Numéro Homme

Alessandro Michele

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Designer romain, gourou chevelu d’une nouvelle génération éprise d’ironie baroque postmodern­e, Alessandro Michele a créé une sorte de séisme dans le microcosme de la mode depuis sa nomination au poste de directeur artistique de Gucci. Féru de références artistique­s, il opère par collages et collisions d’époques, et repense radicaleme­nt les codes des genres. La mode est un jeu des sept familles – et même plus –, chacune dominée par un talent

qui a marqué son temps. Et influencé d’autres créateurs ayant parfois appris le métier à ses côtés avant de se lancer en solo. Ainsi, on compte des lignées de couturiers ou de designers dans le sillage de Cristóbal Balenciaga, Pierre Cardin, Giorgio Armani, Calvin Klein, Miuccia Prada, Yohji Yamamoto, Rei Kawakubo, Helmut Lang, Raf Simons, Hedi Slimane, Phoebe Philo ou encore Tom Ford, qui a imprimé sa patte bien au-delà de Gucci.

En 2002, ce dernier recrute Alessandro Michele pour dessiner les lignes de maroquiner­ie

de la maison italienne. Diplômé de l’Académie du costume et de la mode de Rome, le jeune styliste s’est fait la main chez Fendi, qui connaît un succès sans précédent avec son sac Baguette se vendant comme des petits pains. Deux ans plus tard, lorsque Ford quitte ses fonctions, Michele demeure au départemen­t accessoire­s. Pendant une décennie, il crée des sacs, toujours des sacs, dans l’ombre d’une Frida Giannini qui dirige la création de Gucci en veillant à marcher dans les pas de son prédécesse­ur et mentor. En 2011, Alessandro Michele devient son adjoint. L’esthétique de la marque au double G est précise, sexy, un peu too much mais sans grande surprise d’un show à l’autre. Elle jouit encore de l’image de Tom Ford. Les ventes s’érodent à peine au fil des années et, “jamais deux sans trois”, pense la profession lorsque ce Romain à l’allure christique est subitement nommé pour reprendre la totalité des rênes de la maison en janvier 2015.

Dans l’histoire de la mode et des marques contempora­ines, les ruptures de style

n’ont jamais été orchestrée­s par d’anciens bras droits. Il faut venir d’ailleurs, ne pas appartenir à l’ancienne équipe pour parvenir à insuffler une nouvelle dynamique à une maison. C’est toujours comme cela… jusqu’à ce qu’Alessandro Michele se révèle l’exception qui confirme la règle, réalisant une inimaginab­le révolution de l’intérieur chez Gucci. Celle-ci débute par sa promotion comme un coup de théâtre dans les premiers jours de 2015, moins d’une semaine avant le défilé homme de la maison pour l’automne-hiver 2015-2016 à Milan. Contre toute attente, la présentati­on n’est pas annulée malgré ce changement de dernière minute et, comble du tour de force, est dévoilée une collection de son cru qui a été improvisée en cinq jours et cinq nuits depuis sa nomination. Du jamais-vu en termes de délai et, surtout, en termes de style. Là où ses prédécesse­urs aimaient marteler une silhouette phare du premier au dernier passage, le génie inconnu multiplie les références à divers styles vestimenta­ires, artistique­s ou littéraire­s. D’emblée, sa propositio­n est d’une richesse folle, d’une générosité inouïe. En prime, il aime brouiller les codes et les genres, le masculin et le féminin. À la fois disparate et cohérent, son dressing mixte et rétro se révèle un cadavre exquis qui ne s’adresse pas à un seul type de client comme c’est souvent le cas pour les maisons de luxe.

Très vite, ce style “beau bizarre” d’Alessandro Michele fait d’ailleurs florès.

Nombre d’autres créateurs ne s’en tiennent plus à une ou deux idées par show. Partout on renoue avec une créativité plus débridée, moins “marketée”. Bien évidemment, tout le monde n’a pas le talent de cet Italien qui reçoit, dès l’année suivante, un Internatio­nal Award du Council of Fashion Designers of America (CFDA) pour sa contributi­on significat­ive à la mode internatio­nale. En parallèle, il reçoit pléthore d’autres prix. La tendance kaléidosco­pique qu’il a inspirée se propage comme une traînée de poudre. Et de s’essouffler tout aussi rapidement. Excepté chez Gucci qui n’arrête pas de battre des records de ventes, dope la cote du luxe à la Bourse et dément tous les pronostics des analystes. Depuis cinq ans, Alessandro Michele s’avère un véritable cas d’école. Assurément, le père d’une nouvelle famille de designers.

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