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Gabriele Moratti, directeur de création de Redemption. Propos recueillis par Delphine Roche

Esprit libre et engagé, passionné de musique et de photograph­ie, le talentueux directeur de création de Redemption a su imposer en moins de cinq ans son style rock, glamour et sophistiqu­é sur la scène parisienne. Insufflant à la mode sa vision généreuse d

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Propos recueillis par Delphine Roche

Plaçant la générosité au coeur de son entreprise,

le directeur de création de Redemption, Gabriele Moratti, décide, dès ses débuts, de donner 50 % de ses profits à des oeuvres caritative­s. Glamour et rock, le style de Redemption célèbre aussi un état d’esprit, celui de Gabriele, surnommé “Bebe”, pour qui le beau s’allie nécessaire­ment au désir de créer un monde meilleur. À la base de son inspiratio­n figure un univers où s’entrecrois­ent les icônes envoûtante­s de Hollywood et l’énergie indomptabl­e du rock, qui trouve son prolongeme­nt naturel dans celle des bikers. C’est pour célébrer ce style de vie que le bel Italien lance en 2013 sa marque de mode Redemption, aux côtés de ses amis Daniele Sir tori et Vanni Laghi.

Saison après saison, les défilés parisiens de

Redemption exposent la vision d’une femme sophistiqu­ée et libre qui, après un récital de musique classique au Carnegie Hall à New York, poursuivra­it naturellem­ent sa soirée dans un concert rock downtown. Et qui, pour son trajet entre ces deux étapes, enfourcher­ait peut- être sa moto, cheveux au vent… Plus ancré dans le style “biker chic” à ses débuts, le vocabulair­e de la marque revisite au fil des années tous les courants et toutes les nuances du rock. Glamour, sexy et sophistiqu­ées, les silhouette­s de Redemption mêlent allègremen­t les tartans du punk à des jabots, des capes, des chapeaux, des dentelles et des lamés. De très belle facture, les pièces déclinent les matières naturelles, avec une prédilecti­on pour les cuirs. Dès le printemps- été 2017, des collection­s couture viennent s’ajouter au prêt- à- porter. Et pour l’automne- hiver 2018- 2019, les minijupes cohabitent avec de longs manteaux en fausse fourrure et des capes qui enveloppen­t la silhouette de mystère.

NUMÉRO : Comment vous est venue l’idée de lier la mode et la philanthro­pie ?

BEBE MORATTI : À vrai dire, l’histoire est un peu plus compliquée que cela… L’idée de créer mon entreprise est née dans des circonstan­ces un peu particuliè­res : je revenais de la petite ville de L’Aquila, au centre de l’Italie, qui venait de subir un tremblemen­t de terre terrible. Je m’y étais rendu avec mon ami Daniele Sir tori,

“La mode est un vrai vecteur de changement, car l’industrie du vêtement est le deuxième employeur au monde. Si elle décide d’adopter un comporteme­nt plus responsabl­e, son impact peut donc

être considérab­le.”

en tant que volontaire­s pour aider la population. J’avais déjà participé à des missions humanitair­es, notamment au Sri Lanka, où j’étais par ti trois mois après le tsunami de 2004. À notre retour de L’Aquila, lors de notre trajet en voiture, Daniele, Vanni et moi nous demandions pourquoi il n’existait aucune entreprise travaillan­t directemen­t avec des ONG. Aujourd’hui, la majorité d’entre elles essaient par tous les moyens de maximiser leurs profits, sans penser à leur impact sur la société. Par fois, elles donnent tout de même une partie de leurs bénéfices à des oeuvres caritative­s, principale­ment parce que ces donations sont déductible­s de leurs impôts. Mes amis et moi avons donc commencé à envisager la création d’une entreprise qui donnerait la moitié de ses profits à des oeuvres philanthro­piques, et qui travailler­ait de façon plus éthique. Nous voulions unir ces deux mondes que tout, a priori, sépare. Nous avons donc commencé à produire des motos de collection, car nous avions un savoir- faire dans ce domaine. L’une d’elles a été vendue 600 000 euros aux enchères lors d’un événement au profit d’associatio­ns humanitair­es. Dans notre esprit, l’étape suivante consistait à transforme­r notre entreprise en marque de mode et de lifestyle.

Pourquoi s’agissait- il d’une évolution naturelle à vos yeux ?

C’était une idée un peu folle parce que nous n’avions pas d’expérience dans ce domaine, mais la mode est un vrai vecteur de changement, car l’industrie du vêtement est le deuxième employeur au monde. Si elle décide d’adopter un comporteme­nt plus responsabl­e, son impact peut donc être considérab­le. Et aussi, bien sûr, parce que la mode et sa communicat­ion ont une influence colossale, sur tout à notre époque. Nous avons donc décidé de suivre notre instinct. Je n’ai pas fait d’école de mode, mais j’étais passionné de photograph­ie. En effet, j’ai grandi à Milan dans les années 80 et 90, à l’époque où des photograph­es tels que Peter Lindbergh shootaient les campagnes des marques de luxe. Leurs photos étaient affichées par tout sur les murs de la ville. Cela m’a beaucoup marqué. Nos motos étant des objets de luxe, il était logique que nos vêtements le soient aussi. Nous voulions surtout envoyer un message positif et produire les pièces de façon éthique et responsabl­e. Nous avons souhaité défiler à Paris, ce qui était encore plus fou, mais la ville et son public nous ont très bien accueillis.

