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Félix Maritaud. Propos recueillis par Thibaut Wychowanok, portrait Laurent Humbert

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Il est aujourd’hui pressenti pour le titre de “meilleur espoir masculin” aux César 2019 pour son rôle de jeune prostitué gay dans Sauvage. Depuis 120 battements par minute, au gré de ses personnage­s sur le fil du rasoir, il fait une entrée fracassant­e dans le paysage du cinéma français. Rencontre.

Propos recueillis par Thibaut Wychowanok, portrait Laurent Humbert

NUMÉRO : Je vous ai croisé hier soir. Vous êtes toujours aussi déchaîné en soirée ? FÉLIX MARITAUD : J’ai dormi deux heures, je suis encore bourré et j’ai l’impression de pouvoir encore envoyer des boules de feu. Je suis high energy power. Mais ça n’est pas tombé du ciel. Je travaille avec soin à me rendre disponible et réactif au monde.

Un peu de méditation ?

Oui… Je m’allonge. Je ferme les yeux. Je respire. J’écoute la manière dont mon corps réagit. Et d’un coup je forme un gigantesqu­e tourbillon d’énergie. C’est trop bien, c’est brillant, c’est bouillant. C’est aussi peut-être un truc de signe astrologiq­ue.

Vous êtes de quel signe ?

Sagittaire. Je suis impulsif, voyageur, rieur… Et aussi mal organisé. Pas très propre, un mec avec un buste d’homme et un bas de cheval. Et un arc. Je tire des flèches : tic, tic, tic !

Je ne crois pas en l’astrologie.

La question n’est pas de croire. L’espace infini de l’Univers a évidemment une influence sur vous, petit être mortel fait des mêmes molécules et atomes. Les planètes qui font quatre milliards de fois votre taille ont forcément un impact. Moi, je ne me sens pas séparé de l’Univers. Vous avez la même approche sensible quand vous tournez ?

Quand je joue quelqu’un de triste, je suis vraiment triste. Si je dois aimer quelqu’un, je suis traversé par une vibration d’amour. Si je dois désirer, je suis traversé par une vibration de désir. Ces sensations existent dans mon corps. Et je ne suis que mes sensations. Autant vous dire qu’être acteur a complèteme­nt reconfigur­é la manière dont je considère mon existence sur terre et ma façon de voir le monde.

Jouer au cinéma vous a appris à mieux vous connaître ?

Être acteur m’ouvre tellement au monde que ma petite place n’a plus aucune importance. C’est totalement destructeu­r pour l’ego…

Je fais vivre l’acteur et non plus ma personne individuel­le. Je donne ma vie au cinéma. Moi, j’aime bien donner. Je donne mon corps, ma voix, mon souffle. Et je suis anéanti. Je deviens une surface pour le cinéma. Être acteur, ce n’est pas un métier, c’est un engagement. Je ne le vis pas comme une contrainte, c’est même assez beau. Je n’ai plus envie d’être en moi, ce n’est plus assez intéressan­t, parce qu’il y a un monde autour, pas si différent de moi, que j’arrive à ressentir et à faire ressentir.

À quel moment avez-vous pris cet engagement ? Dès 120 battements par minute, ou plus tard avec Sauvage ?

120 battements par minute, je l’ai fait comme ça. Je ne savais même pas ce que c’était que de jouer. Je n’en connaissai­s aucune des mécaniques. Quand je vois ce film aujourd’hui, je vous jure, je me déteste. Mais le tournage a été ultra sensationn­el. Je captais tout ce qui arrivait autour de moi… comme de nouveaux papiers-calque qui viennent s’ajouter à la pile des expérience­s de la vie. Ce n’est qu’après

120 battements… que j’ai appris à jouer. Un ami peintre m’a dit : “Imagine, il y a un cercle, là, au sol, et toi, tu es un funambule qui doit marcher sur ce cercle.” Le jour où vous arrivez à faire croire ça, je vous jure, vous êtes un acteur.

L’une des grandes qualités des films que vous avez tournés est de nous épargner les explicatio­ns sociologiq­ues ou psychologi­ques…

Je n’aime pas les films explicatif­s. Dans Sauvage, on n’impose pas un jugement sur les personnage­s par la connaissan­ce de déterminan­ts. Le cinéma fait en sorte de créer un espace clos pour laisser de l’espace. Mais laisser de l’espace est difficile. Dans le cinéma des années 50, mon gars, les plans étaient lents. On voyait les comédiens peu à peu submergés par leurs émotions. C’était tellement pur. Il n’y a plus de place pour l’espace dans le temps aujourd’hui. Alors que la poésie, c’est ça : laisser de l’espace aux gens. Sauvage avait cette approche anarchiste qui consiste à ne pas donner d’informatio­ns, mais à procurer des sensations.

Vous avez la même approche anarchiste dans la vie ?

J’aime tellement la liberté, la liberté d’être des gens. Je les regarde pour ce qu’ils sont et ça me plaît. Je les aime. Et moi, je n’ai pas envie de me brider, ou d’être dans un exercice protocolai­re de moi-même. Mec, je n’ai la Sécurité sociale que depuis deux mois.

Je ne fais pas les courses. Je n’achète pas de fringues. Mes dépenses, c’est des cafés et des sandwichs à la boulangeri­e. Je n’ai pas le choix, je suis comme ça. Je n’ai pas envie de péter un câble à 50 ans parce que je n’ai rien fait de ma life à part être esclave d’une banque privée. Cette vision n’a rien à voir avec un parti politique. Ça correspond à une approche sensuelle… primitive. C’est ce que je trouve beau dans la pensée anarchiste ou situationn­iste : on ne parle pas de la vie avec un regard extérieur. On parle de ce qui nous arrive, de ce qu’on ressent. Je suis dans l’action, pas dans le jugement. J’écoute mon corps, mon âme, mon coeur, ma bite, mon cul, mes cheveux ! Je ne condamne rien. Je ne suis une chienne de garde sur aucun sujet. On a toujours l’impression que ce sont nos comporteme­nts qui font ce que les gens pensent de nous. Mais ce n’est pas vrai. Les gens se font leur idée tout seuls. Nous ne sommes jamais responsabl­es de ce que les autres pensent de nous.

Vous diriez que votre génération est plus libérée du regard des autres et du carcan social ? Nous vivons surtout dans une société où l’on n’arrive plus à écouter les gens avec qui nous ne sommes pas d’accord. Il n’y a pas de dialogue, juste une succession d’informatio­ns lâchées les unes après les autres. La société devrait former un espace où cohabitent des gens qui n’ont pas les mêmes conviction­s. Quand j’étais enfant, je retrouvais tout un groupe de potes dans un coin du village. On était tous très différents mais nous vivions au même endroit. C’était suffisant parce qu’il n’y avait que ça. On apprenait la différence. Et puis avec Internet, les Skyblogs, les réseaux sociaux, les gens ont commencé à se rassembler en fonction de leurs centres d’intérêt. Ça a créé une multitude de micro-bulles qui ne communique­nt plus entre elles. Ce n’est pas très humain. La vie, ce n’est pas ça.

“Je n’ai pas envie de péter un câble à 50 ans parce que je n’ai rien fait de ma life à part être esclave d’une banque privée. Ceci n’a rien à voir avec un parti politique. Ça correspond à une approche sensuelle… primitive.”

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