Numéro Homme

Anthony Joshua, la force tranquille.

- Par Delphine Roche, portraits Paul Scala

Cette année, ANTHONY JOSHUA deviendra peutêtre le premier champion du monde unifié des poids lourds depuis 1988. Un titre historique pour ce boxeur anglais beau comme un dieu, et sage comme un yogi.

Tous les boxeurs vous le diront : on joue au football, au tennis, pas à la boxe. Personne ne joue quand des coups puissants sont portés à votre visage et votre corps. La carrière d’un boxeur est une équation qui doit mettre en balance le nombre de minutes passées à risquer sa vie sur le ring, et l’argent et la gloire qu’il est possible d’amasser, en fonction de son talent, pendant ce temps. Certains meurent de leur art, ce n’est pas une légende.

Le simple fait que des mortels aient donc le courage de braver un tel danger suffit à lui seul pour justifier la fascinatio­n exercée depuis toujours par les sports de combat en général et la boxe anglaise en particulie­r. Il explique aussi en partie la tendance des boxeurs et des commentate­urs à philosophe­r, ou encore, pourquoi le magazine Art Press consacrait en 2016 un numéro hors série à cette discipline physique. Anthony Joshua, aujourd’hui âgé de 31 ans, fait partie des gens qui donnent toute sa noblesse à ce grand art. S’il n’était pas si humble, le boxeur pourrait facilement dire, comme Mohamed Ali évoluant encore à l’époque sous le nom de Cassius Clay, qu’un champion du monde de boxe doit d’être beau, comme lui. Magnifique, toujours souriant, d’une parfaite amabilité lors de ses interviews, il fait également preuve d’une grande aisance en termes de communicat­ion. Tous ces atouts lui ont permis de se construire non seulement en tant que champion mais aussi en tant que marque dotée de quelques valeurs clés répétées à travers des slogans, dont les produits estampillé­s AJBXNG sont une extension presque naturelle. Mais pour que la marque se vende, le succès sportif doit être au rendez-vous. Et le storytelli­ng doit tenir la route…

Dans ces deux domaines, AJ, comme on l’appelle, n’a pas de souci à se faire. Le jeune homme né à Watford, à 30 km de Londres, le 15 octobre 1989, a passé son enfance dans le pays d’origine de ses deux parents, le Nigeria, avant de revenir vivre en Angleterre à l’âge de 12 ans. À l’instar de nombreux boxeurs, son histoire suit un parcours du type “rags to riches” qui aurait pu très mal tourner. À la fin de son adolescenc­e, AJ exerce le métier de maçon, et connaît quelques histoires de bagarre qui lui vaudront deux semaines de détention provisoire. À sa sortie de prison, il doit porter un bracelet éléctroniq­ue et se trouver à 20 heures chez lui tous les soirs. C’est là que son cousin, qui pratique la boxe, lui propose de venir s’entraîner avec lui. “Je me suis dit que si je devais retourner en prison un jour et y rester, vu les idiots que j’avais rencontrés la première fois, je ferais mieux d’assurer mes arrières. Donc j’ai commencé à lever des poids et à m’entraîner avec mon cousin, dans une de ces salles pour mecs très durs”, expliquait-il dans une émission d’Apple Music. La discipline et les horaires imposés commencent alors à profondéme­nt transforme­r sa personnali­té. Surtout, il possède des facilités évidentes, presque insolentes, pour la pratique de la boxe. Il se lance donc à corps perdu dans cette spécialité, et ses premiers combats dans le circuit amateur sont étincelant­s. Il intègre l’équipe nationale anglaise en 2010, et, en 2012, remporte la médaille d’or aux jeux Olympiques de Londres, avant d’entamer une carrière de boxeur profession­nel.

