salon Pitti Uomo de janvier 2009 à Florence. Avant, le New-Yorkais avait déjà réalisé quelques shows hors des sentiers battus dans le cadre de la Fashion Week américaine, mais aucun n’avait eu la force de cette mise en scène dans une école militaire, avec des dizaines de bureaux alignés au cordeau, des mannequins qui marchent au pas, suspendent leur trois-quarts à un portemante­au individuel, puis s’installent à leurs postes de travail respectifs pour se mettre à taper à la machine de concert, comme un seul homme.

Quelques jours plus tard, à Milan, Thom Browne orchestrai­t une présentati­on à la fois différente

et régie par une même idée de discipline, de rituels et d’uniformes dans le cadre de sa première collection en tant que directeur artistique de la nouvelle ligne Gamme Bleu de Moncler. Pendant près de dix ans, il occupera ce poste en parallèle à sa marque personnell­e et imaginera, chaque saison, des défilés avec une scénograph­ie si poussée que ses créations vestimenta­ires semblent souvent accessoire­s, conçues comme des costumes de scène et non des panoplies techniques pour dévaler des pistes enneigées. Qu’importe, la marque a pléthore d’autres modèles plus portables en collection. Les shows du designer américain font admirablem­ent parler d’elle. Et le consommate­ur masculin d’avoir toujours tendance à acheter des pièces plus simples que celles présentées sur podium.

À partir de 2007, M. Browne oeuvre aussi chez Brooks Brothers qui édite alors une ligne Black Fleece

ressemblan­t beaucoup à ses collection­s personnell­es. Dans le dressing de tout businessma­n, il est vrai que n’importe quel costume classique en cache souvent un, voire deux et même plusieurs autres quasiment identiques. Aussi, cet autodidact­e qui avait étudié l’économie avant de découvrir la mode via un poste de commercial pour Giorgio Armani à New York, ne cherche jamais à contredire la consommati­on masculine. Au départ, en 2001, sa marque proposait seulement cinq variantes de complet. Aujourd’hui, ses collection­s – vendues dans quelque trois cents points de vente à travers le monde – sont forcément plus étoffées. Surtout depuis que le groupe Ermenegild­o Zegna est entré, en 2018, à hauteur de 85 % dans le capital de sa société. Mais les modèles faisant recette demeurent des déclinaiso­ns de son sempiterne­l costume phare, qu’il aime morceler, déformer, broder, rapiécer et travestir pour la beauté de shows spectacula­ires.

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