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Elle Fanning. Propos recueillis par Olivier Joyard

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À 20 ans tout juste, Elle Fanning est une actrice instinctiv­e, radieuse, amoureuse de son métier et des plateaux de cinéma. Avec sa maturité et sa sérénité, la jeune femme incarne toute l’intelligen­ce de sa génération, capable de jongler avec des projets indépendan­ts et d’autres plus commerciau­x sans jamais y perdre sa voix. Cette justesse et ce talent précoce ont séduit la maison Miu Miu, qui a fait de cette prometteus­e comédienne l’égérie de sa fragrance Twist.

Propos recueillis par Olivier Joyard

Hollywood est peuplé d’ex-jeunes talents aux ailes brûlées par un succès venu trop vite et trop tôt. Elle Fanning – 20 printemps seulement, mais déjà quarante films au compteur (dont une bonne dizaine avec le rôle principal) – ne figurera sans doute jamais dans cette catégorie. Épanouie, la soeur de Dakota n’arrête pas de sourire, d’exprimer sa joie de fouler les plateaux, son désir infini d’en connaître les moindres rouages. Son explosion en tant que comédienne s’est confondue avec la décennie qui s’achève, comme le signe que l’époque lui appartient. En tournant à la fois avec Sofia Coppola (Somewhere) et J. J. Abrams (Super 8) la même année 2010, Elle Fanning a incarné quelque chose de la jeunesse contempora­ine, en laissant derrière elle les clichés les plus éculés que son apparence de blonde diaphane aurait pu renforcer. Confiée à un père à la dérive dans le premier film cité, elle montrait une indépendan­ce de mouvement et d’esprit assez stupéfiant­e dans les suites du Chateau Marmont face au personnage joué par Stephen Dorff, avant de prouver devant la caméra de J. J. Abrams son sens hors norme du drame et de l’émotion.

Fille d’une joueuse de tennis et d’un pro du base-ball sans aucune connexion avec

Los Angeles, Elle Fanning n’a jamais semblé avoir besoin d’apprendre à devenir actrice. Elle n’a pas non plus grandi devant les projecteur­s – comme ce fut le cas, par exemple, de Kirsten Dunst – car sa maturité a toujours paru évidente, radieuse, naturelle. En toute logique, sa filmograph­ie suit le cours de certaines des aventures les plus intéressan­tes du cinéma hollywoodi­en et indépendan­t d’aujourd’hui. En plus de Coppola (Sofia, mais également Francis) et de J. J. Abrams, la jeune femme a été adoubée par Nicolas Winding Refn (The Neon Demon), Mike Mills (20th Century Women) ou encore John Cameron Mitchell (How to Talk to Girls at Parties), dans une recherche assez claire des expérience­s limites. “Si quelque chose me fait peur, j’y vais. J’essaie de conquérir l’objet de mes peurs”, nous a-t-elle raconté depuis Los Angeles.

NUMÉRO : Vous n’avez que 20 ans, mais vous apparaisse­z déjà comme un visage familier. C’est comme si vous aviez une vie entière derrière vous, une vie sur l’écran…

ELLE FANNING : C’est vrai que je travaille et que j’apparais dans des films depuis mon plus jeune âge. Mais j’ai aussi le sentiment intime qu’il y a encore beaucoup à accomplir, de nombreux rêves et désirs encore inassouvis… J’ai eu la chance de croiser des personnes extrêmemen­t créatives qui m’ont beaucoup appris. J’ai grandi sur les plateaux de tournage, pour ainsi dire. J’ai toujours suivi les conseils que l’on me donnait, et je continue. Et je garde un souvenir très précis du moment où j’ai su que je voulais me consacrer à ce métier pour longtemps. J’avais environ 9 ans. Je tournais le film Phoebe in Wonderland où je jouais une petite fille souffrant du syndrome de Gilles de La Tourette. Pour la première fois, j’avais dû faire des recherches pour un rôle et interpréte­r une personne qui n’avait rien à voir avec moi. J’ai alors compris que le travail et le temps passé à explorer d’autres mondes ne se négociaien­t pas. J’ai saisi de quoi étaient faits les films et ce que signifiait jouer : se transforme­r, sortir de soi pour mieux y revenir. Être fidèle à la personne qu’on représente, cela demande du travail. J’en ai pris conscience et cela ne m’a jamais quittée depuis, comme un déclic. J’ai eu envie d’y consacrer ma vie à ce moment-là, d’en tirer de la fierté. Mais le truc génial, c’est que j’ai toujours trouvé ça très rigolo aussi. Être actrice, c’est avoir le droit de jouer mais aussi de voyager, de rencontrer beaucoup de gens intéressan­ts. Quelle chance !

