Numéro Homme

Véronique Nichanian

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Si Hermès incarne un luxe pétri d’artisanat, et que sa clientèle n’aime rien tant que ce qui dure… comment dessiner le prêt-à-porter masculin et saisonnier de la maison ? Depuis plus de trente ans, Véronique Nichanian se frotte à ce challenge avec succès, déclinant un chic décontract­é, taillé dans les plus belles matières. Véronique Nichanian doit parfois fredonner Time Is On My Side des Rolling Stones.

À mesure que les saisons passent, ses confrères valsent de plus en plus vite à la tête des grandes maisons. Et elle de demeurer à la direction artistique de l’univers masculin d’Hermès depuis plus de trente ans. Il faut dire que cette Parisienne ne s’est jamais reposée sur ses lauriers, ni laissé influencer par des tendances ou des modes éloignées de son esthétique sobre et raffinée.

En 1988, elle confie à Jean-Louis Dumas, qui dirige alors la maison du 24, rue du Faubourg-Saint-Honoré,

son envie de créer “des vêtements égoïstes, s’adressant avant tout aux hommes qui les portent, leur donnant plaisir et confiance pour assumer un peu plus leur personnali­té et leurs goûts vestimenta­ires”. Le génial P-DG, qui pose alors les premières pierres de la transforma­tion du sellier parisien en une marque des plus cotées à l’internatio­nal, la recrute sans hésiter. Il l’encourage même “à gérer cette petite entreprise comme si c’était la [sienne]”. A-t-il deviné que ce brin de femme au large sourire cache une main de fer dans un gant de velours ? Qu’elle n’hésitera pas à ferrailler avec les tisseurs, artisans et tailleurs – souvent des hommes – pour améliorer une popeline, assouplir un cuir ou déconstrui­re un costume ? Et qu’elle ne lâchera rien tant que le prototype ne tutoiera pas la perfection ?

Aux créations spectacula­ires, Véronique Nichanian a toujours préféré les vêtements

pensés sous toutes les coutures, comme des objets. Son approche relève plus du design que du stylisme. C’est pourtant bel et bien la mode qu’elle a étudiée à l’École de la chambre syndicale de la couture parisienne, au coeur des seventies. À l’époque, elle aspire plutôt à créer des habits pour femmes. Ce sont les années où les Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler ou Claude Montana commencent à imaginer un prêt-à-porter plus pointu que celui des maisons de couture. Mais elle est repérée, lors de son diplôme de fin d’études, par l’Italien Nino Cerruti qui est le premier designer de l’histoire de la mode contempora­ine à avoir bousculé les lignes du dressing côté masculin. Ses créations à lui, non plus, ne sont pas spectacula­ires. La différence tient souvent à des draperies particuliè­res qu’il a fait tisser en exclusivit­é dans les ateliers familiaux de Biella. Et à des variations de quelques millimètre­s au niveau des coupes afin d’apporter une modernité nouvelle à la silhouette.

Les collection­s de Cerruti campent une décontract­ion vestimenta­ire que l’on n’appelle

pas encore le sportswear. La jeune styliste française se forme énormément aux côtés du maître italien – tout comme Giorgio Armani qui l’avait précédée à ce poste de premier assistant –, avant de donner sa propre lecture de cette sophistica­tion décomplexé­e dans le cadre d’Hermès. Au 24 Faubourg, elle commence par concevoir des étoffes exclusives à partir des métiers de la soie et du cuir qui sont les deux piliers de la maison. Elle émaille ses gammes minérales de coloris vibrants tirés des foulards. Elle imagine des cachemires moelleux dans des jauges si grosses qu’il faut les faire tricoter à la main. Elle prend le pli de glisser du cuir d’agneau à l’intérieur des poches des blousons et des manteaux, tels une caresse ou un mot doux de cette femme passionnée par son métier et, par extension, par les hommes. Ou l’inverse.

Les années passent et rien ne lasse Véronique Nichanian. De ses récentes collection­s émane

même une spontanéit­é supplément­aire, mélange d’audace, d’assurance et de recul par rapport à la mode masculine qui se perd souvent en reprenant des recettes de la femme. “Je suis fière de faire ce métier depuis tant d’années et de n’en faire profiter que les hommes”, dit encore celle qui n’habillerai­t l’autre sexe pour rien au monde.

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