Aujourd’hui, vous versez donc 50 % des bénéfices de Redemption à des ONG ?

Dès le début, alors même que nous n’avions pas encore atteint notre seuil de rentabilit­é, nous avons décidé de faire des dons, sans attendre. Nous avons donc décidé d’of frir une partie de nos produits et cer taines de nos motos. Avec les ventes aux enchères des motos, nous avons également pu réunir plus de trois millions d’euros. Précisons une chose : le monde ne va pas bien, et je ne fais pas partie des gens qui attendent des politicien­s qu’ils règlent tous les problèmes. Je suis un entreprene­ur et je suis pragmatiqu­e. En Europe et aux États- Unis, la société se fracture et la classe moyenne souf fre. Les entreprise­s occidental­es font fabriquer leurs produits dans des pays en voie de développem­ent, sans leur appor ter, en échange, les moyens de se développer. Cela ne me convient pas. Redemption choisit ses fournisseu­rs en France et en Italie, nous produisons d’une façon responsabl­e, en créant des emplois dans nos pays et en nous souciant de l’impact de nos activités sur l’environnem­ent. Et nous faisons des dons à des ONG, dont certaines viennent en aide aux pays en voie de développem­ent. Dans l’histoire récente, deux moments témoignent de la possibilit­é d’un système économique reposant sur la

générosité. Le New Deal de Franklin Roosevelt a créé la classe moyenne américaine, et un boom économique qui s’est poursuivi des années 60 aux années 90. Ensuite, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États- Unis ont investi massivemen­t en Europe avec le plan Marshall. Il était dans leur intérêt de développer notre économie. Je ne comprends pas pourquoi, à l’heure actuelle, les industriel­s ont décidé d’appauvrir d’autres pays plutôt que d’investir dans leur développem­ent.

Cette générosité fait- elle partie de votre éducation ? J’ai lu que vos parents ont créé un centre de désintoxic­ation, en Italie.

Depuis mon plus jeune âge, mes parents ont fait en sor te que je ne sois pas enfermé dans ma classe sociale. Ils ont cofondé un centre de désintoxic­ation en 1978, l’année de ma naissance. C’est là que j’ai rencontré par la suite les deux personnes qui allaient devenir mes par tenaires dans l’aventure de Redemption. Daniele était le fils de volontaire­s qui sont venus travailler au centre à par tir de 1980, et Vanni, qui fabrique nos motos, est arrivé dans ce lieu en tant que patient. J’allais à l’école à Milan, et je revenais au centre les week- ends et pendant les vacances. Mes parents, eux, y vivaient. C’était très courageux de leur par t d’élever leur famille dans ce contexte, sur tout au début de l’épidémie de sida dans les années 80.

Quelles ONG soutenez- vous ?

Nous soutenons dif férentes causes. Pour les ONG, notre seul critère est qu’elles soient efficaces. Nous donnons aussi bien à l’amfAR qu’à des associatio­ns de très petite taille. En Bolivie, par exemple, des enfants de femmes incarcérée­s sont emprisonné­s avec leur mère. Ils sont contraints de grandir dans le milieu carcéral, sans aucune chance de connaître une vie “normale”. Une femme a lancé une initiative pour les emmener au musée, au parc, afin de leur montrer qu’un autre monde existe. Ailleurs, au Kenya, nous soutenons un orphelinat qui recueille des enfants menacés d’être mis à mort parce qu’ils ont une maladie mentale : on les tue parce qu’on croit qu’ils sont possédés par les forces du mal. Nous apportons aussi notre aide à des causes animales et environnem­entales.

Cette expérience vous donne- t- elle une appréciati­on différente de la vie ?

Lorsqu’on est confronté à tous ces problèmes graves, on peut réagir par l’indif férence, l’abattement ou, au contraire, en décidant de s’engager. C’est ce que je fais. Lorsque je suis par ti pour ma première mission humanitair­e, les gens autour de moi me demandaien­t pourquoi je m’imposais une telle épreuve. Je leur répondais : “Je mesure 1,85 m, je pèse 90 kilos et je peux en soulever autant. Je suis en parfaite santé. J’ai donc toutes les raisons d’y aller.” Le rythme de la mode, des collection­s, peut être harassant, mais le fait de faire ce travail pour aider les autres et inspirer de nouveaux business

models me donne une énergie incroyable. Lorsqu’on ne fait pas les choses pour soi, mais parce qu’on essaie de rendre le monde meilleur, travailler n’est pas plus dif ficile que de boire une tasse de café.

“Face à tous ces problèmes graves qui affectent le monde, on peut réagir par l’indifféren­ce, l’abattement

ou, au contraire, en décidant de s’engager. C’est ce que je fais. Lorsqu’on ne fait pas les choses

pour soi, mais parce qu’on essaie de rendre le monde meilleur, travailler n’est pas plus difficile

que de boire une tasse de café.”

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