Numéro Homme

Il était une fois Diego…

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Génie du ballon rond au vécu de rock star, DIEGO MARADONA était vénéré comme un dieu, notamment en Argentine, d’où il est originaire. Alors que l’idole s’est éteinte en novembre dernier, les photograph­es Sofia Sanchez et Mauro Mongiello sont partis sur ses traces, à Buenos Aires.

HÔPITAL D’AGUDOS EVITA À LANÚS (CAPITALE DE L’ARRONDISSE­MENT DE LANÚS, DANS LA PROVINCE DE BUENOS AIRES)

C’est ici que Dalma Salvadora Franco, dite “Doña Tota”, mère de Diego Armando Maradona, l’a mis au monde le 30 octobre 1960. À propos

de sa naissance, Doña Tota a déclaré : “De tous mes enfants, Diego est celui qui m’a donné le moins de travail. J’ai dansé toute la nuit du 29 octobre. Quand le taxi m’a déposée devant la polycliniq­ue de Lanús, j’ai vu une étoile avec des perles sur le sol. À 7 h 05, le 30 octobre, Diego était né, et les médecins et les infirmière­s étaient tellement contents qu’ils ont commencé à crier : ‘But !’. Ils criaient : ‘But !’ comme s’ils savaient déjà [que Diego allait devenir footballeu­r].” Un peu plus de un mois après le décès de la star, la rue qui mène à l’accès principal de l’hôpital a été rebaptisée calle

Diego Armando Maradona.

Le génie embarrasse la modernité car il ne coche aucune case de ses grilles d’évaluation des compétence­s. Le génie n’est pas proactif, le génie n’est pas motivé (il n’a pas besoin de l’être), le génie n’a pas l’esprit de cohésion, le génie n’optimise pas ses performanc­es, le génie ne s’apprend ni ne se travaille, le génie au bout du compte n’en branle pas une. Le génie n’a aucun mérite.

Voici qu’à l’aube des années 60 nous arrive un génie. Il s’appelle Diego et il tombe du ciel. Lorsqu’un journalist­e, accouru auprès du phénomène, demande à son petit frère Hugo de se comparer à lui, le petit frère répond: “Non, je ne serai

jamais comme lui, mon frère, c’est un Martien.”

Martien sonne comme un excès et pourtant c’est un euphémisme. Le petit Hugo, frère de Diego, dit “Martien” mais il a un autre mot en tête. Devant le génie, le peuple des bidonville­s est beaucoup moins décontenan­cé que la modernité. Pour ces simples d’esprit, l’affaire est simple : puisque Diego fait avec un ballon des choses inexplicab­les, des choses que ni le travail, ni les gènes, ni rien n’ont préparé ou conditionn­é, c’est qu’il est d’essence divine. Devant lui il n’y a qu’à s’agenouille­r ou toucher sa tignasse quand il passe, sûr qu’elle guérit les lépreux et relève les paraplégiq­ues.

Si un messie atterrissa­it dans ce monde balisé de technologi­e, si un messie ou un prophète ou un énergumène dans le genre venait à nous en se faufilant entre les ondes de la 5G, dans quel autre lieu pourrait-ce être que là, à Villa Fiorito, quartier populaire de Buenos Aires, gueux parmi les gueux ? De qui d’autre pourrait-il naître que d’une mère surnommée “Doña Tota”, et d’un père surnommé “Don Diego”, comme le héros de Zorro ? À quoi ressembler­ait-il sinon à ce petit sagouin chevelu et racé, “Pibe de Oro”, gamin en or.

Diego sait qu’il serait malvenu de se vanter de son divin pied gauche. Ce pied ne lui appartient pas. C’est tombé sur lui, voilà tout. Un doigt céleste a pointé son berceau, et a veillé par la suite à ce qu’il reste petit et bas du cul, le centre de gravité proche du pied et du ballon qui le colle. Diego ne doit pas se vanter mais remercier. Commencer chaque match par le signe de croix, et le reste suivra. Oui, contre l’Angleterre lors du Mondial 86, la main tricheuse est celle de Dieu, mais le pied aussi. Le pied qui fait des miracles est pied de Dieu.

En 1978, quand l’enfant d’or lui apparaît, la modernité n’a plus beaucoup de ressources d’extase. Comme elle ne sait pas prier, comme elle a oublié les gestes du culte, elle l’appréhende à sa manière à elle, prosaïque, nerveuse, manoeuvriè­re, perverse, agressive, violente. L’or de l’enfant, elle ne sait que le convertir en billets. Elle ne contemple pas le “phénomène” mais l’exploite, le suce jusqu’à la moelle, le presse jour et nuit pour en tirer tout le jus, fût-ce du jus de poison. Autour de lui elle crée le scandale pour lui faire payer le scandale qu’il est. Son scandale, ce n’est pas la cocaïne, ni les connivence­s avec la Camorra, ni les odes à Fidel Castro, ni l’enfant illégitime dont une poule de luxe prétend qu’il est le père ; c’est le génie. Le génie est insupporta­ble et il faut le broyer, comme un joueur de l’Athletic Bilbao lui broie la cheville d’un tacle assassin et prémédité en 1983.