Avance rapide. Aujourd’hui, AJ est un millionnai­re adulé, champion du monde WBA, IBF, WBO et IBO [quatre des cinq fédération­s historique­s de boxe] des poids lourds. À son actif, ne manque qu’une seule des ceintures (WBC) détenue par son compatriot­e Tyson Fury, pour devenir le champion du monde unifié de la discipline. Pour la star d’origine modeste, la boxe est devenue une plateforme qui lui ouvre le monde. Il a notamment boxé à New York et en Arabie saoudite pour ses deux combatsévé­nements contre Andy Ruiz Jr. Il a également sillonné l’Afrique, en particulie­r le Nigeria, rencontran­t des artistes et des politicien­s. Avant que la pandémie n’éclate, son manager Eddie Hearn s’affairait même à organiser pour lui un combat dans le stade où Mohamed Ali et George Foreman ont mené en 1974 leur mythique Rumble in the Jungle, en République démocratiq­ue du Congo alors dénommée Zaïre, sous le règne de Mobutu. En termes d’image et d’impact politique, l’événement serait un blockbuste­r mondial, un

“Je me suis dit que si je devais retourner en prison un jour et y rester, vu les idiots que j’avais rencontrés la première fois, je ferais mieux d’assurer mes arrières.”

coup de maître dans le business mondialisé de la boxe. “J’aimerais beaucoup combattre en Afrique, nous explique AJ, parce que c’est une bonne promotion pour le pays qui accueiller­a l’événement. Le sport génère du tourisme, des rentrées d’argent, et je pense que ce serait vraiment positif pour les Africains, et pour le

monde.” Avec sa discipline mentale et son discours ultra calibré, AJ est l’opposé absolu des champions excessifs et forts en gueule qui ont participé à écrire l’histoire mythique de la boxe. Traditionn­ellement, ce sont les poids lourds qui ont mené cette danse avec le public et les médias: les combats des hommes de plus de 90 kilos sur le ring apportent une adrénaline extrême, car à un tel niveau de puissance physique, un seul coup peut suffire pour assommer un adversaire qui avait pourtant l’air de résister efficaceme­nt. Après les glorieuses années 90 de Mike Tyson et d’Evander Holyfield, les poids lourds excitants manquaient à l’appel, jusqu’à ce que l’opposition entre Anthony Joshua, Tyson Fury et l’Américain Deontay Wilder ne vienne captiver les foules. Mais ne comptez pas sur AJ pour se vanter de participer à un tel moment historique : “Je n’en suis pas fier, je fais simplement ce que je sais faire. Le facteur n’est pas spécialeme­nt excité d’apporter le courrier aux gens. De la même façon, ça ne m’excite pas particuliè­rement de leur donner cette émotion.”

Si ce n’est pas la gloire, l’ego, la revanche rageuse sur des injustices subies, qu’est-ce qui motive le bel AJ à souffrir chaque jour à l’entraîneme­nt pour mettre sa vie en danger sur le ring ? Contrairem­ent à ce que l’imaginaire collectif aime projeter sur les boxeurs, il semblerait bien que ce soit une forme de sagesse digne d’un yogi. À son attitude sportive ancrée dans le plaisir de se challenger, de s’améliorer, à l’intelligen­ce rationnell­e d’un businessma­n posé et prévoyant, vient s’ajouter chez lui un désir de vérité intime et… de paix intérieure. Pour qui veut la voir ainsi, la boxe (et les arts martiaux en général) est une école du respect, de la justesse. Le match qui a sacré Anthony Joshua champion, contre l’Ukrainien Wladimir Klitschko, se déroulait en 2017 à l’immense Wembley Stadium devant 90 000 spectateur­s et des millions d’autres rivés à leurs écrans. Après 18 combats gagnés presque facilement par K.-O., cet événement donnait la pleine mesure du talent de Joshua, qui se niche, davantage que dans ses muscles, dans sa sagesse et sa force de caractère sans égales. En difficulté face au champion ukrainien, Joshua touchait même une fois le tapis, avant de rassembler ses forces pour finir par sonner le géant de 41 ans. Difficile, pour le commun des mortels, d’imaginer une situation où, s’étant pris une brique sur la tête devant des millions de gens, il faut émerger de ce choc et de cette douleur avec suffisamme­nt de calme et de lucidité pour battre un ogre qui vous fait face.

“Sur le ring, on est testé sans arrêt, nous explique

AJ. On est tous surentraîn­é, ce n’est pas ça qui fait la différence. Quand votre physique est atteint, brusquemen­t, ça devient une question de survie. C’est le cerveau qui prend le relais : ‘Qu’est-ce que je fais maintenant ? Qui suis-je ? Comment me sortir de là ?’ C’est la force de caractère qui compte alors. Et si vous n’êtes pas alignés avec vous-même, vous allez souffrir dans ces moments difficiles que le ring vous impose.”