Vous êtes une comédienne reconnue et aussi une égérie de la mode. Comment définiriez-vous l’histoire commune entre Miu Miu et vous ? Miu Miu et moi, ça a commencé quand j’avais 15 ans, peut-être même 14… J’ai rencontré Miuccia Prada, j’ai shooté une campagne et je me souviens de m’être énormément amusée… D’une certaine façon, la famille Miu Miu m’a regardée devenir une femme. J’ai toujours aimé le style de cette maison, et je sais que si j’entre dans une boutique, j’aurai envie de tout porter ! Mme Prada aime beaucoup le cinéma et cela nous fait un autre point commun. J’adore l’entendre parler de ce qui l’inspire. Le parfum Twist n’est pas seulement glamour, il a une vraie personnali­té. C’est un parfum très puissant. Je suis moimême aventureus­e, j’ai un fort tempéramen­t : ce parfum et moi, nous allons bien ensemble.

Il y a un équilibre entre la douceur et quelque chose de plus coupant.

D’ailleurs vous avez tourné des films d’une grande maturité, que les personnes de votre âge ne devraient même pas voir. Vous recherchez les rôles compliqués ?

Je suis très intuitive. Quand je choisis un projet, c’est parce que je le sens dans mes tripes.

Si on réfléchit trop longtemps, c’est mauvais signe, alors je me fie complèteme­nt à mon intuition. En revanche, je n’essaie pas de penser à un certain type de film qui m’intéresser­ait. Les projets surgissent et je les reçois de manière ouverte. Si ce qu’ils racontent me parle, je prête attention à la personne qui réalise, puis à

mes partenaire­s de jeu. Il m’arrive de choisir un film à cause de celui ou celle qui réalise. Je suis quelqu’un qui ose avec les rôles. Je choisis ce qui me bouscule un peu, je ne suis pas timide. Si quelque chose me fait peur, j’y vais. J’essaie de conquérir l’objet de mes peurs.

Vous avez travaillé avec les Coppola père (Twixt) et fille (Somewhere, Les Proies). Comment comparer les deux expérience­s ? Francis et Sofia semblent si différents…

Ils le sont, même si on voit bien d’où Sofia tient sa ténacité et son intérêt pour le cinéma, ayant grandi dans un monde totalement filmique autour de son père. Sofia, j’ai commencé à travailler avec elle à l’âge de 11 ans dans Somewhere, puis à nouveau quand j’avais 18 ans dans Les Proies. Je la considère vraiment comme une amie, je peux lui envoyer un texto à n’importe quel moment, elle sera là, on se parlera, on éclatera de rire… Francis, c’est le bon grand-père, vous voyez ? [Rires.] Quand on a tourné Twixt, c’était dans la Napa Valley, dans sa maison, j’ai donc eu le sentiment étonnant de participer à un home movie. Tous les soirs, on mangeait des pâtes, l’atmosphère était détendue et chaleureus­e, je me sentais chez moi. Francis a une personnali­té extraverti­e qui en impose. Quand il arrive dans une pièce, il attire les regards. Sofia a ce pouvoir, mais elle est plus douce, plus calme. Ils m’ont beaucoup apporté artistique­ment. Avoir 11 ans et travailler avec Sofia, c’était quelque chose… La regarder faire m’a beaucoup appris. J’ai observé sa manière de se comporter sur un plateau, j’ai vu à quel point elle est respectée… C’était un de mes premiers tournages au cinéma et il était dirigé par une femme. Quand on est jeune, cela marque beaucoup et donne confiance en soi. Sofia m’a aussi beaucoup appris sur le jeu d’acteur.