Et tandis que la modernité punit le génie, la foule de Boca Juniors, club de coeur du Martien des bidonville­s, club des pauvres, lui fait la fête au moment de son dernier match. Pleurant de joie comme au premier jour. Persistant à ne voir que l’enfant preste dans l’obèse en désintox. Acceptant ses turpitudes comme des marques d’élection. Pardonnant tout car au saint tout est pardonné. Clamant deux heures durant sa gratitude éternelle.

LE CLUB ESTRELLA ET LE TERRAIN DE FOOT EN TERRE, À VILLA FIORITO, DANS LA BANLIEUE DE BUENOS AIRES

Près de la maison où Diego Maradona a grandi se trouve le terrain de foot en terre (qu’on appelle un potrero en Argentine), où joue le club Estrella Roja (aujourd’hui baptisé Estrella Unida). C’est sur ce terrain que “Pelusa” [peluche], comme on le surnommait en raison de sa chevelure, a commencé à jouer quand il était enfant.

LE QUARTIER DE LANÚS

Un graffiti représenta­nt Diego Maradona devant l’hôpital où il est né, dans le quartier de Lanús. Des peintures murales et des oeuvres de célébrant la légende du football se trouvent partout à Buenos Aires.

LA MAISON D’ENFANCE DE DIEGO MARADONA À VILLA FIORITO

C’est dans cette maison d’un quartier pauvre de la banlieue de Buenos Aires que Diego Maradona a grandi, tapant la balle avec ses amis dans la rue, avant de devenir footballeu­r profession­nel à 15 ans.

LE STADE DIEGO ARMANDO MARADONA

Il est situé dans le quartier Villa General Mitre. C’est dans ce stade, qui appartient actuelleme­nt au club Argentinos Juniors, que Diego Maradona a fait ses premiers dribbles avec l’équipe d’enfants Los Cebollitas [“les petits oignons”]. En 1976, à l’âge de 15 ans, il évolue ensuite en première division dans l’équipe des Argentinos Juniors.

FRESQUE MURALE REPRÉSENTA­NT L’ÉQUIPE JUNIOR LOS CEBOLLITAS DANS LE CAMION QUI L’EMMENAIT AUX MATCHS

Maradona était déjà considéré comme un joueur remarquabl­e avant l’âge de 15 ans. Quand Francisco Cornejo, l’entraîneur de l’équipe junior

Los Cebollitas, l’a reçu pour lui faire passer un test, il a été émerveillé par son élégance, par sa conduite de balle et par la façon dont il se distinguai­t naturellem­ent grâce à son talent, dominant même des enfants plus âgés. Très rapidement, la rumeur s’est répandue que l’équipe Los Cebollitas, en plus de bien jouer, possédait aussi un gamin implacable, qui ne lâchait le ballon que si on le marquait de façon très serrée.

LE COLLÈGE REMEDIOS DE ESCALADA DE SAN MARTÍN

Le collège Remedios de Escalada de San Martín que Diego Maradona a fréquenté. Il est situé en banlieue de Buenos Aires, à Lanús, à quelques kilomètres de Villa Fiorito.

LA LOGE PRIVÉE DE DIEGO MARADONA DANS LA “BOMBONERA”

Les supporters qui ont assisté, en même temps que Diego Maradona, à un match dans ce stade surnommé la “Bombonera” où s’entraîne l’équipe Boca Juniors, se souviennen­t de l’avoir vu en train de hurler et de se pencher par la fenêtre de cette loge. En 1981, puis de nouveau entre 1995 et 1997, Diego Maradona a joué pour l’équipe Boca Juniors, mythique pour tous les Argentins. Ce club génère une ferveur qui n’a pas son équivalent en France. Son stade est situé dans un quartier populaire de Buenos Aires, La Boca, fondé par des immigrés italiens, où tous les gens jouaient au football après leur journée de travail sur le port de commerce.

LA “BOMBONERA”, LE STADE DU CLUB BOCA JUNIORS

Fait unique et amusant, la capacité du stade oscille entre 50 000 et 60 000 personnes, car il comporte des tribunes où les supporters peuvent se serrer en restant debout. Une donnée supplément­aire offre une petite idée de la ferveur unique qui règne autour du club: les abonnés sont deux fois plus nombreux que le stade ne peut en accueillir.

VILLA FIORITO, LE QUARTIER DE SON ENFANCE

Ce quartier, où Diego Maradona est né en 1960 et où il a grandi, est un bidonville d’environ 40 000 habitants. Dans ces années-là, il n’y avait ni eau ni électricit­é. Aujourd’hui, de nombreux habitants s’en remettent aux soupes populaires pour pouvoir se nourrir.

JARDÍN BELLA VISTA, SA DERNIÈRE DEMEURE

Vingt-quatre heures après sa mort, survenue le 25 novembre 2020, Diego Maradona a été inhumé au Jardín Bella Vista, l’élégant cimetière privé où est situé le caveau familial, à une quarantain­e de kilomètres de Buenos Aires, lors d’une cérémonie rassemblan­t uniquement sa famille. Un deuil national avait été décrété, et des dizaines de milliers d’Argentins s’étaient massés dans les rues pour accompagne­r le cortège funèbre. Ils se sont ensuite regroupés à l’extérieur du cimetière pour chanter en hommage à leur idole. “C’est une douleur éternelle. Il n’y aura pas d’autres joueurs comme lui, jamais d’autre Diego.

Pour nous, c’est un dieu”, expliquait alors un fan aux médias présents.

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