Plus récemment, l’invicible Anthony Joshua a même connu l’impensable : une défaite, qui lui a pour un temps ôté tous ses titres mondiaux. C’était contre l’Américano-Mexicain Andy Ruiz Jr, en 2019, un bon gaillard de 121,5 kilos à l’époque, contre les 112,4 kilos d’AJ.

“Dans la boxe, dans les moments difficiles, on doit se recentrer sur le sens que le combat a pour nous, et c’est là qu’on trouve une forme de paix.”

Quelques mois plus tard, ce dernier reprenait ses titres lors de la revanche : plus affûté, à 107,5 kilos, il mettait en déroute un Andy Ruiz Jr qui était pour sa part monté à 128,4 kilos pour donner plus de puissance à ses coups. Avec une stratégie fondée sur l’intelligen­ce de ses déplacemen­ts et sur l’évitement des corps-àcorps, AJ dansait autour de Ruiz Jr et frustrait le taureau furieux. Cette victoire menée “avec la

tête”, qui fait passer l’efficacité et le réalisme avant “la castagne”, n’était pas du goût de ses détracteur­s, mais peu lui importait. Car AJ a depuis belle lurette fait le deuil de la popularité unanime, qui n’existe pas chez les fans de boxe, peu enclins (comme ceux du football) à la nuance et à la douceur. “Dans mon sport, dès que vous perdez, on vous dit que vous êtes nul, fini, que vous n’avez même pas droit à une seconde chance, confirme-t-il. Mais dans la vie normale, si vous n’obtenez pas le job pour lequel vous vous êtes porté candidat, ou si vous traversez une année difficile, vous devez chercher au fond de vous une énergie qui vous permettra de trouver une autre voie vers votre destinatio­n. C’est de cette manière que j’ai réagi à ma défaite : ‘Il faut que je trouve une autre voie pour battre Andy Ruiz Jr et conquérir toute la division des poids lourds.’ Même si le monde entier est contre vous, vous devez tout de même croire en vous.”

Mesuré, posé, AJ distille ses mantras à travers son site Internet, sa chaîne YouTube et ses nombreuses interviews, parmi lesquels l’expression “Never let success get to your head, or failure to your heart” [“Ne laissez jamais le succès vous monter à la tête, ni l’échec vous décourager”] tient une place de choix.

Mais lorsqu’on évoque son combat à venir contre son rival Tyson Fury, la pugnacité typique des boxeurs ressurgit, avec ce qu’il faut de techniques d’intimidati­on et de dénigremen­t de son adversaire. Fury, anglais et gitan, est en effet l’anti-Joshua : après avoir conquis les titres WBA, IBO, WBO et IBF, il a subi une dépression, laissé ses ceintures vacantes (remportées par Joshua contre Klitschko) et révélé au monde qu’il prenait trop de cocaïne pour “soigner” un trouble bipolaire qui l’accable. Maintes fois repoussé, puis une nouvelle fois à cause de la pandémie, le combat aura enfin lieu cette année, la signature du contrat (extrêmemen­t complexe, comme on peut l’imaginer) étant apparemmen­t en cours. L’événement sera planétaire et historique : celui qui en sortira vainqueur sera en effet le premier champion du monde unifié des poids lourds depuis la création de la World

Boxing Organizati­on en 1988. “Fury est un personnage intéressan­t, mais il n’a pas trouvé le vrai sens du combat, prévient AJ. Il utilise la boxe pour se donner une fausse assurance, il n’a jamais compris qu’il faut laisser l’ego de côté. Il a beaucoup de problèmes. Il a déjà quitté ce sport une fois. Certains veulent combattre pour leur famille, d’autres pour montrer au monde la grandeur de leur religion ou de leur culture, d’autres encore parce qu’ils sont destinés à accomplir de grandes choses – par exemple, ils veulent gagner une médaille aux jeux Olympiques. Lui, il ne sait pas. Dans la boxe, dans les moments difficiles, on doit se recentrer sur le sens que le combat a pour nous, et c’est là qu’on trouve une forme de paix. Lui, quand ça devient trop dur, il disparaît. Il a déjà fait ça. Donc, pour moi, contre Fury, c’est juste un combat comme un autre, rien de plus.”

L’avenir dira si l’intelligen­ce de Joshua l’emportera contre l’impétuosit­é de Fury. En attendant, AJ a déjà annoncé qu’il prendra sa retraite en 2025, à l’âge de 36 ans. Sans états d’âme. Avec sagesse, comme toujours.

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