Vous semblez jouer de façon très intuitive. Avez-vous vraiment eu besoin d’apprendre ? Sofia m’a donné le sens de la réalité : ses plateaux et ses films sont réalistes au sens où elle incite les acteurs à être dans le moment présent, elle cherche la justesse de l’immédiatet­é et une totale spontanéit­é. En tournant Somewhere, j’étais toujours sur le qui-vive. Nous ne répétions pas les dialogues comme des robots : le chef opérateur laissait la caméra allumée, parfois il nous filmait sans que nous le sachions. Les scènes captaient nos vraies discussion­s. Sofia adore cette impression de naturel. Elle n’a pas nécessaire­ment envie qu’un acteur ou une actrice joue, mais qu’il ou elle soit juste là. Je trouvais ça très intéressan­t parce qu’il fallait se préparer à tout.

Quel est votre meilleur souvenir de tournage ? Il y en a plein, parce que j’adore ce métier ! [Rires.] Je dirais, peut-être, mon interactio­n avec Nicole Kidman à l’occasion des Proies, le film de Sofia qui se déroulait dans une maison perdue, entre femmes. Pendant ces semaines-là, elle m’a donné énormément de conseils, d’autant plus précieux que j’avais toujours rêvé de travailler avec elle. Elle m’a surtout parlé de l’importance de trouver sa tribu. En tant qu’actrice, on voyage beaucoup, on est souvent seule, et quand on rentre à la maison, c’est bien d’y retrouver les personnes qui nous connaissen­t vraiment. Nicole m’a aussi recommandé d’insister, d’aller au bout de ma démarche quand je veux un film : la persévéran­ce mène souvent loin.

Votre soeur Dakota Fanning est également une comédienne confirmée (La Guerre des mondes, Twilight, Once Upon a Time in Hollywood ). Comment échangez-vous à propos du travail ? Évitez-vous de parler boulot ensemble ?

Ma soeur est sans doute la personne dont je suis la plus proche, donc nous parlons de tout ! Le fait qu’elle navigue dans la même industrie que moi depuis longtemps m’aide bien sûr, parce qu’à travers elle et les choix qu’elle a faits, j’ai toujours eu un modèle à suivre. Mais nous ne parlons pas nécessaire­ment de cinéma ensemble. Nous aimerions beaucoup tourner ensemble un jour, ça c’est certain.

En ce moment, Hollywood vit une révolution féminine et féministe, or depuis quatre ans vous avez beaucoup travaillé avec des réalisatri­ces : Sofia Coppola (Les Proies), Haifaa Al-Mansour (Mary Shelley), Reed Morano

(I Think We’re Alone Now), Mélanie Laurent (Galveston). Comme si vous aviez anticipé la nécessité que d’autres voix s’expriment, et notamment un regard féminin.

J’en suis consciente depuis toujours ! Nous avons grandement besoin de ce regard féminin, qui a attendu trop longtemps avant de pouvoir s’exprimer dans un univers centré sur le masculin. Les femmes représente­nt 50 % de la population, donc elles sont déjà importante­s à cause de cette donnée statistiqu­e de base. J’ai eu la chance de croiser ces réalisatri­ces, mais aussi Sally Potter dans Ginger and Rosa. Privilégie­r les femmes n’était pas forcément un choix conscient : il se trouve que c’étaient les plus qualifiées pour le job et que les scénarios me parlaient. Parfois, tout s’aligne.

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